Accroissement de la dépense publique et risque de tensions en Algérie

En dépit de l'explosion de la dépense publique, l'Algérie n'est pas à l'abri de tensions sociales
En dépit de l'explosion de la dépense publique, l'Algérie n'est pas à l'abri de tensions sociales

La société algérienne dans son ensemble, l’économie algérienne totalement extériorisée est dépendante de la rente des hydrocarbures. Selon les données de la Banque mondiale correspondant à celles de la Banque d’Algérie pour la période 2000-2013, l’Algérie a exporté 707,250 milliards de dollars et a importé pour 491,200 milliards.

La différence est de 216 milliards et si on enlève le remboursement anticipé de la dette, on retombe sur le chiffre des réserves actuelles fin 2013. Dans ce contexte, il serait illusoire de continuer dans l'actuelle démarche. L’illusion bureaucratique, en ignorant tant le changement de la société algérienne que le fonctionnement des nouvelles mutations mondiales du XXIème siècle est de se réfugier dans le juridisme, vison du passé, comme si une Loi ou un code d’investissement pouvaient résoudre les problèmes d’ordre structurel.

1.- Déficit du trésor et Fonds de régulation des recettes

Le fonds de régulation des recettes créé en 2000 se calcule comme la différence entre le cours moyen des recettes d’hydrocarbures au départ à 19 dollars au cours plancher, puis à 37 dollars dans les lois de finances. Ici existe un artifice d’écriture de la Banque d’Algérie. Ainsi si vous dévaluez le dinar par rapport au dollar, les recettes d’hydrocarbures étant calculées en dinars par exemple de 10%, vous gonfler à la fois la fiscalité pétrolière et le fonds de régulation des recettes de 10%. Exemple la valeur du dinar pour un dollar, selon le cours du Forex1, en date du 12 juillet 2014 était de 79 dinars un dollar et le 18 août 2014 s’oriente vers 80 dinars un dollar augmentant le fonds de régulation de 1,01%. Selon le Ministère des Finances (DGT) le fonds de régulation des recettes a évolué ainsi de 2011 à 2013. En 2011, il est estimé à 4842 milliards de dinars, en 2012 à 5381 milliards de dinars et en 2013 à 5633 milliards de dinars. Lors de la loi prévisionnelle de finances 2014 le FRR devait atteindre 7226,4 milliards de dinars soit 39,7% du PIB permettant d’alimenter trois ans d’importation, montant euphorique n’ayant pas prévu la contraction des recettes des hydrocarbures . Dans le même esprit, alors que le déficit budgétaire prévu pour 2015 serait supérieur à 4100 milliards de dinars, la loi des finances 2015 prévoit, une fiscalité pétrolière générant une plus value à verser dans le FRR de l’ordre de 2 634,2 milliards de dinars à la fin de 2015. Or selon le rapport récent de la banque d’Algérie, il ressort qu'en dépit de réserves de changes en augmentation de près d'un milliard de dollars (194,961 milliards de dollars à fin mars contre 194,012 milliards à fin décembre 2013), le niveau du Fonds de régulation des recettes FRR a chuté de 5 238,80 milliards de dinars à fin décembre 2013 à 4 773,51 milliards de dinars à fin mars 2014. Ainsi, la moitié du déficit prévisionnel du Trésor Algérien pour 2014, estimé à 3.300 mds de DA sera comblée par les avoirs du FRR. Ce montant représente 18% du PIB. Comme conséquence, le FRR n'a pas été alimenté à fin mars 2014. Un cours de 90 dollars aurait donné une recette de moins de 55 milliards de dollars, ce qui aurait engendré des tensions sociales. C’est que les exportations d'hydrocarbures sont en chute libre. En 2013 les exportations en devises ont été de 65,9 milliards de dollars, y compris les 3,2% hors hydrocarbures pour un montant de 2,16 milliards de dollars, donnant environ 63 milliards de dollars pour Sonatrach ( baisse de 10 milliards de dollars, moyenne annuelle entre 2010/2013) donc en régression par rapport à 2011, montant de 73,5 milliards de dollars et 71,8 en 2012. Ainsi, la balance de paiement est à peine atteint l’équilibre. Le risque donc avec une dépense publique qui dépasse les 110 dollars (fonctionnement et équipement) si cette situation perdure, il faudra forcément puiser dans le FRR pour couvrir le déficit du trésor. Cette situation peut compromettre bon nombre de projets d’investissements prévus dans le plan d’action du gouvernement et éventuellement le recours à ses réserves de changes placées à l’étranger ( entre 83/86%) en bons de trésor américains , en obligations européennes et une fraction dans des banques internationales privées cotées dites AAA. Afin de faire face à cette situation, je préconise que le budget des lois de finances soit établi selon le cours moyen du marché des hydrocarbures quitte si excédent il y a, à le verser dans une caisse pour les générations futures surtout la révision de la politique économique nationale de sorte à ce que les dépenses soient rationnelles, les salaires fixés en fonction de la productivité, de veiller sur la maturité et faisabilité des projets avant leurs lancements pour éviter les surcouts exorbitants dont certains ont été de plus de 20/30%. Car, la situation actuelle qui risque de se dégrader dans les années à venir du fait des nouvelles mutations énergétiques mondiales et notamment en Méditerranée, montre la vulnérabilité de l’économie algérienne. Environ 97/98% des recettes d’hydrocarbures proviennent des hydrocarbures et l’Algérie importe 70% des besoins des ménages (70% du pouvoir d’achat des Algériens étant corrélé à la rente des hydrocarbures) et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%.Environ 83% de la superficie économique est représentée par le petit commerce, services selon l’ONS (tertiarisation de l’économie à faible productivité) et le secteur industriel est en déclin avec moins de 5% du produit intérieur brut. L’irrigation de la rente des hydrocarbures à travers tous les circuits économiques et sociaux donne des taux fictifs de chômage, de croissance ( tiré par la dépense publique représentant plus de 80% du taux de croissance), d’inflation compressée par les subventions de plus de 25 milliards de dollars en 2013 qui généralisées permettent la fuite des produits hors des frontières. Uniquement pour l’année 2013 les importations de biens avoisinent 55 milliards de dollars (53% en cash selon la douane algérienne) plus 12 milliards de dollars d’importations de services soit 67 milliards de dollars) auquel il faut ajouter entre 5/7 milliards de dollars de transferts légaux de capitaux des compagnies étrangères nous donnant entre 72 et 74 milliards de dollars de sorties de devises. Ainsi, le dérapage du dinar de plus de 300% depuis 1992 (25 dinars un dollar à 80 dinars un dollar) qui constitue un dumping n’a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures.

