L’Algérie ou la mainmise d’un clan sur le destin d’un pays

Boumediene et son clan ont fermé la porte de l'espoir de construction d'un nation algérienne démocratique.
Boumediene et son clan ont fermé la porte de l'espoir de construction d'un nation algérienne démocratique.

Lorsqu'on observe attentivement la vidéo revivifiant le visage serein et l'attitude noble du Chahid BenMhidi dans ses derniers jours; ou lorsqu'on écoute la chanson "Biladi Eljazair" du Chahid Ali Maachi, on ne peut franchement contrôler son émotion et s'empêcher de s'identifier à eux ne serait-ce qu'un instant.

Elle devrait être superbement belle cette Algérie indépendante pour laquelle des milliers de valeureux Algériens ont sacrifié leurs précieuses vies, leur santé et leurs biens. Elle devrait être si envoutante pour accepter de renoncer volontairement tout jeune à la vie ici-bas en tant que Français musulman dans un département français. Parce que, peut-être qu'en patientant un peu tout en usant de la lutte politique pacifiquement, la France aurait pu permettre progressivement aux Algériens d'acquérir quelques droits pour profiter de sa médecine, de son d'éducation, du travail, de son système social, de quelques espaces de libertés spirituelles et culturelles.

Non, ils ont préféré payer le prix le plus cher pour une Algérie libre et indépendante. En effet, pour eux, la question transcendait le contexte économique et les avantages matériels. Elle avait surtout un rapport avec les spécificités anthropologiques de la personnalité algérienne, qui dans sa variété culturelle et ethnique, n'a pas fondu au travers des siècles et des périples de l'Histoire.

En vérité, la majorité des Algériens drainée par le courant nationaliste et le refus du colonialisme y a cru et nourri l'espoir d'une vie meilleure dans l'Algérie indépendante. Ces citoyens ont participé chacun à sa façon pour soutenir l'effort de décolonisation. Alors, une fois l'indépendance politique acquise, ils s'attendaient de fait à ce que cette Algérie démocratique et populaire puisse compenser un tant soit peu les méfaits du colonialisme, en assurant au moins respect, dignité et égalité des chances à ces citoyens désormais supposés libres.

Décrivons un peu comment ils auraient imaginé cette Algérie virtuelle une cinquantaine d'années après l'indépendance. Bien sur, idéalement, elle serait conduite dès le départ par ses meilleurs enfants et donc aurait accordé la plus haute importance à la qualité de sa ressource humaine. Une planification stratégique conduite par des experts talentueux œuvrerait à concevoir et à réaliser des programmes de développement harmonieux et consistant. Il s'ensuivrait à priori une système d'éducation et de formation moderne et performant, une économie équilibrée assurant au minimum l'autosatisfaction alimentaire, une production qualitative des biens et des services, des belles villes accueillantes et de beaux villages au design splendide comme en Hollande, un désert apprivoisé comme au Texas et en Californie, une médecine de qualité au bénéfice de tous, un tourisme multiculturel et florissant comme en Grèce, des réseaux de transport routier, ferroviaire et aérien opérationnels. Bien entendu, les réserves de pétrole et de gaz ne devraient être exploités qu'a un niveau minimum et devrait être préservé pour les générations futures. Dans ce sens, de par sa situation géographique, l'Algérie devrait être plutôt pionnière dans l'exploitation de l'énergie solaire.

Pour les vivants et les survivants à ce jour, l'Algérie est face à nous. Honnêtement, dans quelle mesure ressemblerait-elle à celle pour laquelle les valeureux chouhadas sont morts, les moudjahiddines ont risqué leurs vies et la majorité des citoyens y ont cru ? Non, on a fait fausse route. Le désenchantement est malheureusement bel et bien consommé et les perspectives s'annoncent encore plus pessimistes. Dès lors, il y a une question grave mais légitime qui a fini par s'imposer: le sacrifice pour et la croyance en cette Algérie en valaient-ils la peine ?

Mais pour comprendre cette situation, il est nécessaire de refuser le monopole de l'histoire officielle. Car pour en arriver là où nous en sommes, il fallait que la supercherie et l'imposture commencent très tôt. En tout cas, a chacun sa version et son interprétation de l'histoire. En voici quelques bribes en ce qui modestement concerne la mienne.

Il est aujourd'hui bien établi que durant la période de la révolution, il y avait constitution de clans qui se disputaient la suprématie en prévision de l'indépendance. Il se trouve que l'opportunisme et le peu d'implication effective du clan d'Oujda dans la guerre de libération lui ont permis de se préparer pour usurper le pouvoir et de faire en sorte que l'Algérie devienne une propriété privée dès l'indépendance.

