Abrogation de l'article 87 bis du code du travail: les mises en garde d’un économiste
Je rappelle qu’il existe un principe de méthodologie tant pour les rapports officiels que toute thèse d’un étudiant. J’invite les membres du gouvernement et leurs conseillers à toujours prendre la même source et raisonner toujours à prix constants, faute de quoi les données n’ont aucune signification opérationnelle, induisant en erreur l’opinion publique. Chaque organisme a des bases de sondage donc d’éviter d’additionner ou de comparer les données d’un ministère à l’autre, ou avec les données soit de la banque mondiale ou du FMI. Il faut différencier, pour avoir une vision opérationnelle comme l’a montré brillamment le feu grand économiste polonais Michael Kalecki salaires et traitement.
Le concept de salaires s’applique au seul secteur créateur directement et indirectement de valeur-ajoutée. Pour le traitement, il y a deux sous-rubriques : ceux qui bénéficient d’un transfert direct, et ceux qui comme le recommande le PNUD, contribuent indirectement à la création de valeur à moyen terme en l’occurrence l’éducation et la santé. Or, il existe une confusion méthodologique des données de l’ONS qui inclut par exemple, dans l’administration les banques et assurances alors qu’il faille éclater cette rubrique, données brutes qui ne permettant pas une analyse opérationnelle.
C’est dans ce cadre que je m’en tiendrai aux données officielles de l’organe national de la statistique qui reflète, en principe, les données du gouvernement dans son récent rapport des comptes nationaux 2000/2013 pour analyser les impacts de l’abrogation de l’article 87 bis du code du travail avec ses effets cumulatifs du fait du risque d’un nivellement par le bas.
1.- Selon les données officielles de l’ONS, la population active fin 2013, au sens du BIT, est de 11,716 millions pour une population d’environ 38,5 millions. Au sein de la structure de l’emploi le BTPH représente 16,5%, l’industrie 12,6%, l’agriculture 9,5% et le commerce servies (micros unités) 61,4% avec une dominance du secteur privé 58,9% de l’emploi total. Le nombre de salariés est évalué à 7.393.000 dont 3.508.000 non permanents et 3.785.000 permanents. Le salariat est la forme dominante et touche 65,3% des personnes en activité, minimisant certainement le poids de la sphère informelle qui représente 50% de la superficie économique. La masse salariale, avec la dominance de la fonction publique comme nous le démontrerons par la suite a évolué ainsi devant toujours raisonner à prix constants entre 2000/2013. Si l’on prend un taux de change unique 79 dinars un dollar pour toute la période 2000/2013, nous aurons: 11,97 milliards de dollars en 2000, 17,26 milliards de dollars en 2005 (avant le lancement du programme de la relance économique), 29,81 en 2009, 36,80 en 2010, 48,68 en 2011, 53,83 et 54,98 milliards de dollars fin 2013, exactement pour 2013 en dinars 4.343, 436 milliards de dinars(source ONS). En 2000, le produit intérieur brut (PIB) selon l’ONS a été de 46,81 milliards de dollars 2005, de 87,72, en 2009 de 111,02, en 2010 de 131,70, en 2011 de 170,39, en 2012 de 170,39 et en 2013 de 177,78 milliards de dollars. Ce qui donne un ratio masse salariale sur le PIB qui a évolué ainsi : 25,57% en 2000, 17,62% en 2005, 26,80% en 2009, 27,82% en 2010, 31,76% en 2011, 31,59% en 2012 et 30,93% en 2013 et avec l’abrogation de l’article 87 bis risque d’aller vers 40% du PIB. Ce taux ne serait pas inquiétant si la tertiairisation de l’économie avec une très faible productivité, et l’administration n’était pas dominante (emplois rente) et si existait une très forte productivité du travail ce qui n’est pas le cas pour l’Algérie.