2.- Accord d’Association, cotation du dinar/euro et impact sur les recettes fiscales

Rappelons que pour le volet commercial, les importations en provenance de l’Union européenne sont passées de 8,2 milliards $ US en moyenne annuelle avant la mise en œuvre de l’Accord d’Association (2002 à 2004) à 24,21 milliards $ US en 2011, à 26,33 milliards de dollars en 2012(52,27%) et à 28, 582 milliards de dollars en 2013 (52,11%) selon les statistiques des douanes. Les exportations vers l’Union européenne sont passées, en moyenne annuelle, de 15 milliards de $ US, entre 2002 et 2004, à 36,3 milliards de $ US en 2011 – essentiellement pétrole /gaz ont été de 39,797 milliards de dollars en 2012 (55,38%) et 42,773 milliards de dollars en 2013(64,89%) du fait de la baisse des importations provenant des USA ( de 50,51% en 2013 comparativement à 2012 où l'Algérie a été classé premier client du pays avec 11,94 mds usd, avec la révolution du gaz de schiste) qui risque de s’accélérer entre 2015/2020. Les exportations hors hydrocarbures ont été en moyenne 2012/2013 de 2 milliards de dollars. Mais plus de 70% des recettes ont été réalisées par 400 exportateurs, provient de la commercialisation de dérivés du pétrole, du gaz, ainsi que de produits miniers comme le phosphate. Les exportations algériennes hors hydrocarbures vers l’Union européenne (UE) sont dominées par des dérivés d’hydrocarbures avec un taux de 93%, selon l’Agence algérienne de promotion du commerce extérieur (Algex). Sur le plan fiscal, l’Algérie a engrangé 1.241,9 milliards (mds) de DA (environ 15,5 mds de dollars) de fiscalité pétrolière à fin avril 2014, fonction de l’évolution des recettes représentant entre 60/70%, une fraction croissante allant au financement du budget de fonctionnement. Ici, pour avoir une appréciation objective de la fiscalité autre que les hydrocarbures, il faut être attentif à la cotation du dinar en référence à l’euro concernant la taxation des importations permises toujours grâce aux hydrocarbures. Une dévaluation de 10% du dinar par rapport à l’euro gonfle la fiscalité ordinaire, Les taxes douanières s’appliquent à la valeur des marchandises après la reconversion de l’euro en dinars donnant un taux cumulé pouvant aller à plus de entre 20/30% TTC. Ainsi le glissement à la baisse du dinar tant par rapport au dollar que de l’euro voile l’importance du déficit budgétaire en le diminuant artificiellement. Lors de la récente rencontre à l’APN en juillet 2014, à l’initiative du PT et de l’UGTA, certains participants versant dans la sinistrose, ont avancé que le Trésor a enregistré un manque à gagner important depuis l’application de l’Accord d’Association avec l’Europe (01 septembre 2005) de 8 milliards de dollars de pertes fiscales. Or, appliquer un taux uniforme pour évaluer les pertes sur tous les produits importés d’Europe est un non sens. L’on doit tenir compte du montant des importations provenant de l’Europe entre 2005/2013, de la progressivité du démantèlement tarifaire qui ne touche que certains produits. Le montant déclaré de 8 milliards de dollars de pertes entre 2005/2013 par certains qui raisonnent à prix courants, alors qu’il faut toujours faire un calcul à prix constants, est surévalué reposant sur un calcul biaisé ne tenant pas compte de la dévaluation rampante du dinar où les importations en provenance de l’Europe doivent tenir compte de la cotation du taux de change dinar-euro. En réalité, les pertes dues au dégrèvement tarifaire pondérées par la dévaluation du dinar par rapport à l’euro entre 2005/2013 qui a été de 22%, donnant un taux cumulé après 15 à 20% de taxation d’environ 2,5 à 3 milliards de dollars à prix constants de manque à gagner. Si on avait réalisé les reformes structurelles, micro-économiques et institutionnelles le gain net de l’Accord pour l’Algérie se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards de dollars avec des entreprises compétitives et des emplois durables productifs.

