Ukraine : menace de sécession des régions de l'Est
Les escarmouches dans l'est de l'Ukraine provoquées par les manifestants pro-russes déstabilisent le pouvoir de transition, qui y voit la main de Moscou.
L'Ukraine était confrontée lundi à une menace de sécession dans l'Est russophone où des activistes ont proclamé une "république souveraine" à Donetsk et réclamé leur rattachement à la Russie, un plan pour "démembrer" le pays, selon le gouvernement pro-européen de Kiev. Les régions de l'Est ukrainien, frontalières de la Russie, ont connu une brusque montée de tension quand des manifestants pro-russes, certains masqués ou cagoulés, ont attaqué et pris dimanche le contrôle de bâtiments officiels - administration locale ou services de sécurité (SBU) - dans les grandes villes de Kharkiv, Lougansk et Donetsk. La police, avec ordre d'éviter au maximum les violences, ne s'est pas opposée à eux par la force.
Le président russe Vladimir Poutine s'est engagé à défendre "par tous les moyens" les populations russophones des républiques de l'ex-URSS en cas de violences, et a massé jusqu'à 40 000 soldats aux frontières de l'Ukraine, faisant redouter une invasion. Les protestataires avaient immédiatement descendu les drapeaux ukrainiens bleu et jaune pour hisser à leur place le blanc-bleu-rouge russe. À la suite des négociations, les manifestants ont évacué le bâtiment de l'administration à Kharkiv, mais à Donetsk la situation restait extrêmement tendue. Après l'administration, des manifestants se sont emparés du bâtiment du SBU, selon la police, et lundi certains activistes étaient armés. Un groupe d'inconnus a tiré en l'air près de la télévision locale selon la police, dont les hommes ont eux aussi tiré en l'air en réplique. Et lundi matin, les protestataires, barricadés dans les locaux de l'administration, y ont proclamé sous les vivats une "République populaire de Donetsk", comme le montre une vidéo postée sur Internet.
"Forces d'interposition"
Un de leurs représentants est sorti annoncer la décision aux journalistes, pas autorisés à entrer. Selon l'agence Interfax, les protestataires ont décidé d'organiser un référendum sur une souveraineté régionale avant le 11 mai, alors que le site d'information régional Ostrov affirmait qu'ils ont décidé de demander à rejoindre la Fédération de Russie. Des images à la télévision ukrainienne Kanal 5 montraient un orateur demandant l'envoi de "forces d'interposition" russes, faisant craindre un scénario similaire à la Crimée, péninsule ukrainienne rattachée en mars à la Russie après un référendum non reconnu par l'Ukraine et les Occidentaux, qui parlent d'"annexion". Avant même cette annonce, le gouvernement ukrainien pro-européen issu du soulèvement qui a renversé le 22 février le régime pro-russe du président Viktor Ianoukovitch avait dénoncé un plan du grand voisin russe pour "démembrer" le pays.
Ces troubles relèvent d'un "plan pour déstabiliser, pour qu'une armée étrangère passe la frontière et envahisse le territoire ukrainien, ce que nous ne permettrons pas", a lancé le Premier ministre, Arseni Iatseniouk, lors d'une réunion d'urgence du gouvernement. "Ce scénario est écrit par la Fédération de Russie et son seul but est de démembrer l'Ukraine," a-t-il poursuivi. Le président par intérim Olexandre Tourtchinov a accusé les séparatistes de "se coordonner avec les services secrets russes" pour "rejouer le scénario de la Crimée". Il n'y a eu aucune réaction dans l'immédiat des autorités russes, alors que depuis la chute de Viktor Ianoukovitch la tension entre les deux voisins ex-soviétiques n'a cessé de s'accentuer.
À Kharkiv, une journaliste a constaté que le travail avait bien repris dans les bureaux de l'administration, sous la protection de nombreux policiers antiémeute. Deux avions de chasse non identifiés ont survolé dans l'après-midi la place devant le bâtiment, où plusieurs dizaines de manifestants pro-russes et pro-européens se faisaient face. La police a indiqué avoir interpellé plusieurs personnes suspectées d'avoir pris part aux désordres à Kharkiv.
Gaz et produits laitiers
Une élection présidentielle anticipée est prévue le 25 mai et les candidats pro-européens font figure de favoris. Kiev soupçonne Moscou de vouloir torpiller ce scrutin, par des troubles ou demandes de référendums de ses partisans sur un rattachement à la Russie ou la "fédéralisation" de l'Ukraine, solution officiellement prônée par Moscou et encore rejetée lundi par Arseni Iatseniouk. L'Ukraine se débat en même temps dans une profonde crise économique. Et les perspectives se sont encore assombries avec l'augmentation-sanction de 80% du prix des livraisons de gaz russe annoncée la semaine dernière. Kiev a rejeté cette "pression politique", faisant craindre une nouvelle guerre du gaz qui pourrait menacer les approvisionnements de toute l'Europe. Une délégation ukrainienne doit discuter mardi de ces questions à Bruxelles.
Officiellement pour des raisons sanitaires, la Russie a aussi annoncé lundi qu'elle suspendait l'importation d'une partie de la production de produits laitiers d'Ukraine, puissance agricole. Les Occidentaux menacent Moscou de nouvelles sanctions en cas d'atteinte répétée à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Le gouvernement allemand a dit lundi suivre avec "beaucoup d'inquiétude" les événements, et le président tchèque, Milos Zeman, a estimé dimanche que si des troupes russes pénétraient en Ukraine l'Otan devrait intervenir militairement.
AFP
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