Histoire d’une énième mascarade algérienne (II)
Pendant que le chef de l’État entamait, durant l’été 2013, à la suite de son AVC, une rééducation à la clinique des Invalides à Paris, Saïd Bouteflika, entre deux beuveries, multipliait les contacts pour s’enquérir de l’état d’esprit du microcosme algérois.
Par Mohamed Sifaoui
Pour se tenir informé, il pouvait compter notamment sur son ami, l’homme d’affaire Ali Haddad, mais aussi sur Amar Saïdani, le secrétaire général du FLN qu’il avait constamment au téléphone.
C’est à cette période que ses proches alliés lui apprirent que le général Mohamed Mediène, patron du DRS, comptait, selon eux, soutenir Ali Benflis. «En vérité, dira notre source, le général Toufik voulait, avant tout, disposer d’un atout susceptible de crédibiliser l’élection présidentielle. C’est lui qui a convaincu Louisa Hanoune et Ali Benflis, pour ne citer qu’eux, afin qu’ils prennent part à cette pseudo-élection, jouée d’avance».
Autant l’on peut imaginer que la première ne peut exister politiquement sans faire acte d’allégeance au système, autant il est difficile de comprendre ce qui le motive Ali Benflis qui connaît suffisamment bien le pouvoir de l’intérieur pour savoir qu’il n’a absolument aucune chance de remporter l’élection, puisque toutes les sources que nous avons interrogées nous précisent que «l’administration s’est mise en branle avant même l’annonce officielle de sa candidature pour assurer à Abdelaziz Bouteflika une victoire éclatante». Le haut responsable que nous avons interrogé nous dira avec assurance : «Même si Bouteflika décédait avant le 17-avril, Benflis ne sera jamais président parce qu’il y a, cela va peut-être étonner, un accord au sein du système pour que plus jamais le pouvoir réel ne puisse bénéficier aux Chaouis en particulier et aux gens de l’Est en général ».
Selon cette même source, «le successeur de Bouteflika sera Ahmed Ouyahia sinon Ramtane Lamara, voire Abdelmalek Sellal, à condition que ce dernier puisse retrouver les bonnes grâces des vrais décideurs». De plus nous précise-t-il, «Saïd Bouteflika voue une haine viscérale à Ali Benflis et il a déjà fait savoir qu’il emploierait tous les moyens pour l’empêcher de devenir chef d’État». Nous avons pu, en effet, constater auprès des différentes sources que Saïd Bouteflika fait d’Ali Benflis une «affaire personnelle». D’ailleurs, lorsque ce dernier avait quitté le clan, c’était davantage en raison de fréquents différends avec le frère cadet qu’avec Abdelaziz Bouteflika. Ali Benflis n’aurait pas alors supporté que Saïd Bouteflika qui, rappelons-le, n’occupe aucune fonction officielle, hormis un titre générique de «conseiller» puisse, à ce point, marcher sur les plates-bandes des différents responsables, civils et militaires, en s’arrogeant le droit d’être une sorte de «président-bis».
L’on peut s’interroger, dès lors, pourquoi le général Toufik que l’on décrit ici et là comme «hostile au clan présidentiel» a-t-il laissé faire. À ce sujet, notre principale source se montre très sévère. « Contrairement à la légende, dit-elle, cet officier n’a aucune intelligence et il est loin d’être un foudre de guerre. Il possède par contre une grande finesse opérationnelle. Sous ses airs d’officier légaliste, discipliné et affable, il excelle dans l’art de la manipulation et du chantage. Il n’attaque que très rarement de front, il fait agir certains relais qui lui sont dévoués. Beaucoup de responsables le craignent parce qu’ils ont des choses à se reprocher et savent qu’il est au courant de leurs malversations ou de leurs frasques. En d’autres termes, ils savent qu’il détient des dossiers sur chaque responsable, civil ou militaire. Il possède également de nombreux relais médiatiques et peut déclencher une campagne contre quiconque s’attaque à lui. Il est faux de croire que le général Toufik serait radicalement opposé au 4e mandat. Il a certes émis quelques réserves, mais sans plus».
