L’Algérie ou l’histoire d’un clochard avec 200 milliards en poche
Peu après la promulgation des premiers résultats des présidentielles 2014 par le ministre de l’intérieur et des collectivités locales, de nombreuses tables rondes ont été organisées par des chaînes étrangères dont France 24 et El Djazira dans son émission "ce que cache l’information", un spécial C dans l’air à France 5 et bien d’autres par exemple, celle locale, El Djazairia, pour à la fois commenter avec des experts et des politiciens ces résultats ensuite spéculer sur des perspectives d’avenir politiques, sociales et surtout économiques.
Une constante se dégage de ces débats, c’est que les partisans du quatrième mandat développent un langage "cool" et essaient par tous les moyens de faire adhérer les représentants des candidats malheureux à leur projet. Ils avancent cependant des arguments économiques, disons peu convaincants et qui tourne autour de la fameuse manne financière que le pays devait amasser depuis le redressement des prix du baril du pétrole en 1996 et surtout de la croissance qui s’en est suivi. Cette modeste contribution tentera en la circonstance de lever la confusion dans les programmes, des notions de l’accumulation des richesses par une croissance économique et le développement économique.
1- Des concepts eux-mêmes
Il faut préciser d’emblée que même dans un sens pratique, posséder ou amasser une richesse peut ne pas servir au développement de son propriétaire. On peut par exemple citer le cas classique de ce riche héritier dont la part reste dans l’indivisible et faute de partage, il vit toujours dans la misère. Les économistes de développement (01) sont unanimes sur le sujet. En effet, la croissance et le développement sont certes des indicateurs qui servent à comparer des groupes de pays mais il faudrait les manier avec davantage de prudence au risque de fausser l’analyse du processus de développement lui-même. La croissance par exemple met dans son numérateur la valeur de tous les produits et services générés par l’économie d’un pays par an. Déjà, à ce niveau d’analyse, on peut vérifier l’origine et les moyens qui ont permis à leur élévation dans le temps. On pourra diviser cet ensemble par la population pour obtenir ce que les économistes qualifient de Produits National Brut (PNB) par tête d’habitant, lequel indicateur peut augmenter chaque année sans pour autant mettre nécessairement la nation sur la voie du développement, car ce dernier exige davantage d’implication interne tout en restant ouvert vers l’extérieur. Plusieurs exemples, peuvent étayer cette thèse. La Corée du Sud par exemple a vécu depuis le début des années 60, un processus totalement différents de celui qu’a connu l’Algérie ou la libye. Ces pays ont enrigistré une forte hausse des revenus individuels, mais dans les pays à forte rente, cette élévation à été le fait des firmes étrangères, au personnel constitué en majorité de techniciens expatriés et qui généraient un produit unique, consommé principalement aux Etats-Unis et en Europe occidentale et ces dernières années en Asie. En dépit des revenus importants qu’ils ont tirés de leur pétrole, les pouvoirs publics et le peuple libyen n’ont guère participé à la production de ces revenus. La croissance due aux activités pétrolières a eu, dans une large mesure, un effet équivalent à celui qu’aurait provoqué la décision d’un pays riche d’accorder à ces pays sous forme de dons, une aide importante. C’est pour cela qu’on ne pourra décrire, l’expérience libyenne, qui pourrait différer dans sa forme de celle algérienne comme un processus de développement économique. Parce que, outre une augmentation des revenus par habitant, celui-ci devra impliquer des changements fondamentaux dans la structure de l’économie, du type de ceux enrigistrés en Corée du Sud depuis 1960 et qui ont permis à ce pays de « décoller » économiquement. Dans ces changements structurels, les plus prioritaires pour les Sud Coréens étaient la part croissante de l’industrie –accompagné par une baisse de celle de l’agriculture visible dans leur produit national brut. Automatiquement, celui-ci se traduit par une augmentation de la part de la population urbaine par rapport à la population rurale. En plus, les pays qui s’ouvrent au développement économique passent en général par des phases d’accélération plutôt que le ralentissement de leur croissance démographique, marquées par un bouleversement de leur structure nationale des âges. On assiste également à une transformation des schémas de consommation interne, car la population, délivrée de l’obligation de dépenser tous ces revenus pour l’achat de produits de première nécessité, s’oriente plutôt vers des biens durables et, ce en fin de compte, vers des produits et de services liés aux loisirs. Cela permet de baisser la tension sociale, stimuler la confiance et faire adhérer la population au modèle de développement choisi. Un des éléments clé du développement économique est que les habitants du pays doivent être parmi les principaux participants au processus qui a amené ces modifications structurelles. L’intervention externe et plus particulièrement étrangère est possible peut être inévitable, mais elle ne saurait constituer l’essentiel. La participation au processus implique la prise de part aux fruits du développement et à la production. Lorsque la croissance ne bénéficie qu’à une minorité prospère, nationale ou étrangère, il n’y a pas de développement. Il faut cependant signaler que si développement économique et croissance vont au-delà d’une augmentation de revenu ou du produit par tête, il ne peut pas y avoir développement sans croissance économique.
