Université d’été du Front du changement : Benflis appelle à un changement de gouvernance
Lire la communication de l'ancien candidat à la présidentielle, Ali Benflis, à l'occasion de l'université d'été du Front du changement.
Mesdames et messieurs,
Permettez-moi en tout premier lieu d’adresser à mon collègue et frère, M. Abdelmadjid Menasra, Président du Front du Changement, mes vifs remerciements pour m’avoir associé à cette université d’été à laquelle je souhaite un plein succès dans ses activités et ses délibérations.
Permettez-moi, ensuite, de vous dire combien je suis honoré d’être avec vous, aujourd’hui, pour qu’ensemble nous puissions échanger les réflexions et les vues que nous inspire la situation préoccupante à laquelle notre pays est confronté.
Permettez-moi, enfin, de féliciter les organisateurs de cette université d’été pour le choix heureux qui a été le leur en identifiant la problématique de la responsabilité de la société, du pouvoir et de l’opposition dans le changement démocratique comme thème central de vos assises.
Le choix de cette problématique est particulièrement heureux au moins à trois égards :
- D’abord, parce que la problématique du changement démocratique correspond à la demande nationale du moment : cette demande et sa satisfaction devraient être érigées au rang de la priorité la plus élevée.
- Ensuite, parce que l’avenir de notre pays n’est pas ailleurs que dans le changement démocratique ordonné, graduel et apaisé, un changement qui devra être l’œuvre de tous, au bénéfice de tous.
- Enfin, parce que c’est par le changement démocratique que sera nécessairement pavée la voie d’un avenir de quiétude, d’entente et de progrès qu’il est du droit – et plus encore – du devoir de chacun d’entre nous de revendiquer au bénéfice de notre pays et de notre peuple.
Et de fait, l’appel à un changement démocratique n’est pas le simple hobby d’une élite désœuvrée ; il n’est pas non plus une routine dans laquelle se seraient installées des forces politiques et sociales avides du pouvoir pour le pouvoir ; il n’est pas enfin une banale occupation de fauteurs de troubles et de perturbateurs professionnels aux desseins inavouables. Non, l’exigence du changement démocratique est devenue le premier des nouveaux devoirs patriotiques car ce dont il s’agit aujourd’hui c’est d’une seconde libération du pays : le libérer d’un système politique isolé et hors de son temps ; le libérer d’institutions qui ne représentent plus qu’elles mêmes ; le libérer de la domination du non-droit là on ne devrait prévaloir que le droit ; le libérer du règne de la discrimination, de la marginalisation et de l’exclusion, le libérer, enfin, d’une gouvernance erratique et peu performante.
Nier ces impératifs catégoriques ou s’épuiser vainement à en contrarier la prise en charge, c’est prendre le pari insensé de s’inscrire à contre-courant des mutations nationales profondes, du changement dans la douleur de notre environnement régional immédiat et de la marche du monde elle-même.
Plus de cinquante années depuis le recouvrement de notre indépendance nationale c’est l’âge de deux générations qui se sont succédé. Cinquante ans c’est peu au regard de la construction d’un Etat mais c’est déjà beaucoup à l’échelle d’une vie humaine. Deux générations se sont succédé, donc, et avec elles se sont développés des besoins et des demandes légitimes tout comme se sont amplifiées les aspirations et les attentes. Une nouvelle société algérienne est née alors que l’Etat est resté lui-même. Et c’est de cela que nous sommes les témoins aujourd’hui : un Etat en décalage par rapport à la société et en déphasage par rapport aux concitoyennes et aux concitoyens auxquels il n’offre ni un présent rassurant ni un avenir d’espoir.
Oui, ce dont nous sommes les témoins c’est d’un Etat figé dans des dogmes et des certitudes d’un autre temps face à une société vivante, dynamique et innovante qui en arrive à croire que c’est dans son Etat que se trouvent les obstacles les plus grands à sa volonté d’avancer et de bâtir.