Selon nos informations, Amar Saïdani a ouvert les hostilités en direction du général Toufik, suivant ainsi les recommandations de Saïd Bouteflika et non pas celles du président. Ce serait Saïd qui souhaiterait voir son frère aîné signer le décret de mise à la retraite du chef du DRS, car il n’ignore pas que le général Toufik le déteste froidement. «Même s’il ne sera pas à l’initiative pour le faire tomber, Saïd Bouteflika sait que Toufik ne fera rien pour le soutenir si un jour il devait rendre des comptes devant la justice». Toujours est-il, le véritable adversaire du patron du DRS, c’est le chef de l’état-major, Ahmed Gaïd Salah.
Notre source conclue : «Si le général Toufik ne s’oppose pas ouvertement au 4e mandat de Bouteflika, il est très probable que Gaïd Salah sera le premier à faire les frais du deal entre le président et son chef des services. L’on peut dès aujourd’hui parier sur le fait que Gaïd Salah ne sera plus à son poste d’ici la fin de l’année 2014».
Une autre source va plus loin et affirme que le chef d’état-major serait déjà «en disgrâce». Et pour cause, depuis le mois de février le chef de l’État aurait refusé d’accorder la moindre audience à Gaïd-Salah qui était l’un des rares à le voir régulièrement depuis l’AVC d’avril 2013. Les frères Bouteflika auraient reçu, selon cette même source, un «enregistrement réalisé par les équipes techniques du général Toufik dans lequel on entendrait le chef d’état-major fustiger le président en présence d’une tierce personne». La même source pense néanmoins que «l’enregistrement en question serait un faux». Quoi qu’il en soit, après plus d’un mois de silence, Abdelaziz Bouteflika a eu une discussion avec Gaïd Salah à la mi-mars 2014. Personne ne connaît la teneur de cet échange.
Il est évident que les « coups tordus » se multiplient à Alger. L’on parle même d’un «dossier compromettant» qui révèlerait le «véritable parcours» de Gaïd Salah. Une sorte de CV qui mettrait en évidence des épisodes glauques et peu honorables de l’actuel chef d’état-major, néanmoins vice-ministre de la Défense. Selon notre principal source, «dans un pays qui fonctionne selon des critères de méritocratie et de compétences, cet officier n’aurait jamais pu accéder au grade de général ni au rang de chef d’état-major ni au poste de vice-ministre de la Défense. C’est un homme rustre, sans culture ni raffinement avec, de surcroît, une réputation peu enviable. Même s’il est craint, peu d’officiers le respectent». Et notre interlocuteur décrypte : «En lui donnant autant de responsabilités, Bouteflika, qui est très malin et fin manœuvrier, savait qu’il allait pouvoir contrôler cet homme qui lui doit tout. Dans sa relation complexe avec le général Toufik, il a utilisé les attaques sournoises, mais surtout, il utilise à sa guise le chef d’état-major comme une sorte d’épée de Damoclès sur la tête du chef du DRS ». En d’autres termes, pour mieux contrôler l’armée, le chef de l’État a créé des divisions entre Gaïd Salah et Toufik, mais aussi dans d’autres segments de l’armée et du pouvoir en général. «C’est sa technique depuis 1999, il allume des incendies, ensuite, il se présente comme le pompier qui va éteindre le feu. Il se donne ainsi les moyens d’apparaître comme un rassembleur au dessus de la mêlée», conclue ce haut responsable.
L’autre bête noire de Gaïd Salah, c’est Abdelmalek Sellal. Il a, selon nos sources, une détestation profonde pour ce dernier qui le lui rend bien par un mépris et des moqueries qu’il ne cesse de répéter dans des cercles privés. Le chef d’état-major a toujours refusé de voir le Premier ministre se mêler des questions militaires. Et il utilise un argument qui fait mouche pour gêner Sellal qui, lorsqu’il entend ses reproches n’a plus vraiment envie de faire dans la blagounette. En effet, le blagueur en chef de l’exécutif algérien aurait «commencé sa carrière comme faussaire», pour reprendre l’expression de l’une de nos sources. Il aurait notamment fait confectionner un «faux dossier médical» pour se faire dispenser du service national en 1978. C’est le principal reproche que répète en boucle Gaïd-Salah, mais comme il n’est pas dans la tradition des responsables algériens de s’expliquer sur les accusations qui sont dirigées contre eux, il est peu probable de voir Abdelmalek Sellal répondre à cette question et donner sa version des faits.
