Rapport Ménard : un cadeau du Québec aux étudiants de l’Algérie
Un rapport détaillé de 450 pages sur une crise qui a secoué les fondements politiques du Québec au printemps 2012 est disponible gratuitement sur Internet depuis le 21 mai. Il explique en détail comment a été créée une crise qui a entraîné 1 370 manifestations ou actions de perturbation et des confrontations sanglantes entre étudiants et policiers.
Ce document montre aux étudiants comment faire valoir leurs droits d’une manière qui optimisera le résultat de leurs actions et quelles sont les erreurs à éviter. En ce sens, il devrait être lu soigneusement par tous les mouvements étudiants de la planète et plus particulièrement par ceux de l’Algérie.
Le mandat de comprendre ce qui s’était passé pendant le printemps érable de 2012 avait été donné à un ex-ministre, a une ex-présidente de la Confédération des syndicats nationaux et un juge à la retraite. Ils devaient expliquer pourquoi un mouvement qui se voulait pacifique a donné lieu à la plus importante vague d'arrestations de l’histoire moderne du Québec. Ces personnes avaient la capacité de le faire. Le meneur du groupe, Serge Ménard, s’est illustré dans le passé pour avoir assuré la sécurité au Sommet des Amériques à Québec en 2001, créer l'escouade Carcajou pour contrer des motards criminels et gérer la crise d’Oka. Le Rapport Ménard a donc été créé pour être un outil dont les gouvernements, les forces policières et tous les acteurs de la société civile pourront se servir afin d’éviter des crises comme celle que le Québec a vécue.
La succession d’événements qui devaient faire tomber le gouvernement Charest a commencé en février 2012 lorsqu’il a annoncé une hausse substantielle des frais de scolarité universitaire. Les Coalition et Fédération étudiante universitaire du Québec ont alors déclenché un mouvement de grève générale illimitée. Cette confrontation s'est aggravée lorsque sont arrivés le projet de loi 78 et les règlements municipaux sur l’interdiction du port de masque et l’obligation de fournir un itinéraire avant une manifestation. Plus de 1288 enregistrements audiovisuels dont plusieurs montraient de la violence policière ont été mis sur des sites Internet comme YouTube pendant le printemps érable. À la grande manifestation du 22 mai, 250 000 Québécois de tous âges ont marché pour dénoncer ce projet de loi 78 qui avait été adopté le 18 mai. Parmi les confrontations les plus médiatisées se trouvait l’émeute du 4 mai 2012 à Victoriaville où un étudiant a perdu un œil et une autre l’ouïe d’une oreille. Des infirmières ont rapporté près de 400 interventions médicales au sein des manifestants qui ont subi des fractures graves, dont deux du crâne. Des moyens de pression économiques ont aussi été utilisés par la police pendant le printemps érable comme la distribution de plus de 3400 contraventions qui dépassaient les 300 euros a des étudiants. Rappelons que le résultat de cette crise a été la victoire des étudiants qui ont finalement fait chuter le gouvernement.
Le rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012 a été très mal reçu par le gouvernement. À preuve, le document final de 450 pages de l’organisme qui avait commencé ses travaux le 31 mai 2013, a été rendu public le soir du 21 mai, juste avant la finale du match des Canadiens contre les Bruins, qui a naturellement monopolisé l'attention des médias. Le hockey est pour les Québécois ce qu’est le soccer est aux Algériens. Le lendemain, la vice-première ministre du Québec qui est aussi la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a affirmé qu'elle ne se sentait pas du tout concernée par ce rapport qu’elle considère comme une réponse politique à une commande politique. Pour sa part le chef de police de Montréal n'entend apporter aucun changement majeur bien que près des deux tiers des recommandations du rapport visent ses policiers qui sont blâmés pour leurs stratégies de contrôle des foules et les conditions de détention imposées aux manifestants arrêtés. Leur liberté d’action serait d’ailleurs fortement entravée si les 28 recommandations de ce rapport étaient mises en application. La Commission critique les arrestations massives et l’emprisonnement de centaines de personnes. Elle recommande aussi d'interdire le poivre de Cayenne et les grenades assourdissantes. Un moratoire est même demandé sur l’utilisation de projectiles de plastique. Le rapport montre en fait la détérioration accélérée au cours des dernières années des droits fondamentaux au Québec et plus largement la dérive autoritaire des élus.
Du côté de ceux qui appuient les recommandations de ce rapport, la Ligue des droits et libertés a affirmé qu’il y a urgence de revoir les pratiques des forces policières. Elle rappelle en ce sens le rapport Perreault sur l'affaire Villanueva, un autre cas de bavure policière qui a mené à la mort d’une personne de minorité visible. Selon la ligue, le rapport de la commission Ménard montre une fois de plus que l'usage de la force policière au Québec doit être revu et que seules les personnes qui ont commis des infractions peuvent être interpellées. Selon elle, une manifestation pacifique ne doit pas être dispersée sur la base d'actions isolées de perturbateurs.
Les stratégies d'encerclement et d'arrestation de masse y sont aussi mises à mal puisqu’elles ne ciblaient pas des gens qui s'apprêtaient à commettre un acte criminel, mais plutôt des manifestants étudiants ordinaires. Face aux dérives constatées de la part de certains policiers, la Commission recommande une amélioration de leur formation sur l'importance du droit de manifester. Chose plus importante, elle donne le chemin pacifique pour éviter qu'un conflit ne dégénère en crise sociale. Elle montre que les abus des forces policières, légitimés par la Loi spéciale adoptée par le gouvernement, ont favorisé l'installation d'un climat de peur.
Tous les mouvements étudiants devraient donc lire ce rapport qui décrit dans le détail comment un mouvement pacifique s’est transformé en mouvement social puissant qui a fait tomber un gouvernement. Les manifestants peuvent aussi y trouver comment faire valoir leurs droits sans tomber dans les excès qui se sont produits pendant le printemps érable. En ce sens, les conclusions de ce rapport sont particulièrement indiquées en Algérie. Paris n’a-t-il pas récemment dénoncé les actions de la police algérienne pendant une manifestation d'opposants au président Bouteflika qui appelaient au boycott des élections du 17 avril ? La France avait alors demandé le respect la liberté d'expression et le droit de manifester. À l’heure de la mondialisation des médias, quand la police ne se gêner pas pour frapper sauvagement sur les manifestants, ces actions font les manchettes des journaux du monde entier. Le rapport Ménard décrit comment les jeunes manifestants kabyles qui se sont fait matraquer par des groupes de policiers pour avoir manifesté pacifiquement, pourraient sortir victorieux de cette confrontation. Comme tous les autres pays, l'Algérie doit observer les normes en matière de promotion et de défense des droits de l'homme. S’il ne le fait pas, Bouteflika pourrait se retrouver dans la position de son homologue québécois, Jean Charest et perdre le pouvoir de manière déshonorante.
Michel Gourd
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"l'Algérie doit observer les normes en matière de promotion et de défense des droits de l'homme. S’il ne le fait pas, Bouteflika pourrait se retrouver dans la position de son homologue québécois, Jean Charest et perdre le pouvoir de manière déshonorante. " C'est rigolos comme conclusion, Bouteflika ne perdra aucun pouvoir, pour une raison toute simple, au Quebec il y a un état, un peuple et une démocratie, de l'autre côté, il y a rien, walou, il y a juste un groupe de tube digestifs ambulants, une gérontocratie, une rente pétrolière qui permet de remplir la panse d'El Ghachi.