A travers les XIXème et XXème siècle, l’Humanité a connu trois grandes vagues de démocratisation qui ont fini par réduire l’un après l’autre, les bastions des autoritarismes et des totalitarismes que l’on pensait imprenables à jamais. En ce début de XXIème siècle, le monde arabe a pu apparaitre comme l’un de ces derniers bastions.
Il a longtemps donné de lui-même au monde tout entier, l’image d’un espace hermétiquement fermé aux réformes, rétif aux adaptations et aux changements et réfractaire aux idées mêmes de modernité et de progrès, de droits et de libertés. Aucune fatalité ni aucun déterminisme politique, social ou culturel ne destinent le monde arabe à demeurer à l’écart d’un monde ou l’histoire s’accélère, où le changement succède au changement et où il n’y a place que pour la libération des initiatives, la mobilisation des énergies créatrices, la performance et la compétitivité.
Le monde arabe qui a produit l’une des civilisations les plus brillantes que l’Humanité ait connu ne peut indéfiniment se complaire du rôle d’observateur de la nouvelle Histoire humaine qui est en train de s’écrire sans lui et bien souvent contre lui.
Ne nous trompons pas d’analyse ou de jugement : la mondialisation n’est ni une épreuve ni un défi. Elle est, me semple-t-il, plutôt le moment d’une grande redistribution des atouts au moyen desquels de vieilles puissances sont déclassées alors que de nouvelles émergent et s’imposent. C’est de notre capacité à nous saisir de notre part de ces atouts que dépendront essentiellement la place qui sera la notre de même que la qualité de notre apport civilisationnel.
Mesdames et messieurs,
La maître-mot de notre époque est le changement. Le changement non pas pour le plaisir ou la beauté romantique du changement mais parce qu’il conditionne le devenir de notre Etat et de notre Nation. Le changement non pas pour satisfaire des envies superflues mais parce qu’il répond à une demande pressante et à des besoins qu’il n’est plus possible de différer ou d’ignorer. Le changement non pas pour opérer des ravalements de façade mais pour aller à l’essentiel, à l’incontournable et au vital c'est-à-dire bâtir, enfin, l’Etat démocratique.
Pardonnez-moi ce truisme, le changement démocratique c’est la construction d’un Etat démocratique.
Mais me direz-vous : quel devra être le contenu de ce changement démocratique pour qu’il atteigne son objectif de construction d’un Etat démocratique ? A cette question, je répondrai en partageant avec vous non pas seulement des analyses ou des réflexions mais des convictions personnelles profondes. Comme vous le savez la devise de la République est : «par le peuple et pour le peuple» et a pour origine une citation partielle d’une phrase d’un discours du Président américain, Abraham Lincoln, dans lequel il a évoqué «le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple».
Pourquoi donc ce concept de gouvernement du peuple a-t-il-été omis lorsque la version finale de la devise de la République a été adoptée ? Cette question m’a longtemps intrigué. Je ne lui ai personnellement trouvé qu’une seule réponse : en passant sous silence le concept de gouvernement du peuple c’est la citoyenneté elle-même que l’on écartait du processus de construction de notre nouvel Etat et c’est le peuple souverain lui-même que l’on entendait exclure des décisions et des choix déterminants pour notre Nation.
Le point de départ de tout changement démocratique devra donc être l’instauration d’un gouvernement du peuple. Cela suppose une citoyenneté pleinement et entièrement rétablie dans ses droits, dans ses devoirs et dans ses responsabilités. Cela suppose aussi que le peuple souverain devienne effectivement la source de l’accès, du maintien ou du départ du pouvoir.
Le changement démocratique a ses critères et ses normes. Au premier rang de ces critères et de ces normes figurent, en ce qui me concerne la citoyenneté et la souveraineté des choix du peuple.
