Turquie : l'inculpation de fils de ministres éclabousse Erdogan

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan
Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan

Les fils de deux ministres proches de Recep Tayyip Erdogan ont été mis en détention provisoire à la suite d'une affaire de corruption.

La justice turque a inculpé et placé en détention provisoire les fils de deux ministres proches du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan dans le cadre d'un scandale de corruption sans précédent qui éclabousse le gouvernement islamo-conservateur à quatre mois des élections municipales. Au terme d'une longue nuit d'auditions au palais de justice d'Istanbul, Baris Güler et Kaan Caglayan, les fils des ministres de l'Intérieur Muammer Güler et de l'Économie Zafer Caglayan, ont été emprisonnés samedi matin, conformément aux réquisitions des procureurs en charge de ce dossier.

Outre ces deux personnalités réputées proches de Recep Tayyip Erdogan, une vingtaine d'autres personnes ont été placées en détention, dont le P-DG de la banque publique Halk Bankasi, Suleyman Aslan, et l'homme d'affaires originaire d'Azerbaïdjan Reza Zerrab. Toutes sont soupçonnées de corruption, de fraude et de blanchiment d'argent dans le cadre d'une première enquête sur des ventes d'or et des transactions financières entre la Turquie et l'Iran sous embargo. 

Vague de purges dans la police

Le fils du ministre de l'Environnement Erdogan Bayraktar, Abdullah Oguz Bayraktar, le magnat des travaux publics Ali Agaoglu, patron du groupe éponyme, et le maire du district stambouliote de Fatih, Mustafa Demir, membre du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, ont été laissés en liberté jusqu'à leur procès. Ce deuxième groupe de personnalités est soupçonné de corruption dans le cadre de deux affaires distinctes de marchés publics immobiliers.

Sérieusement ébranlé par cette tempête politico-financière qui survient à quatre mois des élections municipales, le pouvoir islamo-conservateur a poursuivi vendredi sa vague de purges dans la police en sanctionnant 17 nouveaux hauts gradés. Recep Tayyip Erdogan reproche à la cinquantaine d'officiers démis de leurs fonctions depuis mardi des "abus de pouvoir", en l'occurrence de ne pas avoir mis dans la confidence leur tutelle politique de l'enquête qui la vise. Comme il l'avait fait lors de la fronde antigouvernementale qui a secoué son pays en juin, le Premier ministre a brandi la théorie du complot et accusé un "État dans l'État" d'être à l'origine de cette "sale opération" destinée à le salir.

Vendredi soir, à la clôture des débats au Parlement sur le budget 2014, le vice-Premier ministre Bülent Arinç a dénoncé pour sa part "une campagne de lynchage contre le gouvernement". "Nous ne l'avons pas mérité. Qui d'autre que nous a lutté d'une manière aussi déterminée contre la corruption", a-t-il lancé aux députés de l'opposition qui l'interpellaient bruyamment. "Nous sommes confrontés à une conspiration dégoûtante", a renchéri de son côté le ministre des Affaires européennes, Egemen Bagis, dont le nom a également été cité par certains médias dans cette affaire.

La puissante confrérie de Fethullah Gülen

Le chef du gouvernement pas plus que ses ministres n'ont précisé le nom des responsables de cette "conspiration". Mais tous les observateurs ont reconnu dans leur mise en cause la puissante confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, très influente dans la police et la magistrature. Alliée de l'AKP depuis son arrivée au pouvoir en 2002, cette organisation est entrée en guerre contre le gouvernement à cause d'un projet de suppression d'écoles privées, illustrant les failles qui lézardent désormais la majorité.

Depuis quatre jours, la presse turque expose les détails de cette affaire, plongeant un peu plus dans l'embarras un gouvernement islamo-conservateur qui avait érigé en priorité la lutte contre la corruption.

Le président du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), a encore exigé vendredi la démission de Recep Tayyip Erdogan, qualifié de "dictateur". "La Turquie a besoin d'une classe politique et d'une société propres", a lancé Kemal Kiliçdaroglu.

Percer l'abcès rapidement

L'ex-ministre de la Culture et député AKP Ertugrul Günay a joint vendredi sa voix aux critiques et posé, comme l'opposition, la question de l'avenir politique des ministres dont les fils sont mis en cause. "Les personnes visées dans ces accusations auraient dû démissionner", a-t-il estimé sur son compte Twitter.

Afin de limiter le coût politique de cette affaire, Recep Tayyip Erdogan pourrait percer l'abcès rapidement et se débarrasser des ministres dont les fils ont été mis en cause à l'occasion du remaniement, annoncé avant la fin du mois, prévu pour remplacer les ministres candidats aux municipales, selon des sources proches du gouvernement.

Les milieux économiques et financiers turcs se sont aussi inquiétés. Déjà affaiblie par la situation des marchés financiers, la devise turque a atteint un plus bas historique vendredi à 2,089 livres pour un dollar et 2,857 livres pour un euro.

Recep Tayyip Erdogan a également averti samedi qu'il pourrait expulser certains ambassadeurs étrangers auteurs "de provocations". "Certains ambassadeurs sont engagés dans des actions de provocation", a-t-il déclaré dans des remarques faites dans la ville de Samsun, sur les bords de la mer Noire, et retransmises par la télévision. "Nous ne sommes pas tenus de vous garder dans notre pays", a ajouté le chef du gouvernement.

L'ambassadeur américain visé

Les déclarations du Premier ministre turc apparaissent comme une mise en garde voilée à l'adresse de l'ambassadeur américain Francis Ricciardone qui, selon certains médias progouvernementaux, aurait déclaré à des représentants de l'Union européenne que Washington avait demandé à la banque publique Halkbank de couper tous ses liens avec l'Iran en raison des sanctions.

Suleyman Aslan, le directeur général d'Halkbank, a été accusé d'avoir accepté des pots-de-vin. La police a saisi 4,5 millions de dollars en liquide cachés dans des boîtes à chaussure à son domicile, avaient rapporté les médias turcs la semaine dernière, citant des sources judiciaires.

Halkbank est sous le feu de critiques aux États-Unis pour s'être livré à des transactions illégales avec l'Iran, mais la banque a démenti ces accusations. "Nous avons demandé à Halkbank de couper ses relations avec l'Iran. Ils ne nous ont pas écoutés. On assiste à l'écroulement d'un empire", aurait déclaré Francis Ricciardone aux ambassadeurs de l'UE, selon plusieurs quotidiens.

Mais l'ambassadeur américain a démenti samedi ces informations de presse comme étant "des allégations sans fondement", sur son compte Twitter en turc. "Personne ne devrait compromettre les relations USA-Turquie sur la base d'allégations sans fondement", a-t-il déclaré.

AFP

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