2.- L’article 87 bis de la loi 90-11 d’avril 1990, modifié et complété en 1997 relatif aux relations de travail, a été élaboré par le Fonds monétaire international qui a imposé des conditionnalités draconiennes à l’Algérie, en cessation de paiement en 1994. Il stipule que le salaire national minimum garanti (SNMG) applicable dans les secteurs d’activité est fixé par décret, après consultation des associations syndicales de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives et en fonction de l’évolution de la productivité moyenne nationale enregistrée ; de l’indice des prix à la consommation et de la conjoncture économique générale. L’article 87 bis comprend le salaire national minimum garanti, prévu à l’article 87, le salaire de base, les indemnités et primes de toute nature à l’exclusion des indemnités versées au titre de remboursement de frais engagés par le travailleur. L’abrogation, aura une incidence sur deux éléments majeurs. Le SNMG dans sa période active et sa pension une fois validée les années de travail dans la période de la retraite, du fait que le système de calcul applique une grille de calcul qui prend en compte le salaire soumis à cotisations à l’exclusion des prestations à caractère familial (allocations familiales, primes de scolarité, salaire unique,…), et les primes à caractère exceptionnel (primes de départ à la retraite, indemnité de licenciement,…). Pour les syndicats dans leur majorité, si pour la revalorisation des salaires, le SNMG a été révisé ces trois dernières années à deux reprises, pour atteindre, à partir de janvier 2012, 18 000 DA, cela n’a pas contribué à améliorer les conditions de vie des Algériens et donc s’impose la modification ou la suppression de cet article qui vise à faire du SNMG, un salaire expurgé de ses nombreuses primes et indemnités. La conséquence d’une telle mesure réside dans le fait que le salarié est appelé à percevoir ses 18 000 DA de SNMG dans leur totalité sans avoir à subir aucune soustraction, comme auparavant, encore que certains syndicats autonomes plaident pour que le SNMG soit calculé sur le salaire net et non brut, c’est-à-dire après défalcation des retenues. Et ce, pour rendre «palpables» les augmentations salariales arguant que ce sont les hauts cadres, indexés au SNMG, qui bénéficieront de cette augmentation. Mais il ne faut pas être utopique. L’abrogation de l’article 87-bis de la loi n°90-11 du 21 avril 1990, relative aux relations de travail aura une lourde répercussion sur le trésor public. Le gouvernement avait déjà évalué l’impact en 2006 à 500 milliards de dinars pour la fonction publique et 44 milliards de de dinars pour les entreprises publiques soit au cours de l'époque 7/8 milliards de dollars annuellement.
Entre temps en 2012, certaines catégories ont eu des augmentations de salaires ce qui a permis de relever le plafond de ceux qui percevaient moins de 20.000 dinars par mois. Mais également entre temps nous avons eu une augmentation des fonctionnaires qui dépassent 2,1 millions en 2014 et ajouté aux emplois temporaires (entre 800.000 et 900.000 selon certaines sources) donnant trois millions de fonctionnaires permanents et non permanents ainsi que l’embauche au niveau du secteur économique notamment le BTPH dont la majorité perçoit moins de 20.000 dinars. Par ailleurs l’abrogation de cet article nivelle par le bas les salaires. Ainsi une femme de ménage qui percevra 20.000 dinars se rapprochera du technicien qui perçoit 25.000 dinars, ou d’un jeune docteur d’Etat rentrant à l’université qui commence sa carrière à 45.000 dinars. Il faut donc s’attendre à moyen terme à des revendications salariales pour accroître l’écart nécessaire pour ne pas réduire la productivité du travail et cela concerne tant la fonction publique que tout le secteur économique. Ainsi, l’impact du fait des ondes de chocs avec des effets cumulatifs qui forcément s'en suivront , et ce que l’on oublie montant annuel pendant toute la durée de l'activité , pourrait aller vers 9/11 milliards de dollars de traitements additionnel annuel vers 2016/2020, au moment où le risque est une chute des recettes de Sonatrach. Plus de 50% des PMI-PME dont le BTPH qui constituent 95% du tissu productif ne pourront pas supporter cette augmentation des salaires, la masse salariale dépassant souvent 50% de la valeur ajoutée, incluront dans le prix de la marchandise ou des logements ces augmentations (inflation), ou licencieront ou demanderont au gouvernement des dégrèvements fiscaux ou des taux d’intérêts bonifiés, supportés par le trésor public. Déjà avec un déficit budgétaire de 4100 milliards de dinars prévu par la loi de finances 2015,(51,89 milliards de dollars) cela réduira d'autant le fonds de régulation des recettes. Faute de quoi ils alimenteront la sphère informelle qui représente déjà 50% de la superficie économique.