Je voudrais citer seulement trois points. Le premier concerne le rapport de ce clan à l'histoire, le second aux institutions et le troisième à la stratégie de contrôle de la société.

D'abord, il est admis que l'homme le plus représentatif et le plus influent du clan d'Oujda est le colonel Boumediene. Il est curieusement et discrètement passé comme chef autoritaire de l'ALN. Néanmoins, il n'avait apparemment pas beaucoup de faits de guerre pour revendiquer un rôle prioritaire de héros à l'instar de Che-Guevara ou Ho-Chi-Minh. Pendant la guerre de libération et même bien plus tard, beaucoup d'hommes de son entourage s'étaient fait remarquer plus par leur agitation et leur turpitude que par des faits de guerre avérés. Les "guerres" qu'ils ont mené étaient plutôt dirigées contre leurs "frères". Pour installer sa dictature et invoquer une légitimité historique, il lui fallait nier l'histoire qui le désavouait au profit d'authentiques révolutionnaires. Il fallait en conséquence noyer les poissons dans l'eau en décourageant l'écriture libre de l'histoire. Il imposa donc sa loi qui stipulait que "la révolution a été faite par tout le peuple ". Cette règle, si elle est correcte dans son énoncé, elle visait surtout à éliminer toute concurrence possible avec lui.

En second lieu, il y'avait l'autre mensonge que le clan d'Oujda a exploité. Dans ces discours, Boumediene proclamait qu'il construisait "une Algérie dont les institutions persisteraient au-delà des hommes". En réalité, il savait qu'il n'avait pas la compétence pour cela et que son véritable mobile était la folie du pouvoir absolu. Il construisait plutôt un pays pour et autour de sa seule personne, à l'image de la Libye de Kadhafi.

Jeune enfant et puis adolescent, je me souviens de ces premières années de l'indépendance où notre maison, comme de nombreuses autres, était un lieu de rencontres entre moudjahiddines, prisonniers, blessés de guerres, familles de chouhadas, immigrés, et autres personnalités. Dans cette ambiance, il m'arrivait de tendre l'oreille pour écouter ces discussions. Mais, de par mon âge, j'étais surtout intéressé et impressionné par les narrations d'aventures lors de la révolution. Ce n'est que bien plus tard que ces histoires tristes et héroïques m'ont donné la mesure de l'ampleur des souffrances vécues et des tragédies subies par les familles algériennes pendant la guerre de libération. Je reste aujourd'hui profondément convaincu que le prix payé était beaucoup plus cher même pour vivre dans l'Algérie fictive que j'ai essayé de décrire précédemment. Ceci permet aussi de mesurer le degré de la déception et de frustration des citoyens et la responsabilité criminelle de ceux qui se sont approprié ce pays.

Pour qu'il soit un leader incontesté et sans opposition, le colonel Boumediene a adopté une stratégie très simple. S'entourer exclusivement d'opportunistes et des beni oui-oui. En 1972, à Constantine, une crise politique opposa Boumediene et une quarantaine des militants authentiques du FLN à propos d'agissements de certains responsables politiques. Sa réponse était tout aussi simple, écarter les protestataires du FLN par le chantage et la menace. Après la résorption de ce conflit, une expression entendue de la bouche d'authentiques révolutionnaires a marqué ma conscience: "Si on avait pu savoir que l'Algérie serait gérée ainsi par ce genre de responsable, on n'aurait pas pris les armes contre la France". Ce n'est aussi que bien plus tard que j'ai compris toute la signification de cette expression.

Cette pratique de construire un état absolutiste formé d'opportunistes et de Beni Oui-Oui a commencé durant la révolution. Après l'indépendance, il fallait mettre sous le joug toute la société algérienne avec tous ses segments. Le premier segment était l'armée dont les chefs protestataires étaient remplacés par des caporaux de l'armée française. Le deuxième segment était le FLN où les authentiques révolutionnaires étaient remplacés par les opportunistes qui s'accommodaient de la pensée unique et même de l'absence de pensée tout court. Le troisième segment est la constitution d'une lourde et bureaucratique administration aux ordres capables d'étouffer le citoyen protestataire. La mort imprévue de Boumediene l'a déchargé prématurément de ce projet raté mais "what's done is done". Mais heureusement que l'histoire demeure très patiente et ne cesse de rattraper les éléments de ce clan même à titre posthume.