Il semble qu’Abdelmalek Sellal soit progressivement lâché aussi bien par les militaires que par le clan présidentiel. Pourtant, l’été dernier, il se voyait presque comme un successeur naturel de Bouteflika. Notre source affirme : «Il est vrai qu’il a su, durant un moment, créer un petit consensus autour de lui. Il avait la confiance du clan présidentiel et celle du général Toufik. Seul Gaïd-Salah ne l’aime pas». Mais Sellal a multiplié les erreurs et les bourdes en tant que Premier ministre et il n’a pas su se comporter comme un potentiel chef d’État.
Dans ce jeu de dupes, plusieurs autres personnages, de moindre importance, multiplient zèle et interventionnisme pour brouiller les cartes. C’est le cas de Mohamed Chafik Mesbah, colonel à la retraite, ayant appartenu au DRS et néanmoins intellectuel organique dont le rôle consiste à servir de relais médiatique au général Toufik.
Pour rappel, Mohamed Chafik Mesbah avait, un temps, à l’époque de Liamine Zeroual, travaillé auprès de Mohamed Betchine. Plusieurs sources, y compris celle dont je livre ici le témoignage, me confirment qu’il était alors les «yeux et les oreilles» de Toufik à la présidence de la République. Pour l’histoire, il est important de rappeler que Mohamed Chafik Mesbah avait été, sur décision de Liamine Zeroual, limogé de la Présidence ainsi que le lieutenant colonel Abdelkader Haddad, plus connu sous le sobriquet d’«Abderrahmane le Tigre». Les deux étaient dès lors interdits d’entrée au palais d’El Mouradia. C’est le général Hassane Bendjelti, alors conseiller aux Affaires de sécurité, qui avait notifié aux intéressés leur limogeage.
Après quelques mois de silence, l’on a retrouvé Mohamed Chafik Mesbah aux côtés d’Ahmed Taleb Ibrahimi, lors des élections de 1999. C’est lui qui, selon toutes ces sources, avait, à la demande du général Toufik, manipulé les candidats alors en lice, par l’intermédiaire d’Ahmed Taleb El Ibrahimi, pour qu’ils se retirent de l’élection leur assurant que ce retrait allait provoquer l’annulation de l’élection de Bouteflika. Nous connaissons la suite. Un mandat présidentiel plus tard, le même Mesbah allait intégrer, en 2004, le staff de Benflis. Il était toujours missionné par le général Toufik et il assurait à qui, voulait l’entendre, que le concurrent de Bouteflika allait remporter l’élection «grâce au soutien de l’armée et du DRS». Il s’agissait, une fois de plus, de crédibiliser cette «élection». Et là aussi, nous connaissons la suite. Benflis fut ridiculisé et Bouteflika a remporté l’élection, grâce à la fraude, avec un score brejnévien.
Fait incroyable, même s’il est aujourd’hui un peu plus discret, l’inénarrable Mesbah revient par les coulisses. Pour l’élection de 2014, il est en train de soutenir Ali Benflis, le « candidat-lièvre », pour reprendre l’expression de notre source et c’est lui qui a convaincu deux anciens ministres : Halim Benattallah et Ahmed Attaf de rallier le camp de l’ancien Premier ministre de Bouteflika. Selon l’une de nos sources, c’est après un travail d’approche psychologique opéré par Mohamed Chafik Mesbah pour le compte du général Toufik que ces deux anciens responsables de la diplomatie, laissés pour compte, aigris, isolés et fragilisés psychologiquement, en raison de leur mise à l’écart par le «clan Bouteflika», ont été cueillis par le bien habile Mesbah qui les a persuadés du soutien du général Toufik au candidat Benflis. Il les rencontrait de manière régulière, notamment lors de déjeuners dans le restaurant «Le Patio», pour les «travailler au corps». L’une de nos sources conclue à ce propos : «Il est en train de les rouler dans la farine avec dextérité».
Mais le très remuant Mesbah ne s’arrête pas là. Il fut l’une des sources qui avaient induit en erreur Aboud Hichem, l’ancien militaire, reconverti dans l’écriture. D’abord précisons que ce dernier est revenu en Algérie à la suite d’un accord avec Saïd Bouteflika, à travers des officiers du DRS. Ceux-là lui ont permis, non seulement de rentrer au bercail, mais aussi de lancer deux publications, l’une en arabe, l’autre en français. Ses affaires allaient bon train jusqu’au jour où il croyait détenir le «scoop de l’année», délivré par Mohamed Chafik Mesbah sur la prétendue mort du président. Évidemment, Saïd Bouteflika perçut cette «attaque» basée sur de fausses informations comme une trahison. Il s’est donc attelé à harceler l’ancien militaire, obligé de quitter l’Algérie précipitamment.
