Education nationale : des Assises pour une école debout ?
"L’homme oriente sa voile, appuie sur le gouvernail, avançant contre le vent par la force même du vent" (Alain).
Notre système éducatif étant soumis, depuis de longues années, à tant de critiques récurrentes, force est de constater que la massification n’est pas l’unique ou la principale cause de déboires d’une école qui avait convenablement accompli ses missions, les premières décennies post-indépendantes, alors que le taux de croissance démographique était important (1) et que les ressources financières du pays ne l’étaient pas autant.
Aujourd’hui, sachant les déclarations de madame la ministre de l’Education Nationale, est-il alors permis d’espérer un redressement en faveur d’une autre école, celle où la loi d’orientation sur l’ éducation nationale de janvier 2008 sera respectée, celle d’une République véhiculant des valeurs modernistes, en conformité avec les exigences universelles de ce millénaire où seuls la rationalité, la rigueur, la compétence, le mérite et l’éthique devraient prévaloir, avant maintes autres considérations ?
A cet effet, les Assises nationales de l’Education, en deux jours, le 20 et 21 juillet 2014, qui débattront de divers points, après une année de concertation et de dialogue, comme relayé par la presse, vont-elles permettre d’avancer et de répondre à un minimum d’attentes ? Ces points devraient trouver des solutions dans le cadre d’une gouvernance scolaire enclenchée à partir d’un diagnostic minutieux, prenant appui sur une approche systémique. Et parce qu’il est question d’évaluation pédagogique d’un système, il s’agirait donc d’évaluer les éléments de celui-ci, sans l’ombre d’un doute interdépendants, dont les infrastructures, les enseignants, les gestionnaires, les élèves, le manuel scolaire, les équipements, le matériel et autre outil didactiques, les programmes d’enseignement, leur contenu, leur volume, les méthodologies d’apprentissage, les prérogatives, devoirs et droits des divers partenaires, l’épineuse problématique linguistique …
Ainsi, ce papier succinct ne prétend pas aborder tous les paramètres qui concourent à la qualité du système éducatif, mais seulement survoler quelques-uns. Car la qualité d’un produit, que celui-ci soit matériel ou pas, est une entité mesurable ou quantifiable, obéissant à des normes, des procédures rigoureuses, des démarches scientifiques, et faisant appel à des outils et des indicateurs précis, élaborés.
Ces Assises vont donc probablement soulever les conditions de recrutement des personnels qu’il va falloir sérieusement revoir. Il s’agit également de se pencher attentivement sur la formation continue et l’accompagnement du corps de l’éducation qui devraient faire l’objet d’encouragements, donc de sanctions aussi bien positives que négatives et de primes, la progression de toute carrière devant être intimement liée au rendement. L’équité exigeant donc qu’à rendement différent, corresponde un revenu différent, n’est-il pas temps de mettre un terme à une politique de l’assistanat et du social ? Sinon pourquoi se casser les méninges, quand l’égalitarisme débridé, engloutissant l’homme dans la masse, le transmute en un individu stoïque, mou, allergique à tout effort ?
D’autre part, beaucoup s’accordent à dire que les programmes sont surchargés quelque part, pas judicieusement aménagés, certainement condensés, et que l’on attache plus d’importance à la mémorisation qu’à l’esprit critique, y compris dans des matières telles les mathématiques. En effet, pour celle-ci, il suffit à l’élève aujourd’hui, de stocker en sa mémoire des formules, qu’il doit tout de même savoir appliquer, pour pouvoir s’en tirer à bon compte, sachant qu’un devoir ou qu’une composition de maths n’est trop souvent devenue que la copie conforme d’exercices traités et répétés en classe, à quelques petites nuances près… parfois. Ainsi, Pavlov n’aurait pas mieux fait.
Ce conditionnement constitue un facteur de stress pour tous et n’incite guère à la réflexion, mais plutôt à la précipitation et notamment aux combines, preuve en est le scandale du Bac 2013.Ce stress s’aiguise quand on sait que l’année scolaire est compressée à 28 semaines, alors qu’elle est de 36 à 40 semaines sous d’autres cieux, comme reconnu par la tutelle. Cet écart d’au moins 8 semaines ou deux bons mois dans l’année étant handicapant, ne pourra en aucun cas nous hisser au niveau de pays qui, hier seulement, étaient sous-développés et sont aujourd’hui considérés comme émergents. L’unique solution consiste donc à étaler le volume hebdomadaire des enseignements, pour ne pas condenser ou tronquer le volume de connaissances qui nécessite du temps, pour être mieux dispensé, mieux assimilé par l’élève et pour ne pas propulser des bacheliers à l’université où beaucoup risquent de devenir d’eternels étudiants ou de potentiels chômeurs.