Aujourd'hui, après un demi-siècle d'indépendance; de toute la horde politique passée et présente qui a gravité autour du pouvoir; franchement, il n'en reste plus grand-chose à respecter. Beaucoup de noms que l'on nous a vantés se sont avérés au fil du temps de vulgaires opportunistes. À quelques très rares exceptions près, les quelques rares personnalités qui se sont agités en tant qu'opposants semblent l'avoir fait plus par frustration que par conviction en forme de négociation pour espérer leur récupération par le système.

En fin de compte, si d'un côté, Boumediene a construit un pays pour lui-même; à l'autre bout, Bouteflika n'est capable de le gérer que sous tutelle Française. Il ne reste à ce dernier que le rôle de proxy pour atteler l'Algérie dans une nouvelle forme de département Français. Si le 14 juillet est en principe une journée de deuil pour les Algériens; la parade de quelques soldats algériens ce 14 juillet 2014 à Paris sous l'hymne de la Marseillaise est la cerise sur le gâteau pour la politique française vis-à-vis de l'Algérie. En réalité, l'incompétence, l'esprit de revanche et la fuite en avant de ce président ont conduit ce système politique pourri vers l'isolement au point d'afficher publiquement une étrange fierté d'être un regroupement de traitres et de corrompus.

J'exprime ma profonde sympathie pour la sœur du Chahid Ben Mhidi qui n'a fait que vérifier et exprimer ce que son frère a pu pressentir 55 années plus tôt. Lors de l'anniversaire de la mort de son frère, dans sa quasi-solitude, elle a exprimé à juste titre que "je suis déçue aujourd'hui de voir l'Algérie entre les mains de ces traîtres". (1)

Abdelouahab Zaatri

[1] La soeur de Larbi Ben M’hidi : “Je suis déçue aujourd’hui de voir l’Algérie entre les mains de ces traîtres”

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Commentaires (11) | Réagir ?

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karim Aït Aïssa

Dans sa conquête de l’absolu pouvoir sans partage depuis qu’il a été installé à El Mouradia par le noyau dur du lobby sioniste, Abdelaziz Bouteflika, aidé par les anciens gaullistes, est passé tel un rouleau compresseur sur les ruines de ce que nous appelions le système que la décennie noire avait fait voler en éclat, pour le remplacer par celui qui portera son nom.

En quinze années passées exclusivement à démanteler tout ce qui est susceptible à faire émerger une Algérie nouvelle, tout ce qui a trait à la Morale surtout, il a fini par se faire des ennemis au sein même de son cercle restreint.

En l’état actuel des choses, tout le monde au sens littéral du mot –sauf le Lobby, ses frères et quelques imbéciles- souhaitent en finir avec son règne obscur qui n’a que trop duré.

Abdelaziz Bouteflika est devenu trop problématique sur les deux échiquiers, national et international, seulement voilà, il n’est pas prêt de rendre le pouvoir pour la plus triviale des raisons : c’est qu’il sait, malgré sa démence, que sa tête ne pourra finir que sur le billot. Eternelle logique des choses.

Fou comme il est devenu, non seulement il ne fera rien pour que les choses chez nous aillent dans le bon sens, plus grave que ça, il va continuer, couteau entre les deux mâchoires, dans la logique qui est la tienne, celle de frustration et de vengeance avec laquelle il avait pris place dans le pouvoir pour compte.

Se venger encore et encore jusqu’à rendre son âme au diable, principal dépositaire de cette dernière comme disent les mystiques.

Encore une fois et le répéter à chaque fois : Abdelaziz Bouteflika doit être renversé avant qu’il ne finit par brader l’Algérie à l’entité sioniste, il en a les moyens.

L’Algérie ne mérite pas de finir comme le dernier refuge de la mafia internationale. ck

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Mokrane Chelghoum

Les français de souche et memes de françaises femmes me disent on a eu DE GAULLE en france et votre DE GAULLE à vous c'est BOUMEDIENE. ILS n'avaient pas tort de tout parce que, il fallait etre un homme THERGEZ pour gouverner une ALGERIE dechirée par une longue nuit coloniale brutale et bestiale. Il faudra, à la fois, une force morale intellectuelle et de l'autre un homme therguez qui a de la gueule et du poing. Les deux criteres l'ex-president les avaient. Biensure; on pourra dire maintenant les insuffisances sont nombreuses et les erreurs sont multiples mais le gros travail a été accompli par cet grand homme. Il a aime l'ALGERIE a fond ;son visage , son corps entier tremble de l'amour infini qu'il avait pour la patrie.

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Amchoum Amghar

"mais le gros travail a été accompli par cet grand homme": C'est vrai, le gros travail a été accompli par cette crapule en assassinant ou en forçant à l'exil tout ce que l'Algérie avait d'irgazen.

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