Notre source précise : «Saïd Bouteflika méprise le peuple algérien. Il n’aime pas les critiques ni les journalistes qui ne lui font pas acte d’allégeance. Dans le cas d’Aboud Hichem, il a personnellement décidé de le faire emprisonner». La même source poursuit : «Si Mohamed Chafik Mesbah a fabriqué, à deux reprises, cette rumeur faisant état de la mort du président pendant son hospitalisation au Val-de-Grâce, c’est à des fins très précises. Cette information même fausse est intervenue à une période où il était question, au sein du sérail, de faire valoir l’article 88 de la Constitution pour empêcher le président de poursuivre son mandat» avant de conclure : «à la place d’Aboud Hichem, je ferai très attention, car Saïd Bouteflika a tenu, devant plusieurs de ses proches, des propos très graves à son encontre. Il possède des relais et le clan présidentiel a créé une sorte de services parallèles, composés d’anciens policiers et militaires mais également d’affairistes qui agissent en toute illégalité. Parfois, je sais qu’il n’hésite pas à faire appel à des sociétés étrangères spécialisées dans les questions de sécurité». Fin de la 2e partie
M. S.
Lire la suite : Histoire d’une énième mascarade algérienne (IIIe partie et fin)
Lire la 1re partie : Histoire d’une énième mascarade algérienne (I)
Commentaires (9) | Réagir ?
Mr. Sifaoui; le portait que vous avez fait du général Toufik dans votre livre paru en 2011 "Bouteflika : ses parrains et ses larbins" que vous avez décrit selon vos sources de l'époque (puisque vous même vous avez affirmé ne jamais avoir vu ni connu le personnage en question) est diamétralement à l'opposé de celui que vous nous faîtes présentement selon de nouvelles sources que vous ne citez pas mais que vous estimez crédibles comme celles d'avant évidemment.
questionnement : et si vos sources ne sont que ce qu'est le général Mesbah pour Mr. Ibrahimi et le clan de Mr. Benflis ? et vous vous trouvez, malgré vous et inconsciemment, entrain de faire les affaires des uns ou des autres en rapportant tout ça ??
Monsieur Sifaoui:
Je ne sais pas pourquoi Yves Calvi vous a blacklisté de son émission "C dans l'air", à cause peut être de ce GAL ou GAL de nos colonels derrière un Pétard. Bon Bref, jusqu'à quand allons nous assister à ce cirque Amimer, 40 millions d'âmes qui sont à la merci de quelques mélomanes en mal de pouvoir.
Il nous reste que "la prière de l'absent" des islamistes qu'on essaye de mobiliser contre le mandat de la guerre civile, un mandat de trop que le drs et les militaires* vont tôt ou tard regretté, comme Toufik, ou son porte parole Mesbah et toute la Smala Algéroise vont regretter cette bêtise, cette humiliation honteuse planétaire, le seul pays au monde à accepter ce genre de bassesse pour l'égo d'un nain!
Si dans un temps court, l'Algérie connaitra ses premiers defaults budgétaires, un scénario à la Syrienne n'est pas à écarter, ce n'est pas le président lui même qui est responsable mais cette élite du drs et militaire qui profitent d'un "cadavre encerclé" dixit Kateb, sans le drs, il n y peut y avoir de CORRUPTION, sans le drs il n y peut y avoir de Trafic de l'urne,
Sellal, Ben Younes, Benflis, Ouyahia, Ghoul, Saidani,... sont tous du drs, donc c'est une équation concocté par le "DRS pour le DRS", mais attention, ses complots de vieilles marmites va se retourner contre leurs acteurs, ce n'est qu'une question de temps, prions que l'absent revient parmi nous et faisons de sorte d'arrêter de parler d'un homme malade, hors circuit, parlons plutôt de notre futur économique, la transition énergétique, le dinar qui devient une monnaie de singes hurleurs, de l'agriculture, le lait en sachet est rationné en Algérie, comment faire face aux défis du futur, les militaires et les responsables, me donne l'impression de ne pas se rendre compte du danger qui guette l'Algérie.
Le Drs ou du moins ce qui l'en reste doit se ressaisir sinon demain ça sera trop tard!
RMII