Au titre de ces mêmes critères et de ces normes viennent la légitimité et la représentativité des institutions –toutes les institutions- de l’Etat. Qu’est ce que cela veut dire ? Dans le cas de l’Algérie beaucoup de choses. Cela veut dire que le choix du peuple doit pouvoir s’exprimer sans conditions et sans entraves, qu’il doit être entendu et qu’il doit être respecté. Cela signifie aussi qu’au choix du peuple doivent cesser de se substituer de manière programmée et systématique des opérations politico-administratives de distribution de quotas électoraux par lesquelles sont punies les insoumissions et rétribuées les allégeances. Cela signifie, ensuite, que les institutions et les administrations de la République observent scrupuleusement leurs devoirs sacrés d’équité, de neutralité et d’impartialité. Cela signifie, en outre, qu’il est grand temps de barrer le chemin, avant qu’il ne soit trop tard aux forces de l’argent douteux dont l’ambition n’est pas moins que celle de faire main basse sur la République elle-même et tous ses démembrements institutionnels.
Après avoir domestiqué la matière, ces forces entendent dominer les esprits, assécher les cœurs et faire taire les consciences. Elles sont devenues le premier des périls auxquels l’Algérie fait face comme Etat, comme Nation et comme société.
Pour que le choix du peuple s’exprime dans son authenticité et dans sa vérité, pour qu’il soit entendu et pour qu’il soit respecté, une autorité indépendante pour les élections est indispensable et incontournable. Dans tous les pays ayant traversé une expérience historique similaire à la nôtre, des autorités indépendantes pour les élections ont été les moteurs, les gardiens et les garants des changements démocratiques. L’Algérie ne pourra y faire figure d’exception.
J’ai parlé de citoyenneté et de choix du peuple souverain ainsi que de légitimité et de représentativité des institutions mais cela ne suffit pas pour considérer que le changement démocratique est sur la bonne voie et qu’il est entre de bonnes mains. Pour cela, le changement démocratique doit veiller à installer des institutions fortes, intransigeantes sur l’exercice de leur propres prérogatives et scrupuleuses dans le respect de celles des autres. C’est d’abord par le déni de la citoyenneté et le mépris du choix du peuple et, ensuite, par la domestication de toutes les institutions que s’installe et perdure le pouvoir autoritaire et personnel tel que celui qui s’est imposé dans notre pays. Les institutions sont des contre-pouvoirs les unes pour les autres ; elles sont le lieu de contrôle des une par les autres ; elles sont l’espace du partage des responsabilités. C’est cela l’Etat des institutions qui est par essence antinomique à l’Etat de l’homme providentiel. Permettez-moi de vous le dire de manière catégorique et univoque : un régime politique organisé autour de la chimère de l’homme providentiel est dans une incapacité congénitale de bâtir un Etat des institutions.
L’Etat des institutions est un Etat de droit. L’Etat de l’homme providentiel est un Etat de non-droit ; c’est l’Etat d’un homme et non l’Etat d’un peuple, c’est l’Etat des clans et des coteries et non un Etat présidant aux destinées d’une République puissante, d’une Nation moderne et d’une société harmonieuse et soudée.
Le changement démocratique commande, par ailleurs, que soit donné au pluralisme politique son sens consacré, son sens évident, son sens naturel. En Algérie, aujourd’hui, il n’y a pas place pour le pluralisme politique, c’est son ersatz qui sévit.
