Alger, lendemain d’une élection présidentielle : choses vues
Vendredi matin, journée ordinaire. Rue Didouche, devant ce qui fut le Café Cercle Taleb Aderahmane, un portrait de Bouteflika, arraché, rare témoin d’une guerre électorale qui n’a pas eu lieu, traine par terre.
Par Hassane Zerrouky
Peu de passants et peu de voitures. Commerces fermés sauf les boulangerie- patisseries et quelques superettes. Quelques cafés ouverts, celui qui se trouve à proximité de la place Audin, un autre à proximité du marché Reda Houhou (ex-Clauzel) et en s’enfonçant rue Ben M’Hidi, le Milk-Bar. Midi, prière du vendredi. Tout ferme. Les rues se vident.
Avec une heure de retard, à 16 h 30, Tayeb Belaiz, le ministre de l’Intérieur, rompt l’ennui qui s’est emparé de la capitale. Il annonce les résultats – Abdelaziz Bouteflika est élu - et répond à quelques questions de journalistes. A l’autre bout de la ville, dans sa permanence, Ali Benflis dénonce une "fraude d’une grande ampleur".
La fête n’a pas eu lieu, pas plus que le scénario ivoirien
Mais le scénario à l’ivoirienne tant redouté, avec deux candidats se proclamant vainqueurs d’une non-élection, n’a pas eu lieu. Le dispositif sécuritaire déployé au centre-ville n’aura servi à rien sinon à impressionner les journalistes étrangers dont quelques uns avaient planté leurs caméras dans l’espoir de filmer une manifestation d’opposants.
A 18 heures, le centre-ville s’anime, place Audin le décor est déjà planté : les partisans de Bouteflika – une trentaine, pas plus – sont là, rassemblés autour d’un petit camion muni d’une puissante sono. Musique aidant – du raï pour commencer – à fond la caisse, bonjour les oreilles, la fête s’annonce. Tout autour, beaucoup de curieux. Rue Didouche déboulent des voitures dont les matricules portent un double zéro, donc neuves. Décorées de portraits du vainqueur du scrutin, emblème national au vent, elles klaxonnent à tue-tête. Aïe les tympans. Place Audin, elles s’arrêtent, des jeunes descendent scandant "Bouteflika, Bouteflika", provoquent des encombrements pour créer un effet de fête de masse, genre coupe du monde pour fêter la qualif de l'Algérie, sous l’œil des caméras de la télé publique et des télés privées proches du pouvoir, et de policiers qui, deux jours avant, n’avaient pas hésité à sortir la matraque pour empêcher les jeunes de Barakat et quelques barbus du mouvement Rachad de Mourad Dhina de manifester.
Les cortèges de voitures, les mêmes, effectuent des rondes sur un circuit empruntant la rue Didouche à la Grande poste, la rue Pasteur, le tunnel des Facs, place Audin, Mohamed V, un bout du Telemly avant de redescendre la rue Didouche. Quelques-unes, pas trop, s’aventurent sur le front de mer jusqu’à la place des Martyrs. . Quelques pétards sont jetés ainsi que quelques feux d’artifices.
Il est 22 heures passées. Extension des lampions. Les rondes de voitures cessent. A onze heures, place Audin et à la Grande poste, la foule n’est pas au rendez-vous. La liesse populaire n’a pas eu lieu. Les quelques dizaines de jeunes qui dansent ici et là finissent par se lasser. Les rues se vident. La fête est finie. Le silence règne de nouveau sur Alger.
Samedi, deuxième jour de week-end, la vie reprend. Les rues sont animées. Les terrasses de cafés sont bondées. Il y a beaucoup de femmes. Ça discute de tout, de politique, de banalités mais surtout de la Liga espagnole. "Enfin, c’est fini, on va pouvoir s’occuper d’autre chose", dit ce commerçant de la rue Didouche. "Pendant trois semaines, on n’a presque rien vendu. Les gens ont dépensé leur argent pour se ravitailler. Ils avaient peur", me dit cette libraire toute contente de voir revenir sa clientèle.