3.- Pour atténuer l’impact négatif sur le trésor public, il faudra à la fois avoir une vision « juste » de la justice sociale, ne pouvant demander des sacrifices aux plus catégories les vulnérables sans une solidarité collective et forcément relever le niveau de production et de productivité renvoyant à une nouvelle politique socio-économique axée sur la production et exportation hors hydrocarbures. Le programme 2004/2013 a été consacré aux infrastructures qui ne sont qu’un moyen expliquant malgré une dépense colossale un taux de croissance relativement faible de 3% durant cette période alors qu’il faut 8/9% de taux de croissance pendant au moins 5/7 ans pour éviter des remous sociaux et améliorer le pouvoir d’achat des Algériens. Or, la productivité globale est une des plus faible au niveau du bassin méditerranéen (l'Algérie dépensant deux fois plus pour avoir deux fois moins d’impacts au niveau de la région MENA,) la cause essentielle étant la bureaucratie, le système financier et socio -éducatif non adapté, la solution étant d'encourager l'entreprise publique, privé locale ou internationale à valeur ajoutée et son fondement le savoir. Certes dans le pouvoir d’achat, il faut inclure les transferts sociaux et les subventions (uniquement les subventions 25 milliards de dollars en 2013 pour acheter la paix sociale et cela n’es pas tenable dans le temps). Or dans un pays normal l’on ne distribue que ce que l’on a préalablement produit. Certes, le projet de budget 2015 prévoit un taux d’inflation à hauteur de 3% Mais ce taux étant compressé artificiellement par les subventions sans lesquelles il approcherait les 10%. Aussi, un débat national sur les subventions généralisées, non ciblées devient urgent. Il y a lieu de prévoir leur budgétisation par le parlement avec une affectation précise et datée par une chambre de compensation aux secteurs inducteurs et les catégories les plus vulnérables afin d’éviter le gaspillage et les fuites hors des frontières. Aussi attention à la dérive inflationniste.
4.- Aussi, l’objectif est de tenir compte des nouvelles réalités mondiales, notamment des profonds bouleversements géostratégiques qui s ‘annoncent dans la région. Tiendra-t-elle ses engagements notamment des Accords que l’Algérie a signés en toute souveraineté. Ainsi, le tarif douanier sera de zéro en 2020 (report de trois années prévu en 2017 et l’Algérie aura-t-elle des entreprises compétitives en termes de coût et qualité s’insérant dans la nouvelle division internationale du travail, les Accords prévus avec l’OMC représentant 85% de la population mondiale et plus de 95% des échanges mondiaux depuis l’accession d la Russie, étant encore plus contraignants ? Car existe une très profonde injustice sociale, une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière (non de ceux qui produisent des richesses), qui ne payent pas ses impôts. A ce titre il faut revoir impérativement le système fiscal actuel, le niveau de l’impôt direct dans une société mesurant le degré d’adhésion de la population. Le système d’impôt est au cœur même de l’équité. Mais l’impôt peut tuer l’impôt, car il modifie l’allocation des ressources réalisée, notamment l’offre de capital et de travail ainsi que la demande de biens et services. Un système fiscal efficace doit trouver le moyen de prélever des recettes en perturbant le moins possible les mécanismes qui conduisent à l’optimum économique et s’articuler autour des prélèvements faiblement progressifs sur des assiettes larges, ce qui n’altérerait pas nécessairement leurs caractères redistributifs. Il faut à tout prix éviter une vision populiste de court terme. L’Algérie après 50 années d’intendance est Sonatrach et Sonatrach, assimilable une bue primaire, est l’Algérie, ayant permis d’engranger plus de 700 milliards de dollars en devises entre 2000/2013 et l’importation en devises de plus de 500 milliards de dollars. Le pouvoir d’achat et des emplois créés des Algériens est corrélé à la rente à plus de 70% ce que l’on appelle le syndrome hollandais. Environ 97/98% d’exportation d’hydrocarbures (2/3% hors hydrocarbures étant constitué de déchets d’hydrocarbures et de métaux ferreux et non ferreux) et important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% .La réalité est amère d’autant plus que je suis persuadé que l’Algérie a les potentialités peut surmonter la situation actuelle, si l’on veut éviter d’éponger tant le fonds de régulation des recettes que les réserves de changer horizon 2020. Il s’agira durant cette période difficile où s’imposeront des ajustements économiques et sociaux douloureux mais profitables à terme au pays, de concilier l’efficacité économique avec une très profonde justice sociale renvoyant à la moralité de ceux qui dirigent la Cité et donc d’une profonde démocratisation des décisions politiques et économiques ce grâce à un dialogue permanent fondement de l’Etat de Droit et d’une nouvelle gouvernance.