Dans une soi-disant démocratie, il ne peut y avoir qu’un soi-disant pluralisme politique. Ou est le pluralisme politique lorsque le régime en place méprise, humilie et agresse l’opposition nationale ? Ou est le pluralisme politique lorsque ce régime exerce un monopole absolu sur les moyens de l’action politique et que l’opposition ne peut agir que dans les limites étroites que lui concède son bon vouloir ? Ou est le pluralisme politique lorsque ce même régime n’a pour obsession et pour objectif dont il ne dévie jamais qu’une opposition fracturée, désunie ou occupée par des querelles subalternes ? Ou est le pluralisme politique lorsqu’à chaque échéance –sans exception- des quotas électoraux sont préprogrammés et pré-distribués et que les résultats de nos scrutins ne servent plus qu’à une chose et une seule : permettre aux partis politiques de mesurer le degré d’affection ou de désaffection du régime envers eux ? Enfin ou est le pluralisme politique et à quoi peut-il servir lorsque, fondamentalement – je veux dire mentalement et culturellement- ce régime est dans l’incapacité de concevoir l’opposition politique comme un partenaire indispensable dans l’édification démocratique du pays mais seulement comme un adversaire à combattre et à réduire ?
La démocratie se construit sur une équation à deux éléments connus : un pouvoir et une opposition. L’un ne va pas sans l’autre. L’un est nécessaire à l’autre. L’opposition est un contre-pouvoir ; elle diversifie les offres politiques ; elle est productrice d’alternatives ; elle vivifie le débat démocratique ; elle est un instrument de contrôle et de surveillance politique de la gestion des affaires publiques par excellence.
Lorsque viendra le jour- car ce jour viendra inéluctablement- où l’Algérie se dotera d’une Constitution, non pas la Constitution d’un homme ou d’un régime mais la Constitution de la République sur la base de laquelle s’élèvera l’Etat-Nation moderne et puissant auquel nous aspirons de toutes nos forces, ce jour là il nous reviendra de nous employer à constitutionnaliser les droits et les responsabilités de l’opposition politique nationale pour la prémunir contre les abus, les dépassements et les dérives.
Mesdames et messieurs,
Le changement démocratique c’est le changement de la nature du régime politique en place. C’est la substitution à un régime hégémonique, dominateur et exclusif d’un nouveau système politique protecteur des droits et des libertés, respectueux de l’équilibre et du partage des pouvoirs, garant de la pratique politique pluraliste, pourvoyeur d’équité et de justice, soumis au contrôle et à la reddition des comptes, en somme un système démocratique aménagé autour d’un Etat de droit ou ne domine que le droit, rien que le droit, tout le droit.
Le changement démocratique, l’opposition politique nationale en a une vision claire et lucide. Elle en a une conception réaliste. Elle en propose une mise en œuvre apaisée, ordonnée, graduelle et consensuelle. Mais quelles sont donc les perspectives de ce changement démocratique dont l’urgence est pressante et dont la nécessité est indéniable ?
Des forces politiques et des personnalités nationales admirables et respectées se sont employées, avec abnégation, avec constance et sans faiblir ou reculer devant les adversités de toute sorte, à fixer des perspectives au changement démocratique. De ce point de vue, les initiatives ont été riches, fécondes et diverses. Certains ont proposé une transitoire classique, d’autres un mandat-transition ; d’autres encore une transition-programme
J’ai moi-même préconisé –et je la préconise toujours- l’ouverture d’un processus politique global dont j’ai développé les objectifs, le contenu et les mécanismes dans le programme politique que j’ai soumis au peuple algérien lors des dernières élections présidentielles.
Le Pôle des Forces du Changement dont j’ai l’honneur de coordonner les activités a consacré un nombre appréciable de ses réunions à la problématique du changement démocratique. Ses réunions ont permis au Pôle des constats précis dont découle sa perception de la grave crise politique à laquelle notre pays est confronté. Elles lui ont également permis d’identifier les objectifs essentiels que le changement démocratique devra s’assigner. Elles lui ont, enfin, permis de développer une vision cohérente et globale quant à son contenu, quant à son organisation et quant à ses instruments.
Mesdames et messieurs,
Cette université d’été a retenu comme thème de ses travaux » la responsabilité de l’opposition, de la société et du pouvoir dans le changement démocratique ». De lui-même, ce thème identifie les trois leviers indispensables au changement.