2- Qu’en est-il en Algérie ?
Au départ, dans la même période que la Corée du Sud, le modèle de développement entrepris par les Algériens était imposé par les circonstances : le départ massif des colons et l’abandon des moyens de production. En dépit de cela, il était centré sur le facteur humain Quelles sont justement les bases qui sous tendent le développement du modèle économique Algérien ? Dès les premières années de son indépendance, l’Algérie devait opter pour un modèle de développement basé sur la mécanisation des moyens de production. Son objectif est d’aboutir à un tissu industriel qui créera le maximum d’emploi. Son premier plan triennal 1970-1973 prévoyait l’emploi de "toute la population masculine à l’horizon 1980". Il s’agissait d’œuvrer pour l’épanouissement du citoyen qui n’a que trop souffert de l’indigénat. Cela paraissait cohérent en dépit des insuffisances constatées, en tous les cas un large consensus se dégageait autour de ce modèle de développement. Il a été confirmé par une approche théorique qui consistait de créer un tissu industriel formé de puissantes sociétés qui auront la mission de capitaliser, consolider et surtout fertiliser le savoir et le savoir faire afin de prendre plus tard la relève des hydrocarbures. Cette ressource justement s’échangeait pour assurer le financement de cette démarche. Les technocrates qui avaient pris la gestion du pays après la mort de Boumediene, fortement impressionné par le modèle américain, pays où ils étaient formés ont procédé à une réorientation de l’économie nationale en commençant par un désengagement de l’Etat sans aucune transition consensuelle. La conséquence immédiate á été un déficit de confiance entre l’Etat et le citoyen qui se retrouve sans référence ni marqueur après plus d’une décennie d’effort et de privation qui semblent partir en fumée. Depuis, tout ce qui se mettait en place par les différents gouvernements qui se sont succédés ne donnait aucun résultat tangible sinon d’enfoncer un peu plus le pays vers un avenir inconnu. Deux événements ont montré la vulnérabilité de cette réorientation. Le premier est le contre choc pétrolier de l’été 1986 qui a ramené le prix du baril à moins de 10 dollars suivi juste après de la chute du court du dollars, ont mis à nu la fragilité de l’économie Algérienne et sa soumission à des facteurs exogènes et qui échappent totalement aux décideurs. Le deuxième est venu avec le redressement des prix du baril de pétrole et la constitution de la fameuse manne financière. La croissance qui s’en est suivie n’a pas abouti au développent économique de l’Algérie mais plutôt aux partenaires étrangers. En effet, cette manne se trouve à l’étranger et sert au développement des pays où ces capitaux sont placés.
Avec près de 65,75 milliards de dollars d’importation en 2013, c’est les fournisseurs des biens importés qui font activer leurs économies et certainement pas l’Algérie. Globalement, on peut qualifier la situation économique algérienne de tout sauf de compétitive et diversifiée donc un pays si l’on se referait à ses revenus paraîtrait riche mais cette richesse malheureusement ne sert pas le développement économique dans son ensemble. Comment constatons-nous sur le terrain la clochardisation d’un peuple ? Sur le plan économique, le peu de savoir et savoir-faire capitalisés par les puissantes sociétés nationales dans les différents secteurs s'est effrité. Les Algériens ne savent plus travailler la terre. Elle est devenue un vaste champ artisanal. Le célèbre grenier algérien connu bien avant la colonisation a été bétonné. On importe tout. Le ridicule a été poussé jusqu'au jour où un certain «Azzoug» se présente à la télévision nationale pour proposer d'importer la viande à - 60 DA le kg. Si ce projet avait été concrétisé, que serait devenu l'élevage des bovins en Algérie ? On ne sait plus construire des bâtiments, des routes et on fait appel aux Chinois et aux européens pour le faire. Les catastrophes naturelles comme les différents séismes qu'a connus le pays ont montré l'amer regret d'avoir éclaté la Sonatiba et la DNC. On ne sait plus produire et distribuer de l'énergie sans faire appel aux étrangers. Les techniques d'extraction des hydrocarbures ont été laissées aux américains, sous les bons auspices de l'ancienne puissance coloniale (TFT, Hassi Berkine, Tiguentourine, etc.).
