La nationalisation des hydrocarbures 43 ans après : quel bilan ? (2e partie)
Bien que Sonatrach n’ait pas encore balancé sur son site Internet les rapports 2012 et 2013, les chiffres révélés durant la conférence conjointe du ministre de l’Energie et des Mines et le président directeur général de l’entreprise montrent que l’année 2013 a été fertile en découvertes.
3- Situation actuelle et perspective
Ainsi, 32 nouvelles découvertes ont été opérées en 2013 dont 29 par Sonatrach seule et 3 en association. Le rythme est maintenu depuis 2010 avec 29 dont 2 en association, pour 2011, il y a eu 20 dont 19 par Sonatrach seule, enfin en 2012 avec 31 découvertes dont 13 en association. Pour la première fois depuis le départ de Chakib Khellil, le PDG de Sonatrach reconnaît lors de sa visite en janvier 2014 sur le site de la raffinerie de Tiaret que "les résultats en termes de production enregistrés durant les années 2000 ne sont que le fruit des investissements opérés durant les années 90." Il s’agit des contrats de partage de production régit par la loi 86-14. En définitive, depuis la promulgation de cette loi il y a eu près de 303 découvertes dont 205 par Sonatrach seule et 98 en association. Ces nouvelles découvertes ont permis d’augmenter de 2 milliards de barils les réserves actuelles. (14) Rappelons par ailleurs que la statistacal review of world energy de BP les estime à 12,2 milliards de baril. Quant à celles des gisements gaziers, elles restent de l’ordre de 300 à 400 milliards de m3 qui s’ajouteront aux 4500 milliards de m3.Par ailleurs, la production vacille entre 1,2 à 2 millions de barils par jour et donc en dessous du quota permis par l’OPEP qui est lui de l’ordre de 2,2 millions de barils par jour. La production du gaz toute forme confondue serait de l’ordre de 50 milliards de m3 très loin de l’objectif de 85 milliards promis. Il faut souligner par ailleurs que l’année 2013 a vu les découvertes dépasser les frontières Algériennes par l’annonce de 3 en Libye. En plus la taille n’est plus marginale mais le 26 octobre dernier, le ministre a annoncé la découverte d’un gisement géant au prolongement du champ de Hassi Messaoud dont les réserves seraient de l’ordre de 1.3 milliards de barils.
Auparavant, à la rentrée, il avait déclaré que les réserves d’hydrocarbures pourraient doubler d’ici 10 ans. Donc on peut en déduire que le régime de concession, régit lui par la loi contreversée de 2005 qui semble selon toute vraisemblance n’attirer aucun investisseur. Ceci explique l’amendement de cette loi en 2013 qui d’une part élargi le domaine minier au gaz et pétrole non conventionnel puis lie d’autre part la fiscalité à la rentabilité de l’investisseur. Ainsi 31 périmètres viennent d’être lancés par Alnaft le 21 décembre dernier dont 17 situés dans le Sud-Ouest, 5 dans la région Nord et le reste dans des bassins du Centre ou de l’Est. Pour la première fois une dizaine d’entre eux, concernent les ressources non conventionnelles. N’ayant pas parlé expressément de "de gaz de schiste", il s’agit sans doute de tight gas lui bien que contenu dans des roches compactes peu perméables, nécessite, certes une fracturation mais dans des conditions moins sévères que le gaz de schiste. En ce qui concerne les perspectives du marché pétrolier et gazier, il faut souligner au départ que si l’on se réfère aux données du Centre National de l’Informatique et des Statistiques (CNIS) de la douane dans ses rapports de 2008 à 2013, on se rendra compte que Sonatrach et à travers elle l’Algérie exporte en volume plus de gaz que de pétrole et cette tendance est confirmée par les investissements dont bénéficie cette branche en amont et en aval. En dépit de l’erreur commise par le PDG de Sonatrach qui estime les réserves prouvées de gaz à 2 trillions de m3 alors qu’en réalité ils sont plus de deux fois cette quantité (15), l’Algérie ne pèsent pas lourd sur l’échiquier international. En effet, trois pays, la Russie (35%), l’Iran (15%) et le Qatar (10%), totalise à eux seuls 60% des réserves mondiales.
Le continent asiatique où la croissance semble se maintenir est tout prêt du Qatar qui bradera son gaz pour ne pas laisser l’Algérie pénétrer ce marché et, ceci sans tenir compte du gaz de schiste de bonne qualité qui arrive au Japon et bientôt le charbon de l’Australie en Chine, pays très peu soucieux de l’environnement. La Russie a déjà investi dans les conduites North Stream et le South Stream, totalement opérationnels à partir de 2015. Son retard sur de nombreux projet comme le Galsi (16) rétréci son champs d’intervention et l’étrangle face à ses contraintes internes. D’autre part, Le marché gazier européen est en déprime et le sommet des 27 le 22 mai 2013 a mis en exergue les contraintes qui retarde une politique commune de l’énergie entre autres l’exploitation et le développement du gaz de schiste. Bien qu’ils se soient engagés à donner plus de poids dans leur bouquet énergétique aux énergies renouvelables d’ici 2020, des pressions politiques poussent à limiter les coûts notamment de l’énergie éolienne et du charbon. Revenir à redémarrer les centrales à charbon pour produire de l’électricité reviendrait à obliger le consommateur de payer plus chère sa facture de l’électricité ce qui enflammerait le climat social. En effet, la production d’un Mégawatt/h d’électricité dans une centrale à gaz dégage 0,38t de CO2 contre 0,99t dans une centrale à charbon. Si l’on estime (17) un prix d’émission de 25 euros/t, on s’approchera à 15 euros le Mégawatt/heure qu’il faudra ajouter dans la facture du citoyen européen. Connaissant les difficultés de l’hivers dernier, est-ce qu’il pourra la supporter ? Donc la bonne nouvelle pour l’Algérie c’est que le gaz continue d’avoir un avenir en Europe dont de nombreux membres sont sceptiques au gaz russe malgré les investissements consentis. C’est pour cela qu’il faudrait s’accrocher pour aboutir à un accord long terme avec la communauté européenne quitte à faire des concession sur le prix.