Et de fait le changement a besoin d’une opposition nationale acquise à sa cause et convaincue de sa nécessité vitale pour le pays ; il a aussi besoin d’une société qui le revendique comme une exigence de son évolution et de son progrès ; il a, enfin besoin, d’un pouvoir lucide et visionnaire qui ne nie pas la nécessité du changement mais l’accepte comme une donnée naturelle du développement des sociétés humaines ; un pouvoir qui ne résiste pas au changement mais l’accompagne et réunit les conditions favorables à son avènement ; un pouvoir à l’écoute de la société et apte à répondre à ses attentes légitimes et non un pouvoir installé dans le déni, otage de ses horizons étroits et obsédé par sa seule survie.
Oui, l’opposition nationale à des responsabilités particulières dans le changement démocratique. J’ajoute que ces responsabilités sont lourdes et complexes et que les défis qu’elle a à relever sont nombreux et sensibles.
Le premier ennemi de l’opposition nationale n’est pas la diversité qui fait sa richesse mais sa désunion qui peut faire sa faiblesse. En conséquence sa première responsabilité est de s’employer à introduire l’indispensable cohésion dans ses rangs. C’est unie que l’opposition nationale pourra peser sur le cours du changement et aider à le diriger.
La seconde responsabilité de l’opposition nationale est de développer une vision commune du changement démocratique. Développer une telle vision commune n’induit en aucune manière l’abandon du projet propre à chaque force politique ni la renonciation à l’identité politique distinctive de chacune de ces forces.
La troisième responsabilité de l’opposition nationale est de convenir des instruments pour organiser une action commune au service du changement démocratique. Cette action devra être concertée, coordonnée et harmonisée pour pouvoir produire l’effet qui en est attendu.
La quatrième responsabilité de l’opposition nationale est celle de résister aux tentatives qui n’ont pas manqué à ce jour et qui ne manqueront pas à l’avenir destinées à introduire toutes sortes de fractures possibles dans ses rangs à l’effet de l’affaiblir, de la discréditer et de la déposséder du plus grand atout entre ses mains, celui de son unité. «Diviser pour régner» est la devise des empires qui se sont construits en s’en inspirant. Elle est aussi celles des régimes autoritaires pour lesquels une opposition politique acceptable ne peut être qu’une opposition fracturée, émiettée et dispersée.
La cinquième responsabilité de l’opposition nationale est d’agir de sorte que la cause du changement démocratique n’apparaisse pas aux yeux de notre peuple comme une affaire bilatérale banale entre le pouvoir et l’opposition.
En somme, une querelle politicienne ordinaire à l’égard de laquelle notre peuple se sentirait non-impliqué, non intéressé et non concerné. Le défi, ici, pour l’opposition nationale est celui de l’implication du peuple comme partie prenante et active dans la cause du changement démocratique. Une telle conclusion conduit directement à la problématique de responsabilité de la société à l’égard du changement démocratique.
Le traitement de cette problématique devrait avoir pour point de départ trois constats qui me semblent essentiels :
· Le premier de ces constats est que ce désir de changement démocratique ne vient pas de nulle part. Il est le produit de notre société qui a connu des transformations et des mutations profondes alors même que notre régime politique est demeuré figé dans sa nature, dans ses méthodes, dans ses pratiques et dans ses comportements. L’enjeu, ici, est pour le changement démocratique de répondre valablement à ces transformations et à ces mutations et de convaincre notre société qu’il est destiné à satisfaire ses aspirations et ses attentes.
· Le second constat est que si notre société elle-même est la source, de la revendication du changement elle doit en être la bénéficiaire et la destinatrice. Et de fait, si le projet de changement démocratique est perçu par notre société comme une somme de transactions entre politiciens professionnels et que ses préoccupations particulières n’y sont pas prises en compte, elle s’en détournera et s’en éloignera à bon droit. De ce point de vu, le contenu du changement démocratique sera déterminant en ce qu’il révèlera à la société la présence ou l’absence de ce qu’elle attend et de ce à quoi elle aspire.