L'expertise parapétrolière a été abandonnée au profit des multinationales comme Schlumberger, Wetherford, etc. et, ce, avec la mort programmée de Alfluid, Aldia, pour ne citer que ceux-la. Le boosting des gisements fatigués a été confié aux Japonais sans aucune intervention des nationaux. La base logistique de Beni Mered à Blida était construite pour produire des pièces de rechange grâce à ses puissants fours s'est limitée au moulage des statues pour Riadh El Feth qu'on montre comme une fierté nationale. En somme, on est passé d'une économie en voie d'industrialisation à celle de bric-à-brac qui a permis aux fortunes indûment acquises de s'incruster pour justement former et consolider le système en vigueur à ce jour. Sur le plan social, le modèle de développement choisi après l’indépendance n'a pas été gratuit, mais a demandé des sacrifices énormes mais aussi et surtout un coût humain qu'il ne convient pas de considérer comme une conséquence de l'échec du modèle de développement mais plutôt comme un fort tribut payé pour atteindre l'objectif visé. Ils auraient sans aucun doute été facilement dissipés si le rythme de développement n'aurait pas été rompu ou s'ils avaient donné un résultat. Ce coût humain consistait dans un changement radical des structures sociales anciennes. La dislocation de la famille par migration, l'acquisition de nouvelles habitudes de consommation et de mode de vie, la contradiction entre vie au travail et hors travail, la lutte acharnée parfois humiliante contre le pouvoir bureaucratique, l'acculturation par un procès de travail installé par les sociétés capitalistes censé fonctionner dans les conditions locales, un environnement international hostile à l'industrialisation dans le tiers-monde en général et l'Algérie en particulier pour s'emparer de la matière première à des prix avantageux
3- Les perspectives d’avenir doivent être laissées à l’appréciation des jeunes
L’Algérie a toujours marginalisé politiquement sa jeunesse en l’étouffant. Pourtant elle est contrainte à un nouveau virage dans le domaine démographique, avec un fait exceptionnel en 2014, il y aura plus d’un million de naissances, pour la première fois dans l'histoire du pays. Cette évolution confirmera l’exceptionnelle poussée démographique enregistrée depuis bien longtemps, selon l'ONS, qui estime la population algérienne au 1er janvier 2013 à 37,9 millions d'habitants. En 2014, selon les prévisions de l'office, le pays comptera 38,7 millions d'habitants, résultat d’une forte hausse des naissances, d’une hausse tout aussi remarquable du nombre de mariages, qui expliquent, selon l'ONS, cette nouvelle explosion démographique que connaît l’Algérie. En fait, la hausse démographique naturelle a débuté en 2008, avec une progression de 1,92%, puis 1,96% en 2009, 2,03% en 2010 et 2,04% en 2011. Si l’on considère le taux des citoyens de moins de 15 ans à 27,8% et ceux âgés de plus de 64 ans à 5%, on peut estimer ceux en âge d’activité à 67,2%. Ceci est énorme en matière d’énergie disponible. Mais malheureusement cette énergie est dissipée dans le vide sans aucun profit dans l’intérêt général. Ramené à la population totale, la masse active algérienne ne représente que 32% presque équivalente à l’Egypte mais derrière la Tunisie (36%), le Maroc (36%) enfin la Libye (39%). Il est donc intéressant de capter cette entropie pour la réorienter dans le sens des objectifs nationaux. Aujourd’hui cette jeunesse approchée dans les écoles moyennes, les universités, les entreprises et les institutions étatiques, celles privées, les places informelles, les mères aux foyers pour voir ce qu’elle pense de leur avenir, livre un bien sombre tableau. D’abord ces jeunes aussi bien les filles que les garçons ne croient pas à l’ascension sociale. Ils se sentent trahis par leurs aînés qui ont tout pris (logements, argent et postes de travail) depuis le départ des colons et l’affaire des biens vacants. Ils pensent être sacrifiés et perdus. Pourquoi cette perte ? Parce qu’ils n’ont plus de marqueurs qui étaient leur moule d’orientation mais qui s’effrite avec le désengagement de l’Etat. Ils ne veulent pas connaître le travail aliènent comme leurs parents. Ils aspirent à plus d’autonomie pour entreprendre et faire face aux challenges. Ils n’aiment pas les responsabilités dans des postes publics pour se consacrer à leur petite famille et de ne pas les sacrifier comme l’ont fait leurs parents. Ils s’accommodent malgré eux aux gains faciles et donnent l’impression d’être heureux. Si les experts internationaux qui ont travaillé pour le compte de l’ONU les jugent heureux en les plaçant à la 73e place sur les 156 pays analysés c’est qu’ils s’appuient sur des critères subjectifs et des notions fausses. Le PIB par tête d’habitant est un raccourci de tendance, quant à l’espérance de vie, ce n’est certainement pas l’Etat qui l’assure avec ses hôpitaux mais le marché parallèle de devise. La «générosité» ou la «possibilité de pouvoir compter sur quelqu’un», elle est probablement liée à l’importance des liens familiaux dans le contexte exceptionnel Algérien .Il faut ajouter à cela une vision sociale faite de soutiens aux prix et marquée par des transferts sociaux importants pour entretenir une paix sociale comme les dispositifs d’aide aux jeunes par les micro crédits etc.
En définitif, l’Algérie continue par cette démarche à faire du sur place sans trouver la piste du décollage de son économie. Mais, jusqu’à quand ce soutien de la rente ?
Rabah Reghis, Consultant, Economiste Pétrolier
Renvoi
(01) M. Gillis, DH.Perkins, M.Roemer, DR. Snodgrass «Economics of development» edition W.W. Norton and Company INC.
Commentaires (6) | Réagir ?
merci
c l'histoire de voyous avec 200 milliards en poche avec a leur tete un charlatan venu du maroc