En conclusion, la situation actuelle rend urgent la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales comme j’aurai l’occasion de le démontrer au cours d’une conférence internationale à Paris, le 18 octobre 2014 à l’assemblée nationale française (1). Il s’agit impérativement de revoir notamment la politique industrielle en déclin, d’autonomiser la section exportatrice des hydrocarbures, en réhabilitant l’entreprise créatrice de richesses en termes de coûts et de qualité au sein des espaces euro-méditerranéens et africains, l’Afrique continent à enjeux multiples, notamment pour l’Algérie, qu’elle soit publique, privée locale ou internationale et le fondement du développement du XXIème siècle la bonne gouvernance et le savoir.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités Expert international en management stratégique

(1) Une importante rencontre internationale, sera organisée à Paris le 18 octobre 2014 par l’Association France-Algérie que préside le professeur Jean Pierre Chevènement, ancien Ministre français, sénateur ami de l’Algérie sur les échanges industriels algéro-français à l’Assemblée nationale française. Cette rencontre verra la présence de personnalités politiques, de diplomates, d’experts internationaux et d’opérateurs des deux pays, de la presse internationale A ce titre le professeur des Universités le Dr Abderrahmane Mebtoul a été l’invité d’honneur par Mr Jean Pierre Chevènement et le secrétaire général de l'Association France-Algérie, Jean-Yves Autexier, en tant qu’expert international. Il interviendra sur le thème «Dans le cadre d’un co-partenariat et des co-localisations, quelles filières industrielles promouvoir entre l’Algérie et la France au sein des valeurs internationales?»

Plus d'articles de : Analyse

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
adil ahmed

merci

avatar
sarah sadim

Vous avez tout dit Prof Mebtoul, excellent article démonstratif de la catastrophe économique à laquelle semble se destiner l'Algérie de "Bouteflika", économiquement les solutions sont là et scientifiques.

Malheureusement cela ne suffit pas, car l'obstacle politique est là, le départ du Pouvoir actuel ou sa chute quelque soit les formes sont nécessaires, un véritable pré requis, autrement, Bouteflika persistera dans l'oeuvre destructrice du pays.

Epuiser ce pays est son seul programme revanchard, et destabiliser la région maghrébine semble actuellement sa feuille de route, stimulé en cela par les errances de soutien francais et autres...

La solution sera violente et inévitablement les derniéres échéances semblent totalement consommées.

Le préalable et le changement politique structurel et de ce clan au pouvoir.

visualisation: 2 / 4