L’opium et le ballon
Les nouvelles du front sont bonnes. Le temps est à la fête et à l’explosion, bruyante, de bonheur ; ce bonheur unanime que procure le phénomène football.
Par Mustapha Hammouche
Enfin, une réalisation “historique” que nous rappelleront longtemps les ouvertures de JT nationaux et les unes de journaux. Pour un temps, le consensus légitimant que suscitent de tels exploits sportifs nous éloignera des difficultés, des questions et des inquiétudes qui, autrement, continueraient à nous tarauder. Mais dans l’état d’esprit qui nous unit, l’évocation même de ce qui va mal vous vaudra la charge accablante de coupable rabat-joie.
Et puis, pourquoi se priverait-on d’une récréation, quand le reste du temps tout n’est pas rose ? Faire jeu égal avec les Russes après avoir battu les Coréens, ça se fête, en effet.
Tant pis si, hier, quelques heures avant le coup d’envoi du match “historique”, tombait l’annonce que l’Algérie avait acheté deux sous-marins aux Russes. Deux sous-marins nucléaires. Mais – attention ! – nous ne sommes pas pour autant déjà une puissance nucléaire. Car ce qu’il y a de nucléaire dans ces engins, c’est le carburant, pas les munitions. Il faudra acheter le carburant, par la suite, en attendant d’acheter la technologie. Mais à la vitesse où nous importons encore le gasoil, l’on peut douter de l’imminence de cette acquisition technologique.
La technologie exige de l’investissement. Une équipe de football performante en demande aussi. Beaucoup. Beaucoup pour une équipe, mais peu pour les retombées psychologiques et politiques qu’il induit. Mais pour faire du développement, il faut investir bien plus que dans vingt-trois “cerveaux” et quelques stages ! Et le foot, ça rapporte, pour le bonheur général, bien plus que des unités de recherches ou de production. L’industrie des compétitions footballistiques internationales, en s’imposant comme centres d’intérêt populaire renouvelables, plonge périodiquement les masses dans un monde de l’éphémère.
Peut-être qu’à force de profiter des bienfaits politiques d’une équipe nationale performante finira-t-on par intégrer le sport comme élément d’éducation nationale et sa pratique comme droit citoyen.
Et par concevoir la politique qui va avec !
Pour revenir à l’heureux événement du jour, l’aventure continue. Et, désormais, quelle que soit la fin de l’épopée brésilienne, il y en aura déjà eu assez pour justifier la fête et légitimer la fierté. Là est le pouvoir du football : à lui seul il peut excuser tous les échecs, tous les déficits et tous les abus. Gare à celui qui fera la fine bouche sur le budget, sur les extravagances du sponsoring national. L’autoritarisme populiste est – hiérarchiquement – contagieux : un P-DG décide, au pied levé et sur-le-champ, de financer, en cas de qualification de l’équipe nationale, la prolongation du séjour des supporters présents au Brésil. L’amour de l’équipe nationale de football n’a pas à s’embarrasser du processus de décision qui s’impose à une entreprise publique, ni des règles de transfert édictées par la Banque d’Algérie.
Si l’on ne peut offrir le bonheur au peuple, offrons-lui son opium. Puisque l’effet est le même.
M. H.
(in Liberté)
Commentaires (4) | Réagir ?
merci
Les longues missives de soutien après chaque match de gagné, est-ce que ce n'est pas de la récupération des succès de l'EN au profit du pouvoir. Serait-il possible de transférer Ouyahia au Brésil pour traficoter les résultats et faire gagner l'EN? Il faut accorder toute l"égalité de chances pour tous n'est-ce pas?, comme pendant les dernières et les avant-dernières élections, il n"y a que l'iktina3 de Ouyahia qui pourrait l"offrir.