Economie souterraine : entre l’informel de survie et l'informel prédateur !
Quelqu’un d’affamé mangera gloutonnement, bruyamment, avec pour seul souci d’apaiser sa sensation de faim et sans trop goûter ce qu’on lui sert ; pour devenir raffiné et gourmet, i ne faut pas avoir trop faim ! C’est la même chose en amour (Paule Salomon).
Le prédécesseur de l‘actuel ministre de l’Intérieur a fait de l’éradication des marchés informels sa priorité ; ainsi et dès 2012, c'est-à-dire peu de temps après sa prise de possession du département, il a réunit et en grandes pompes, tous les walis de la République pour leur demander, toutes affaires cessantes, "d’éradiquer tous les marchés informels et de faire partir tous les vendeurs ambulants qui ont pris possession de nos territoires". En cette occasion, il leur a fait la déclaration suivante : "la résorption du commerce informel n’est ni ponctuelle ni une opération coup de poing ; un choc psychologique a eu lieu et la population nous soutient dans cette action ; la plupart des commerçants seront recasés dans des espaces réaménagés".
On était à quelques jours du Mawlid Enabaoui et l’engagement du ministre avait valeur de test car les pétards et autres produits pyrotechniques commençaient à faire leur apparition, çà et là, sous les portes cochères. Ce business aussi florissant que tonitruant, est, comme chacun le sait, tenu par une maffia, très haut placée dit-on, qui ne s'est pas laissé impressionnée par les menaces du ministre. Les jeunes vendeurs qui étaient ciblés, des «petites mains» en fait, ne se sont pas, eux non plus, laissés «déposséder» de leurs marchandises, confisquées dans un premier temps par les services de sécurité, puis restituées car l'heure était alors à l'apaisement.
La maffia des conteneurs pyrotechniques ne s’est pas laissée démontée ! Celle des «sachets noirs» non plus, même s’il s’agit d’une autre histoire et d’un autre ministre qui nous a tellement bassiné avec ça ! Quant à celle des parkings sauvages, qui compte, quand même, en son sein quelques besogneux chefs de familles, a également tenue bon malgré les insultes proférées à son égard par le ministre qui n’a pas pris de gants pour en dresser un portrait des plus repoussants pour dire que «des mesures seront prises pour mettre un terme au racket pratiqué des voyous ; ces personnes seront fichées et poursuivies en justice, il est temps de mettre de l’ordre dans nos villes et le stationnement sera réglementé !"
Echec du gouvernement Sellal
Echec pour le ministre et son administration, ce qui n’a pas empêché les walis de lancer, quand même, une opération d'envergure concernant le redéploiement de tous les marchés informels tout en observant la prudence voulue concernant les gardiens de parkings qui ont été laissés en paix.
La sémantique a, cependant, évoluée puisqu'il n'était plus question «d'éradiquer» mais de "redéployer" dans des «espaces maîtrisables», les vendeurs de ces marchés informels estimés à 70613 selon le MICL, 75000 selon le ministère du Commerce ou même 300.000 selon l'Union générale des commerçants algériens. Pour les espaces, les walis ont casé le maximum de ces jeunes dans ce qu’on appelé « les 100 locaux par commune » ; la destination de ces locaux a été détournée et ils ont servis au stockage et à la revente en l’état de la bibeloterie de bas de gamme, du textile bon marché, importé de Chine, de Turquie et d'Espagne et des cosmétiques aussi variés qu'avariés.
Il se murmure que les «grossistes» de ce type de commerce appartiennent à la mouvance islamiste qui a ses entrées dans certaines chancelleries peu regardantes dans l’octroi des visas, celles de Chine, de Turquie et d’Egypte entres autres et pour cause, leurs pays s’en sortent gagnants et engrangent des bénéfices plus que substantiels et de surcroît en devises. Les barons de ce type de commerce et leurs protecteurs hauts placés, ne s’embarrassent pas, par ailleurs, des effets pervers induits par leurs marchandises :
· Sur la santé publique, comme les produits de beauté contrefaits ou encore les chaussures chinoises.
· Sur l'économie nationale, par l'introduction des textiles étrangers concurrençant les produits du secteur national nonobstant les appels au «protectionnisme» lancés par Sidi Saïd
· Sur la fiabilité du contrôle, au regard de la contrefaçon qui s'est installée durablement dans notre pays. Ce commerce informel, maintenant toléré et légalisé car «redéployé», fleurit d'Alger à Tebessa en passant par Tlemcen jusqu'à Tamanrasset
Il est aussi facilité, faut-il le dire, par des fournisseurs, des grossistes et des fabricants qui, ayant des doutes sur la qualité des produits écoulent leurs marchandises à travers ce circuit parallèle. Il faut dire aussi que la responsabilité incombe aussi au consommateur qui, même s’il est séduit par le niveau acceptable des prix qui lui sont proposés par ces marchands de l’informel, doit pour le moins, s’imprégner de quelques règles élémentaires de la culture de consommation, de celles notamment qui préservent sa santé et celle de ses enfants. Quant aux jeunes qui s’adonnaient à la revente des fruits et des légumes, à défaut de pouvoir s’implanter dans «les marchés parisiens» promis par l’ex ministre de l’intérieur, ils continuent, malgré l’acharnement qui pèse sur eux, à exercer, à la sauvette, embarrassant, clients et services de sécurité.
