Hommage aux femmes qui se sont consacrées à la promotion de notre langue amazighe
La femme est omniprésente dans la revue Abc Amazigh que je publiais en Algérie de 1996 à 2001. C’est l’une des preuves que la femme amazighe, aussi bien que l’homme amazigh, a bien entendu et compris le message de notre Grand Maître Mouloud Mammeri : «Nous avons défriché le terrain, à présent, c’est aux autres de continuer.» En nous rappelant aussi : «Il était temps de happer les dernières voix, avant que la mort ne les happe».
Par Smaïl Medjeber
La nouvelle génération féminine – à qui je dédie cet hommage – se consacre honorablement quoique difficilement, à prendre cette mission en mains : mettre notre langue noir sur blanc. Plusieurs auteures procèdent à la collecte, à l’écriture, à la sauvegarde et à la transmission aux générations futures, de nos contes, poèmes, proverbes et autres traditions ancestrales. Remplaçant ainsi la tradition orale de nos grands-mères, mères et sœurs. Survie donc et modernité de notre langue obligent. Avec même des risques et sacrifices, comme l’exemple d’une jeune auteure qui avait vendu ses bijoux prévus pour son mariage, pour payer les frais d’édition de son ouvrage. Et ce, à l’insu de ses parents.
Certaines ont même accepté que leurs beaux visages illustrent les pages «unes» de couvertures mais aussi sur les pages d’intérieur, de cette modeste revue. Une première, sans doute, dans ce genre de publication. Et ce, malgré quelques aléas, notamment : une grave menace de représailles de la part de l’un des proches de l’une de ces figures, menace qu’il regrettera et dont il s’excusera. Sans oublier, le courage d’une Grande Dame, une poétesse, qui m’affirma : «Publie mon poème avec ma photo. Et si mon mari voudrait me répudier, pour cela, qu’il le fasse ! Je m’en fous.»
Quelques femmes ont donc eu le courage d’entraver à ce tabou.
Certains libraires boycotteront la mise en vente de ma revue pour le même motif, c’est-à-dire la parution de visages de femmes sur les «unes» de couvertures. Entre autres aberrations, au mépris de la culture en général et de la culture amazighe, particulièrement visée.
Je citerais, pour ce présent hommage, brièvement, quelques exemples d’auteures, d’enseignantes, dévouées à la cause amazighe, ayant acceptées de paraître à visage découvert sur les "unes" de couvertures ou dans les pages d’intérieures. Sur le numéro 21, on voit deux visages de femmes : l’image d’une Grande Dame lançant des youyous, et, dans le médaillon, celui de Bessalah Hamida, illustrant la cérémonie de la soutenance de sa thèse de journalisme dont le thème portait sur le parcours d’un combattant de la cause amazighe, le défunt grand militant, Bessaoud Mohand Arab. Thèse, par ailleurs, soutenue avec succès le 8 octobre 1998 à l’Institut des Sciences de l’Information et de la Communication à Ben Aknoun, près d’Alger.
Sur le numéro 29, on revoit le beau visage de la défunte Nadia Nat Lmouhoub. Nadia nous racontait, dans ce numéro, un conte : Tafunast igujilen (La vache des orphelins). Comme c’est écrit sur la «une», elle mérite nos remerciements, notre hommage. Nadia, emportée malheureusement par une maladie, nous a quittés très tôt. Mais son beau visage est toujours là, vivant, immortalisé par Abc Amazigh. De même que ses écrits.
Dans le numéro 31, avec son beau visage en pleine page sur la «une», Rachida Fitas, meilleure élève, en plus, de la langue amazighe, issue de la «Promotion Mouloud Feraoun», abordera un sujet tabou : "Peut-on et comment aimer en amazigh ? La langue amazighe est frappée d’exclusion sur le champ sentimental. L’amour constitue un tabou ancestral. Ce qui engendre un désert culturel. Les amazighophones font pratiquement usage de la langue étrangère, française et arabe et parfois même de l’anglaise pour exprimer leur passion, leurs sentiments…» Elle nous présentera aussi un beau roman d’amour écrit en amazigh par Belaïd Hamdani, ouvrage qui venait opportunément de paraître, sous le titre : Nek akw d Kem – Kem akw d Nek (Moi et Toi, Toi et Moi).
Une autre auteure, Titem, dans ce même numéro, nous fera une révélation sur le thème de la poésie sentimentale amazighe et comment peut-on prononcer l’imprononçable :
«Dans une communauté où le pouvoir des valeurs masculines domine, les créations poétiques féminines sont frappées de tabou, marginalisées, reléguées dans un espace clos réservé aux femmes. Cependant, il n’est pas exclu que les hommes les apprécient, les écoutent et les admirent en cachette…»
Une enseignante de la langue amazighe, Warda Aïnouz, ne serait-ce que par son regard, un peu triste, fixé sur la «une» du numéro 33, nous fera part, de son expérience – très, très difficile. Elle nous parlera des problèmes qu’elle avait rencontrés de la part de l’administration scolaire, de ses collègues mais aussi des élèves, au sein d’un collège de Tizi-Ouzou. En voici un extrait :
Les élèves m’accueillirent désagréablement. Ils refusèrent «Tamazight-nni» [cette amazighe-là]. Dès la première semaine, l’un de mes élèves leva la main sur moi. Il n’est pas jusqu’à mes collègues qui se moquaient de moi, me raillaient et me lançaient des offenses du genre : "Tu devrais enseigner pieds-nus ; tu devrais mettre ta robe de montagnarde, et, enseigner une cruche sur ton dos." Entre autres humiliations quotidiennes…" Son courage aura gain cause.