Peur sur la ville ?
Bab el Oued, mercredi matin veille du scrutin. Le marché des Trois-Horloges, on fait le plein des couffins. Razzia sur les pommes de terre, les légumes secs, le riz, la semoule, le sucre, le café, le poulet, la viande et le poisson. Pourtant, ce n’est pas le ramadan. Même scène aux marchés Réda Houhou et Meissonier. "ça va chauffer", me glisse cette ménagère. Ah bon ! «"Mais oui, ya sidi, ils veulent la Syrie, biid char (que la malediction s’éloigne. Vous vivez où (ouine rak aïache ?)", me lance-t-elle avant de demander du vinaigre. «khlass y a el hadja» lui répond le patron de la superette. Le vinaigre, disparu des étalages ? "Ça protège des gaz lacrymogène", m’explique-t-il derrière sa caisse enregistreuse. "Ils sont devenus fous. Vous avez entendu Amara Benyounès ? Il n’arrête pas de menacer. Ou Benflis qui dit que le peuple ne se fera pas voler son vote ?"
L’après-midi, le centre d’Alger est quadrillé par des centaines de policiers. Soudain, les policiers massés devant l’université se précipitent vers la place Audin suivis par une meute de photographes et de caméramans. Barakat est là. Une vingtaine de militants. Pas plus. La rue Pichon qui débouche sur la rue Didouche est bloquée par des policiers, de vrais maousse-costauds. Des «djazair horra démocratie» fusent. Amira Bouraoui hurlant «ne me touchez pas» est embarquée manu militari. Des baltaguias sont présents. Ils insultent les manifestants, les traitant de «chabaâanine» (ceux qui ont le ventre plein) quand déboule sur la rue, brandissant une pancarte un militant de Rachad poursuivis par une dizaine de policiers qui le ceinturent et l’embarquent. La manifestation est empêchée. Des groupes de discussions se forment sur les trottoirs donnant lieu à des affrontements verbaux entre ceux qui dénoncent la répression (pas forcément membres de Barakat) et ceux qui invoquent la Syrie et la Libye, la manipulation occidentale pour contester cette manifestation.
La mort des soldats
Dimanche, retour à la réalité. Via les réseaux sociaux et le bouche à oreille, la mort de 11 soldats, âgés entre 23 et 27 ans, tués samedi soir dans une embuscade tendue par l’Aqmi, près de Tizi-Ouzou, se répand dans la ville. C’est le choc, la consternation, l’effroi. Quelques jours avant, Sellal, Ouyahia, Belkhadem, avaient multiplié les appels aux « terroristes » restés au maquis "à rejoindre leurs familles pour vivre dans la paix et la dignité". A force de les matraquer sur le thème de la paix retrouvée grâce au président Bouteflika, les algériens ont fini par oublier que le terrorisme islamiste se trouvait à 60 kms à vol d’oiseau et non du côté du Mali ou de la frontière libyenne.
Le sang de ces jeunes militaires n’avait pas encore séché que la police anti-émeute entrait en action à Tizi-Ouzou contre les quelques centaines de personnes qui voulaient commémorer le 34 éme anniversaire du printemps berbère, alors qu’à Bejaïa et Bouira, tout s’était bien passé. Pour faire oublier le terrorisme islamiste ?
H.Z.
Commentaires (3) | Réagir ?
merci pour les informations
Il n'a pas été élu, mais intronisé Calife, sans couronne, comme le dit l'adage bien de chez nous" Aàmek amar draà sha u lkhardjane triq" ton oncle amar la force, la"santé" et hors la loi" Bouteflika maintenue en vie artificiellement, soutenue par le régime Français, de Sarkozy a Holande, pour ridiculiser les Algeriens, en prennant leur revanche sur l'histoire, écrite en lettre de sang par nos martyrs.