Le ministre n’a pas tenu parole, son collègue du Commerce, Benbada, en l’occurrence, aussi ! Ils avaient promis que «les activités commerciales seraient exercées dans des espaces autorisés et tous les commerçants recensés recevront, dans une première phase, des autorisations pour la pratique d’une activité commerciale, et dans une deuxième phase, lorsque leur activité aura été bien rodée et que le nouveau mécanisme aura été bien mis en place, ils disposeront d’un registre de commerce»
En définitive, Daho Ould Kablia qui a engagé son joker dans cette affaire, a eu tout faux, lui qui pensait, qu’en deux temps trois mouvements, il allait pouvoir éradiquer les marchés informels à coup de circulaire aux walis. Il s’est attaqué au maillon faible de l’économie souterraine, «l’informel de survie». C’est celui qui est établi directement dans les quartiers pauvres qui en tirent leur subsistance. Il a été longtemps sous-estimé parce que nombre d'entreprises ne sont pas officiellement déclarées (les trois quarts n'ont qu'une existence de facto). Pourtant, c'est lui qui continue d'absorber le gros de la vague des demandeurs d'emploi, notamment ceux qui n’ont bénéficié d’aucune formation et qui n’ont pas accès aux aides de l’Etat, y compris l’assurance sociale.
C’est tous ces misérables que l’administration de Daho Ould Kablia a pourchassé sans répit faisant croire que la population de manière générale, était d’accord pour qu’on libère les espaces où elle allait, régulièrement, s’approvisionner aux plus bas prix ; c’est faux, bien évidemment et il n’y a qu’à voir la flambée des prix pendant ce mois de ramadhan pour s’apercevoir que tous ces vendeurs ambulants avaient leur utilité dans la régulation du marché, celui des fruits et légumes, notamment ! Tout comme ces 7000 ou 10000 enfants qui pratiquent, conjoncturellement, la vente du pain fait maison et autre persil dans les marchés pour venir en aide à leurs parents au chômage ou ne bénéficiant pas de protection sociale de l’Etat ! C’est ça aussi l’informel de survie ! Il doit être toléré ou pour le moins examiné avec bienveillance et non pas éradiqué comme demandé par Daho Ould Kablia en son temps.
La lutte qu’il faut mener, courageusement et sans pitié, est celle qui consisterait à éliminer «l’informel prédateur» ; voilà le véritable ennemi. Selon l’UGCAA, il y aurait aussi quelques 16 000 faux commerçants illégaux exerçant dans les 43 marchés de gros des fruits et légumes ; c’est eux qui décident de la mercuriale des prix, à la barbe des contrôleurs du ministère du commerce et du fisc, si tant est que cette dernière administration a une existence en Algérie. L’informel prédateur a un visage, c’est celui des propriétaires des conteneurs, des grossistes du Hamiz, par exemple, qui ont leurs informateurs qui leur signalent, instantanément, les descentes «inopinées» des contrôleurs du fisc et du commerce ; ce qui leur permet de baisser, impunément, le rideau ! La lutte contre l’informel prédateur passe, nécessairement, par l’assèchement des sources de son financement, entre autre le marché noir de la devise.
Là aussi, Daho Ould Kablia, qui parlait plus vite que son ombre avait émis un avis disant que : «le citoyen y trouve son compte et que l’Etat n’est pas disposé à ouvrir des bureaux de change». Pourtant les économistes et les experts de la finance, sont unanimes à dire que l’existence d’un marché parallèle de la devise nuit gravement à l’économie nationale ; la circulation des grandes sommes en devise, en dehors de tout contrôle des autorités monétaires met en danger la sécurité économique et financière du pays.
Lors de sa dernière conférence de presse tenue à Béjaïa, Mouloud Hamrouche, conscient de la menace, l’a dit : «les administrations pérennes de l’Etat ont été phagocytées par des réseaux d’intérêt». Disons-le sans ambages, même aujourd’hui, il n’y a pas de visibilité économique dans le plan d’action du gouvernement, encore moins une volonté réelle de lutter contre l’économie souterraine dès lors où l’on privilégie l’importation à la production nationale.
Il sera difficile de sortir tout ce beau monde de la mangeoire autour de laquelle se sont attablés tous les spécimens de notre société y compris ceux relevant d’institutions en charge du contrôle et de la préservation des deniers publics.
Nous créons nos malheurs avec une ingéniosité, un raffinement qui n’ont d’égal que notre inconscience à nous en reconnaitre l’auteur. La facture alimentaire explose et les poches des maffieux aussi ! Le pays importe tout, nourriture, vêtements, médicaments et autres pièces détachées. La ressource première est constituée, pour quelques temps encore, des revenus du pétrole et peut-être plus tard, de ceux qui seront engrangés à partir des gisements de gaz de schiste ; ni l’agriculture, encore moins l’industrie ne répondent aux besoins internes de la population algérienne.