Le contenu du changement démocratique ne devrait pas apparaitre aux yeux de notre peuple comme étant la recherche d’arrangements et d’accommodements entre politiciens mais comme un projet visant sincèrement à réhabiliter la citoyenneté et à faire du peuple la source de tout pouvoir.
· Le troisième constat est que la charge du changement démocratique est trop lourde pour être portée par la seule opposition nationale. La cause de ce changement aura accompli un grand dès lors qu’elle deviendra celle de l’ensemble des forces politiques, économiques et sociales représentatives de notre société de la manière la plus effective et la plus authentique.
Mesdames et Messieurs,
Si chacun sait clairement qu’elles devraient être les responsabilités spécifiques à l’opposition nationale et à notre société, celles du pouvoir demeurent particulièrement problématique et ce pour plusieurs raisons : le pouvoir se confine dans le déni et dans la fuite des réalités ; il n’admet pas qu’il a atteint les limites de son parcours historique ; il ne reconnait pas le besoin de changement que notre société ressent et nourrit.
En un mot, il n’est plus animé que par l’instinct de survie qui lui sert désormais de seul guide politique.
Le pouvoir dans notre pays a cessé d’être présent, fonctionnel et performant. Sa gouvernance, qu’elle soit politique, économique ou sociale n’est plus désormais qu’une série d’approximations et d’improvisations pour dissiper les pressions et parer à l’urgence. Le pouvoir ne propose plus à l’Algérie une vision cohérente de son devenir tout comme il est devenu dans l’incapacité de lui proposer un projet politique, crédible, convaincant et mobilisateur.
J’ai personnellement caractérisé cette situation comme étant une situation de crise de régime. Une crise de régime, comme cela est connu, survient dans l’une des trois conditions suivantes :
- Lorsque la légitimité des institutions est atteinte ;
- Lorsque les institutions cessent de s’acquitter de leurs missions constitutionnelles ;
- ou lorsque la Constitution est inopérante ou rendue inopérante pour régler une crise politique majeure.
La situation prévalant actuellement en Algérie ne répond pas seulement à l’une de ces conditions mais aux trois réunies.
Et de fait la légitimité de toutes les institutions est contestable et contestée. La Constitution a été rendue inopérante pour constater une véritable vacance du pouvoir. Toutes les institutions sont à l’arrêt : la fonction présidentielle n’est plus exercée que par délégation de fait et souvent de manière anti constitutionnelle ; les réunions du Conseil des Ministres sont rarissimes et la gestion des affaires publiques est en jachère. Le Conseil des Ministres ne se réunissant plus et ne produisant plus de projets de lois, le Parlement n’a plus matière à légiférer.
L’Algérie n’est plus gérée dans les formes et dans les normes constitutionnelles.
L’autorité de l’Etat qui s’incarne dans la clef de voûte de nos institutions, la présidence de la République, est devenue aléatoirement diffuse, émiettée, dispersée ; elle a cessé d’être identifiable et localisable. Cette autorité n’a plus de présence ni intérieurement ni extérieure. Qui est véritablement aux commandes de l’Etat ? Où est-il ? Que fait-il ? Nul ne le sait. L’Algérie vit, hélas, dans une aberration et dans une anormalité institutionnelles comme elle n’en a jamais connu.
Le nœud gardien de cette crise de régime ne pourra être tranché que par un retour au suffrage populaire et au choix du peuple souverain. Ce retour donnera le signal de départ du changement démocratique.
Donner leur légitimité indispensable à nos institutions, remettre en état de fonctionnement effectif et mettre fin à l’état de vacance dont pâtit la première des institutions de la République, voilà la priorité absolue qui s’impose à nous en ces moments décisifs, voilà la trajectoire politique dans laquelle devraient s’unir nos efforts, voilà la perspective de sortie de crise qui doit pouvoir nous mobiliser et nous rassembler.
Je vous remercie.
Ali Benflis
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