Existe-t-il alors une autre solution que celle d’écourter ce long week-end de deux jours, qui n’était récemment que d’un jour et demi ? Ainsi et à notre humble avis, le bon sens exige de consacrer la matinée du vendredi aux heures de classe, jusqu’à midi, ou tout au moins à onze heures. Cela ne chamboulera pas nos habitudes, ni empêchera tout fidèle de faire ses ablutions et de rejoindre la mosquée, sachant que l’heure de la prière du vendredi a lieu après treize heures, soit deux bonnes heures après la fin du travail. Sinon, l’autre solution consisterait à revenir à l’ancien week-end pour le secteur de l’Education uniquement, c’est à dire le jeudi après-midi et la journée du vendredi. Sinon ? L’on n’aura alors ni le beurre ni l’argent du beurre !
D’autre part, nous avions déjà souligné, lors de précédentes contributions (2), que le problème des effectifs en classe, paramètre incontournable pour un enseignement de qualité, ne relève pas uniquement du secteur de l’éducation, la coordination avec d’autres institutions, devant être consolidée, afin de respecter les délais de réalisations d’infrastructures scolaires et autres. En outre, sous d’autres cieux, l’objectif de 25 élèves par classe date de 1954, ce dernier taux étant aujourd’hui revu à la baisse. Ainsi, pour la comparaison (3), la moyenne des élèves par classe en Tunisie, qui était de 41.7 en 1964 a baissé de façon régulière jusqu’à atteindre 22.1 durant la période qui s ‘étale de 2005 à 2010. Et si le dénombrement de la population peut constituer l’un des facteurs de comparaison, notons que pour le Mexique, les statistiques effectuées en 2012, indiquent 112 millions d’habitants, dont 27,8% ont moins de quinze ans. Ce dernier taux est identique à celui de notre pays et pour la même année, mais il est à constater une moyenne inférieure à 20 bambins mexicains par classe. Chez nous par contre, un effectif de 40 à 45 élèves, a été considéré comme normal. Rajoutons que la presse et d’autres sources sûres, enregistraient en octobre 2013, des cas certes peu fréquents, mais supérieurs à 60 élèves par classe, avec trois à quatre élèves par table, ceci dans des villes, pas un village enclavé, à Oran par exemple, la deuxième ville d’Algérie. Devrait-on enfin signaler que les dépenses en éducation, en pourcentage du PIB, sont de 4.3% pour l’Algérie, 5.3% pour le Mexique, et de 6.2 % chez la Tunisie voisine ?
Un autre point qu’il faudrait très probablement examiner, celui de l’acquisition d’un savoir éco-citoyen qui peut s’intégrer dans toutes les matières enseignées, y compris les mathématiques, et sachant que notre environnement subit le massacre d’une pollution qui n’ en finit pas. Car «L’éducation d’un peuple se juge avant tout dans la rue» dixit un certain Edmondo De Amicis, écrivain, journaliste et pédagogue italien.
D’autre part, comment pourra-t-on encourager les élèves, à opter pour des disciplines scientifiques et technologiques, alors que rien ne semble être fait pour renforcer davantage les travaux pratiques en sciences naturelles et en sciences physiques, en dotant nos établissements scolaires de plus de matériel didactique et d’équipements de laboratoires ? Car les sciences ne se limitent pas à des recettes ou des formules à mémoriser, mais s’appuient impérativement sur l’observation et l’expérimentation. Soulignons que ce matériel n’exige pas systématiquement des moyens supplémentaires conséquents, mais surtout un esprit innovateur des personnels de l’éducation qu’il faut encourager.
Relevons maintenant, pour ne pas côtoyer la désinvolture ou la simplification, que les sciences de l’éducation, accompagnées d’autres branches complémentaires, constituent un carrefour, un point d’intersection d’activités multidisciplinaires et transdisciplinaires. Et puisqu’il est question lors de ces Assises, d’ateliers spécialisés, tout un chacun peut alors supposer que ceux-ci vont être chapeautés par des spécialistes, c’est-à-dire des professionnels confirmés et reconnus, qui activent en sciences de l’éducation et autres disciplines connexes. Car un enseignant n’est pas forcément un pédagogue, même s’il est expérimenté et compétent, dans la mesure où son rôle consiste à s’approprier une somme de savoirs didactiques et pédagogiques lui permettant d’exercer convenablement son métier. De même qu’un pédagogue n’est pas forcément un enseignant, même s’il l’a été. Il est donc évident que la définition de «Pédagogue» à laquelle il est fait allusion ici, n’est pas celle première, généraliste ou schématique d’un dico usuel.
En outre, les laboratoires de nos diverses universités et autres centres de recherche, n’ont pas l’air d’être véritablement impliqués, pour contribuer à l’essor du système éducatif. Car tout cloisonnement ou déconnexion entre l’Education nationale, l’Enseignement supérieur et la Formation professionnelle ne peut être que préjudiciable pour le système éducatif dans sa globalité, d’autant plus que la recherche scientifique est censée être à l’écoute des pulsations de la société.