Le gouvernement fait un pas en avant et deux pas en arrière comme par exemple pour cette obligation de l’utilisation du chèque pour les transactions dépassant les 500 000 dinars, mesure rappelons-le, qui devait entrer en vigueur le 31 mars 2011 et reportée sine die. Notre système bancaire est paralysé même s’il suffoque du trop plein de liquidités ; quant au paiement électronique, mieux vaut ne pas en parler dès lors qu’il reste marginal voire inexistant.
Il existe en Algérie des milliers de sociétés-écrans représentant un volume de transactions de l’ordre de plus de 20 à 25% du PIB ; l’économie souterraine brasse, à elle seule, 50% de la masse monétaire en circulation, soit près de 50 milliards de dollars disent les économistes ; plus de 40 milliards de dollars circuleraient en cash dans le pays.
Il faut aussi évoquer ce problème de la sous bancarisation de la population (7 Algériens sur 10 ne possèdent pas de compte bancaire) ; il y a aussi ce grave déficit de projets bancables, en dehors des investissements étatiques, ce qui a pour effet de doper, encore plus, l’économie informelle. Cette situation engendre un trop plein de liquidités et enfonce, davantage, l’économie nationale dominée par «l’import-import», l’investissement non étatique étant insignifiant.
Quant à la question de l’OMC, maintenant il faut savoir, si notre pays veut y adhérer et il doit, impérativement, répondre aux exigences de l’organisation qui sont aussi celles exprimées par le FMI et la Banque Mondiale : abandon de la règle du 51/49, démantèlement tarifaire, ouverture du marché et éradication du secteur informel
Le gouvernement, dans cette hypothèse, doit se donner tous les moyens en commençant déjà à faire le ménage dans cette Assemblée Nationale Populaire (APN) et dans la sphère politique qui sont, à croire, Louisa Hanoune, entre les mains des barons de l’informel prédateur ! Il doit aussi faire face aux pressions de tous ces importateurs détenteurs de monopoles en matière de commerce extérieur qui lui mettent des bâtons dans les roues pour l’empêcher d’aller vers un accord avec l’OMC, profitable à nos entreprises, tant publiques que privées, qui seraient ainsi forcées de se mettre à niveau pour devenir compétitives.
De plus, il règne comme un air de cacophonie dans l’équipe de Sellal : Abdeslam Bouchouareb, le ministre de l’Industrie a fait de l’entrée de notre pays à l’OMC, une priorité nationale contrairement à Amara Benyounes son collègue du commerce, qui est plus mesuré quant à l’urgence de cette opération !
Le pouvoir judiciaire doit aussi se libérer de ses carcans ! Entretemps, Daho Ould Kablia a quitté le gouvernement «à l’insu de son plein gré» comme dirait l’autre, sans pour autant présenter de bilan concernant l’éradication des marchés informels, encore moins sa déclaration de patrimoine ; avec le recul, il doit savoir qu’il avait, en fin de compte emprunté une mauvaise piste concernant le commerce informel de survie. Celui-là même dont l'OIT donne la définition suivante : «facilité d'accès ; utilisation de ressources locales ; propriété familiale des entreprises ; opérations à petite échelle ; technologie appropriée à forte intensité en main-d'œuvre, qualifications acquises en dehors du système éducatif officiel ; marché fluide, concurrentiel et non régulé. Ce type de commerce est utile s’il venait à être encadré et pris en charge par l’Etat et pourquoi pas intégré dans le portefeuille des PMI/PME.
Aux ministres du Commerce, de l’Industrie et de l’Intérieur d’en tirer les leçons et de ne pas se laisser entrainer par des opérations «coup de poing» improductives car aujourd’hui, il y a déjà fort à faire avec :
1. les grandes villes qui sont autant de marchés d'intérêt national (M.I.N) ; elles peuvent, par exemple, constituer des centres de commerce importants et favoriser périodiquement des échanges spécialisés à travers des foires où seront échangés des spécificités et des produits régionaux, ce qui aura pour impact d'encourager le «tourisme domestique» et de maintenir le chômage à un taux acceptable
2. et les villes à faible potentiel industriel qui doivent également, s'investir dans ces espaces intermédiaires en veillant à promouvoir leur production locale.
En conclusion, on peut s’autoriser à dire que l’informel de survie absorbe la force de travail : il «réduit officiellement la courbe statistique du chômage», il fournit biens et services à la portée des bourses de la population pauvre. Quant à l’informel prédateur, il est, très certainement, nuisible à l’économie nationale ! Aux pouvoirs publics de savoir faire le distinguo !
Cherif Ali
Cadre superieur en retraite
Commentaires (3) | Réagir ?
merci
L'informel ne mourra qu'avec le système. Allez voir le harcelement des brigades des fraudes des petits commerçants (surtout à Médéa). Allez voir les sentances des juges envers ces même petits commerçants (pour un rien du tout des millions à payer). Tôt ou tard il sera obliger de fermer. Tout est sur les trottoirs. Dîtes à un agent des fraudes d'aller voir il vous dira c'est à la polioce et cette dernière vous dira le contraire. Tout ceci nous menera vers l'explosion social et ce sera pire que Gaza