5.- Je rappelle les cinq conclusions de l’audit sur les salaires et l’emploi remise au pouvoir public (1), j’ai eue à diriger pour les pouvoirs publics entre 2007/2008, toujours d’une brûlante actualité (11 volumes) avec une équipe pluridisciplinaire composée d’économistes, de sociologues et de démographes, tous experts algériens. Premièrement, est que n’existe pas de politique salariale encourageant les créateurs de richesses mais des versements de traitements de rente, souvent sans contreparties productives. Il existe une loi en économie : seule la sphère économique et indirectement comme le postule le PNUD par l’indice du développement humain IRH, la santé et l’éducation qui produisent de la valeur-ajoutée. Deuxièmement, au niveau de la sphère économique et l’administration existent des sureffectifs et qu’au niveau de l’enseignement est privilégiée la quantité au détriment de la qualité. Pour preuve aucune université algérienne ne figure dans le dernier classement mondial de Shangai 2013. Troisièmement, aucune politique salariale fiable et à fortiori une politique de subventions actuellement généralisée, source de gaspillage et de transfert de produits hors des frontières, ne peut se réaliser sans que l’on ait une vision claire de la répartition du revenu national et du modèle de consommation spécifique par couches sociales afin de favoriser les producteurs de richesses et de lutter, parallèlement à une nouvelle politique fiscale ciblée contre une concentration excessive du revenu national. Quatrièmement, le pouvoir d’achat de la majorité des Algériens est en fonction de la rente des hydrocarbures pour une corrélation de 70/80% et que toute réduction des recettes aura pour conséquence, proportionnellement une baisse de son pouvoir d’achat, les réserves de change jouant le rôle transitoire d’antichoc social. Le produit intérieur brut (PIB) est constitué certes directement d’environ 40% de la part des hydrocarbures et indirectement la rente des hydrocarbures contribue à plus de 80% du PIB, laissant aux véritables producteurs de richesses, autonomes dans leurs décisions, vivant de l’autofinancement, moins de 20% devant tenir compte de l’effet indirect via la dépense publique. Cinquièmement, l’audit avait souligné l’importance de l’adaptation du code du travail algérien aux nouvelles exigences tant locales que mondiales tout en favorisant la formation permanente étant appelé en ce XXIe siècle à changer plusieurs fois d’emploi dans notre vie, loin des emplois rentes du passé ainsi que la pluralité syndicale et non des syndicats-maison, non représentatif du monde du travail, vivant du transfert de la rente. La modification de l’article 87 bis doit forcément favoriser les secteurs productifs, intégrer la dignité des travailleurs, grâce au rôle de l’Etat régulateur, important en économie de marché au moyen d’une planification stratégique, conciliant les coûts sociaux et les coûts privés, en ce monde turbulent et instable préfigurant d’importants bouleversements géostratégiques entre 2015/2020.
L’Etat doit garantir aux travailleurs un minimum nécessaire tant pour leur subsistance mais également pour d’autres activités, le besoin étant historiquement daté, l’être humain n’étant pas un pur consommateur biologique. Mais le problème essentiel auquel est confronté notre pays, est d’avoir une meilleure gouvernance qui conditionne une transition d’une économie de rente, à une économie hors hydrocarbures, liée à une transition énergétique – mix énergétique- du fait de l’épuisement des ressources traditionnels, à l’horizon 2025/ 2030, dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. C’est la condition afin d’améliorer le pouvoir d’achat des Algériens, d’une manière durable et non artificielle. Les pouvoirs publics ont-ils tiré les leçons de la chute des cours des hydrocarbures en 1986 avec ses incidences économiques, politiques et sociales de 1988 à 2000 ? L’Algérie,en maintenant la politique actuelle, va droit au mur. Un profond réaménagement des structures du pouvoir actuellement assis sur la rente en réhabilitant l’Etat de droit et les véritables producteurs de richesses, l’entreprise et son fondement le savoir, s’imposent face au bouleversement mondial. Il y va de la sécurité nationale.
Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités, Expert International
(1) Le professeur Abderrahmane Mebtoul a dirigé pour le compte du gouvernement algérien une importante adit sur l’emploi et les salaires (2007/2008 -10 volumes 980 pages)
Commentaires (2) | Réagir ?
merci
Le concept de salaires s’applique au seul secteur créateur directement et indirectement de valeur-ajoutée. C'est une vérité niée en ALGÉRIE ! Le PIB est une notion claire qui suppose une production, or que produit -on en Algérie ! Rien si ce n'est que du hef! De l'import Import ! L'ouvrier tout comme le cadre ne produisent rien et encore moins ceux qu'on appelle vulgairement les investisseurs - ils n'existent même pas- pour la majorité, il ne s'agit que d'une sorte de vermine exigeant une haut rendement et un transfert immédiat de la contre partie des DA gagnés plus par malversation qu'autre chose.
Dr Mebtoul, vous tenez un langage peut être destiné à une élite. Vous ignorez que 99, 99% de la population est réellement analphabète et ceux qui se prétendent "experts "du copie collé n'ont aucune expérience d'un marché libre ni aucune expérience de la réalité du terrain, ils ne font que se gargariser c'est le propre des algériens! Ils ont virés, voire pourchassés tous ceux qui pouvaient remettre en cause cette prétendue savoir ! Plus le nombre d'ânes augmente, plus le plus abrutis devient une lumière !