Par ailleurs, si la tutelle a tout naturellement invité divers partenaires au dialogue et à la concertation, lors de ces assises, nous imaginons que les associations de parents d’élèves ont été conviées à cette rencontre. Il faut donc souhaiter que les représentants réellement représentatifs, soient à la hauteur de l’évènement, lorsque l’on se remémore que certaines associations parentales avaient fait dans le populisme, lors du Bac 2013, avec leurs instantes exigences d’un rachat à 8,50 pour un Bac au rabais, d’un assouplissement du barème de correction, d’un seuil, cette scabreuse âataba et que-sais-je encore. Quitte à le ressasser, les évaluations et les décisions pédagogiques relèvent du ressort exclusif de spécialistes avérés en sciences de l’éducation. Les dites associations ou les parents d’élèves à titre individuel, ont bien évidemment un rôle à jouer, dans le cadre de prérogatives bien définies et à préciser. Ceci contribuera à un climat favorable, quand le rapprochement sera régulier avec le corps de l’éducation, et pas seulement à l’approche des trois examens nationaux, pour un suivi serein de leurs enfants, de tous les enfants. L’effet synergique n’en sera que meilleur. Paraphrasons à l’occasion, une fameuse citation : chacun son métier et les enfants seront bien éduqués. Et puisqu’il est question de Baccalauréat, relevons qu’il ne devrait constituer que le couronnement d’un système éducatif performant au niveau de ses trois premiers paliers. Ce diplôme n’étant en somme, que la cerise sur le gâteau, pourquoi se focaliser sur cette classe terminale, alors que les insuffisances semblent s’accumuler dès le cycle primaire ?
Et si les revendications des syndicats de l’Education sont légitimes, comment faire pour que nos enfants ne soient plus les éternels otages de fréquents débrayages, d’autant plus que ceux-ci sont souvent l’occasion, pour certains, de prolonger des vacances et vaquer paisiblement à leurs occupations extraprofessionnelles, quand ce n’est pas pour aller assurer ces cours dits particuliers ? Incurie alors oblige, le piquet de grève et la noble activité syndicale sont souvent inconnus. Le devoir est mis en veilleuse, mais ça roule plein phare pour déclamer les droits. Cependant, pour mettre un frein aux débrayages intempestifs, il s’agit de savoir dans quel camp se trouve cette balle qui a l’air d’être omniprésente.
Et pour la digression, si l’on veut, pourquoi feint-on de comprendre que le nationalisme consiste en premier lieu, en une levée des couleurs quotidienne dans nos écoles, s’effectuant sous la pluie, ou le vent, ou les rayons d’un soleil tapant sur la caboche de nos mioches lestés par d’écrasants sacs à dos ? Encore une autre digression, si l’on veut aussi. Il s’agit d’encourager la formation professionnelle, afin de juguler les déperditions scolaires, car il est des enfants qui s’épanouiraient nettement mieux, en optant pour un travail dit manuel, d’autant plus que notre pays manque cruellement d’ouvriers qualifiés et d’agents de maitrise.
Une ultime digression, une vraie celle là : Comment justifier ou qualifier cette inimitié forte et localisée qui a surgi envers la ministre de l’Education, à peine installée dans ses nouvelles fonctions, en lui accordant zéro délai de grâce, donc illico presto après sa toute première et très brève déclaration ?
Voilà donc quelques notes éparses et interrogations, suite à des intentions, à travers un discours de madame la ministre de l’Education Nationale, tout nouveau, contrastant avec celui de ses prédécesseurs. Mais une hirondelle fera-t-elle le printemps ? On dit bien chez nous qu’une seule main ne peut applaudir. Ce discours du sens, formulé dans une langue qui ne s‘ apparente pas à celle de bois, là est l’important, ne pourrait que recevoir l’adhésion de larges pans de la société et de son élite. L’espoir est de voir les intentions traduites en actes tangibles, pour permettre à notre école de sortir d’un si long tunnel.
En guise de conclusion, proportionnellement aux ressources dégagées par l’Etat, il devrait être question, d’obligation de résultats ; car en apparence, il ne s’agit pas de ressources insuffisantes, mais plutôt d’une gestion insuffisante des ressources. Pour relever notre école envoyée sur le carreau, la remettre Debout, souhaitons que ces Assises puissent préciser les contours et planter des jalons. L’Histoire gravera honorablement sur ses plaquettes, celles et ceux qui projetteront notre pays vers les cimes de la modernité, du progrès, mais cochera peu dignement, celles et ceux qui s’évertuent à freiner sa roue ou, tout aussi affligeant, qui laissent affreusement faire.
Rachid Brahmi
(1) Le taux de croissance de la population était de 2,07% en 1963, pour baisser jusqu’à 1,11 % en 2012, selon plusieurs liens accessibles sur la toile.
(2) http://rachid-brahmi.over-blog.com/
(3) Les chiffres relevés, proviennent de deux sites, celui nommé Perspective Monde, une encyclopédie de l’université de Sherbrooke, et le site Statistiques mondiales (reprenant en outre, les statistiques de l’Unesco), dont les liens sont les suivants :
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/BMEncyclopedie/BMPresentation.jsp
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