4- Y auraient-ils des alternatives face à une telle situation ?
Sans entrer dans les détails et en se limitant uniquement aux documents officiels fournis par le gouvernement en place, on peut déduire que pratiquement tous les secteurs de l’économie nationale sont demandeurs en perspective de capitaux sans aucun espoir de retour sur investissement ni sur le court ni sur le moyen et encore moins sur le long terme. Le secteur de bâtiment veut arriver à un million de logement, celui de l’éducation au sens large du terme doit faire face aux 900 000 algériens qui viennent chaque année (18), le secteur industriel englouti annuellement des sommes considérables sans pouvoir se relever de sa chute, le tourisme s’effrite, plus de 200 000 demandes d’emploi de diplômés s’ajoutent à la liste des chômeurs chaque année, le secteur privé fait pression pour avoir accès à la manne financière alors que l’ONS dans son évaluation relève que sur 957 718 entités recensées prés de 90% sont versées soit dans le commerce soit dans les services d’utilité discutables etc. Donc en résumé, on constate que même dans des perspectives à long terme, le poids est mis sur les hydrocarbures pour mettre à la disposition du secteur des fonds nécessaires pour les besoins divers et s’autofinancer pour augmenter les réserves en hydrocarbures voire même d’autres sources d’énergie. Seules les orientations du ministère de l’énergie et des mines semblent «si elles se réalisent» porteuses de fruits. Il s’agit d’abord d’introduire d’autres formes de production d’électricité que celle produite par le gaz. Pour rappel, 96% de l’électricité est produit à partir du gaz en Algérie. Sur le moyen terme, poursuivre les efforts d’efficacité énergétique pour limiter le gaspillage et arriver à une certaine vérité des prix pour une certaine catégorie de consommateurs. Ensuite intensifier les efforts d’investissement pour valoriser les réserves des ressources fossiles, s’attaquer en troisième phase aux .énergies renouvelables enfin et aux alentours de 2025, construire carrément une centrale nucléaire.
5- Conclusion
Il faut souligner que les Etats-Unis qui ont chamboulé le marché gazier par son shale gas ont toujours pour habitude de rechercher un vecteur de croissance par des bulles. Cela a commencé par Internet, puis l’immobilier et voilà maintenant le gaz de schiste. Donc cette analyse de l’Agence Internationale de l’Energie et le département de l’énergie américain selon laquelle ce pays pourrait passer au stade d’exportateur d’ici moins d’une décennie s’est avérée un coup de bluff. Cet ogre de l’énergie ne peut se rassasier ni sur le court ni sur le long terme et de nombreux experts américains prédisent la fin de ce boom de schiste en moins de temps que prévu. Les marchés des produits pétroliers sont nerveux de nature. C’est la raison pour laquelle ils ont réagi à la baisse avec cette propagande de l’autosuffisance américaine. Mais de nombreux pays européens et asiatiques tentent de s’adapter momentanément à ces nouvelles donnes du marché sans grande conviction
Si la Chine a profité de l’abondance du charbon pour redémarrer un maximum de centrales c’est parce qu’elle n’a pas de pression citoyenne sur l’écologie. Les groupes écologiques en Europe ne permettent pas de devenir un dépotoir américain et australien. Dans leur stratégie énergétique 2020, ils favorisent un approvisionnement de proximité sans une grande dépendance envers la Russie. Il reste donc aux Algériens de profiter de ces atouts pour les intégrer dans une stratégie globale envers les pays de la rive méditerranéenne. Pour cela il faut absolument oublier cette habitude de vendre ce qu’on produit mais opter pour produire ce qu’on vend. C'est-à-dire que le travail commence en aval mais pas en amont. Il est impératif de combiner la diplomatie et le commercial pour se rapprocher des pays européens pour une prospection sérieuse du marché. La crise et la situation actuelle du marché gazier telle qu’elle est décrite plus haut, obligent les cadres de sonatrach de sortir de leur bureau pour rechercher des débouchés comme font les autres pays.
Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier
Renvois
(14) Lire l’interview du MEM accordée au quotidien Echourouk du 3/12/2013
(15) PDG de Sonatrach le 24 févier 2012
(16) Gazoduc qui devait ramener le gaz jusqu’à l’Italie via la Sardaigne bloqué pour plusieurs raisons dont celles écologiques propres aux Italiens eux même.
(17) Règlements européens.
(18) Taux de natalité estimé à 2,4% voir site de l’ONS
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merci