Une autre enseignante, Kada Karima, nous fera la biographie de notre grand poète Lbachir Amellah. Tandis que Bouchama rendra hommage à un enseignant de langue amazighe, le défunt Boukhezzar Madani.
Opportunément, comme c’est bientôt son 34e anniversaire, Chebine Hassina, nous rappellera une journée oubliée de notre Histoire : celle du 10 mars 1980, le jour de la conférence que devait donner l’incorruptible intellectuel, feu Mouloud Mammeri, sur le thème de la poésie kabyle ancienne et qui fut interdite par le pouvoir dictatorial anti langue amazighe. Une journée donc à ne plus oublier. Chibane Ldjouher abordera, à juste raison, un sujet touchant : «L’amazighité ou la fraternité malade.»
Comme l’avait si bien dit, une poétesse, Tazeghlacht Fatiha, dans un poème publié dans le numéro 20, avec sa propre photo, «L’appel de tamazight, c’est également l’appel de la femme.» Une autre auteure affirmera, dans un article publié dans le numéro suivant : «Tamazight tedder di teqcict, taqcict tendtel di taddart» C’est-à-dire : la langue amazighe existe grâce à la fille, mais la fille est enterrée dans son village. D’où la motivation du présent hommage.
Justement, l’une de ses filles de nos villages, Nat-Ali Myassa, nous apprendra la politesse en amazigh, dans le numéro 34. Comment oublier de ne pas citer Aït-Ali Toudert Halima, une analphabète de surcroît, qui produira un excellent recueil de poèmes : Adrar yedren (La montagne vivante).
Abc Amazigh comblera modestement et périodiquement ses pages, de poèmes et autres textes de plusieurs auteures, bourgeons de notre élite intellectuelle féminine en émergence : Aït Gherbi Ouiza, Akrouf Nora, Amarouch Dalila, Ammour Sonya, Arhab Nacera, Boukirat Fazya, Diffelah Cherifa, Ghazli Malika, Hadj Amer Saliha, Hayza Jedjiga, Kessi Linda, Merabti Fatiha, Merrad Fatiha, Rahmani Jedjiga, Saadi Samira, Tighziri N. (phonéticienne, enseignante au département de langue amazighe de l’université de Tizi-Ouzou),…J’y ajoute quelques auteures dont leurs beaux ouvrages sous mes yeux: Djaber Nadia, «Uccen Areqman », Khalfa Drifa, «Timsaâraq, 400 devinettes kabyles», Aït Ferroukh Farida, « Cheikh Mohand, Le souffle fécond».
Par contre, ce militant et dur travail d’écriture et d’édition, en général, n’est pas récompensé par un lectorat militant et suffisant. C’est même un échec quasi-total. Hélas, des millions de fois, hélas ! Mon expérience d’éditeur en fut une preuve flagrante.
Comment ne pas citer un autre fleuron de jeunes artistes féminines dont les jolis visages apparaissent sur la «une» du numéro 20 : la chorale Tarwa Iflissen n Melli, fondée par une association culturelle de Tadmaït. Invitées, par moi, à une cérémonie qui eut le 26/12/1998, à la Maison de la Presse Tahar Djaout, à Alger, ces jeunes artistes nous avaient chanté leurs belles chansons. Avec leurs voix angéliques, mélodieuses et radieuses elles portaient et transmettaient, aussi, la langue amazighe. Elles affirmaient, haut et fort, dans l’une de leurs chansons : "Yisnegh i tecbeh tefsut" [C’est grâce à nous que le printemps est beau]. La vérité sort de la bouche enfants. C’est grâce aux filles et femmes que le printemps est beau !
C’est pourquoi, à l’occasion de cette Journée Internationale de la Femme, ce 8 mars, j’exprime respectueusement et chaleureusement mes hommages à toute la pléiade d’écrivaines, défuntes et vivantes. A toutes les dignes filles de Dihya, Tin-Hinan, Lalla Fadhma N’Soumer et autres Grandes Dames amazighes qui luttent pour leurs respects et leur égalité en droits entre hommes et femmes, dont la liberté d’expression de leur langue amazighe. Et, pareillement, à toutes les Dames qui luttent pour leurs droits, dans le Monde.
S. M.
(Extraits des éditions originales de la revue Abc Amazigh et d’Abc Amazigh : une expérience éditoriale en Algérie, 1996/2001, volume 1 et 2.)
Commentaires (2) | Réagir ?
Un hommage aussi à une grande dame qui s'est toujours investie pour la culture Amazigh, aussi bien par ses écrits qu' à travers ses interventions à la télévision. , une ancienne collègue que j' ai perdue de vue hélas et que j'ai eu le plaisir de voir à la télévision. Il s'agit de Mme Amhis Djoher.
Awal kan:
comment dis-tu "magnifique, juste magnifique"
Merci Monsieur Medjeber.