Amnesty international : la loi sur les associations doit être abrogée avant janvier
Amnesty International a déclaré mercredi 18 décembre que la nouvelle loi algérienne sur les associations devait être abrogée avant l’expiration en janvier du délai fixé pour l’enregistrement des associations existantes afin d’éviter que des dommages irréparables soient causés à la société civile algérienne.
L’organisation estime que cette loi restreint de manière arbitraire l’exercice du droit à la liberté d’association et l’érige de fait en infraction pénale, en violation des obligations de l’État au regard du droit international relatif aux droits humains. La loi n°12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations, promulguée il y a deux ans, renforce le contrôle du gouvernement sur la constitution des associations et impose des restrictions vastes et arbitraires à leur objet, ainsi qu’à leurs buts et activités. La loi confère aux autorités le pouvoir de refuser l’enregistrement d’associations dont les activités sont contraires aux «constantes et aux valeurs nationales», à l’ordre public, aux «bonnes mœurs» et aux dispositions des lois en vigueur. Elle leur permet également de les suspendre ou de les dissoudre en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la "souveraineté nationale". Aux termes de l’article 46 de la loi, les membres d’associations non enregistrées, suspendues ou dissoutes sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et d’une amende d’un montant maximal de 300 000 dinars algériens (environ 2800 euros).
La Loi n° 12-06, qui est souvent formulée de manière ambiguë, contient un ensemble dissuasif d’exigences illégales ou lourdes, notamment des restrictions renforcées au financement étranger des associations algériennes. Cette loi draconienne pourrait entraîner la fermeture d’organisations indépendantes de la société civile et étouffer le débat sur des questions fondamentales politiques, sociales, économiques et liées aux droits humains.
L’impact négatif de cette nouvelle loi sur la société civile algérienne a commencé à se concrétiser, ce qui a amené plusieurs associations à se mobiliser contre ce texte à l’approche de la date limite pour l’enregistrement. Toutes les associations existantes qui n’auront pas obtenu à la date du 12 janvier 2014 le récépissé d’enregistrement prévu par la loi seront considérées comme illégales par les autorités, et leurs membres seront passibles de poursuites et éventuellement d’une peine d’emprisonnement. Diverses associations de lutte contre la corruption, de défense de l’environnement, de défense des droits des femmes, ainsi que des associations médicales et de promotion de la démocratie se sont déjà heurtées à des obstacles en vertu de la nouvelle loi.
En octobre 2012, l’Association nationale de lutte contre la corruption (ANLC) a fait l’objet d’un refus d’enregistrement sans que les autorités algériennes n’en précisent le motif, affirmant simplement que la demande n’était pas conforme à la loi. Les autorités ont toutefois fourni une explication lorsque les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association et sur la situation des défenseurs des droits de l’homme ont soulevé cette question. Elles ont répondu que l’objet de l’ANLC, à savoir la lutte contre la corruption, était la prérogative entière et exclusive de l’État et de ses organes de lutte contre la corruption. L’ANLC a contesté la décision devant un tribunal administratif qui s’est déclaré incompétent en septembre 2013.
Le 14 juillet 2013, le wali (gouverneur) de la ville d’Oran a suspendu deux associations de défense de l’environnement – l’Association des résidents de Canastel (ARC) et le Comité de quartier El Bahia de Bir el Djir – au motif qu’elles violaient l’interdiction d’ «ingérence dans les affaires internes du pays» énoncée à l’article 39 de la loi. Ces suspensions n’ont semble-t-il pas respecté la procédure prévue par la Loi n° 12-06, qui dispose que les autorités doivent adresser une mise en demeure trois mois avant que la suspension ne soit effective. Les deux décisions ont été annulées par un tribunal administratif respectivement en septembre et en octobre 2013.
D’autres associations auraient décidé de fermer en raison des obstacles administratifs insurmontables contenus dans la nouvelle loi. Les associations étrangères sont également soumises à des restrictions considérables pour être en conformité avec la loi et fonctionner légalement en Algérie. La Fondation Friedrich Ebert, fondation politique allemande à but non lucratif, a déclaré publiquement qu’elle mettait fin à ses activités de renforcement des capacités en Algérie à la fin de novembre 2013, ses tentatives d’enregistrement aux termes de la nouvelle loi ayant échoué.
Les principaux sujets de préoccupation d’Amnesty International concernant la Loi n° 12-06 sont les suivants.
Le renforcement du contrôle gouvernemental sur la constitution d’associations
La Loi n° 12-06 confère aux autorités un pouvoir discrétionnaire sur la constitution d’associations. Celles-ci ne peuvent fonctionner sans avoir obtenu une autorisation préalable. Les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association et sur la situation des défenseurs des droits de l’homme ont fait valoir que le respect du droit international relatif aux droits humains suppose l’enregistrement par notification plutôt que par autorisation, et implique que les organes chargés de l’enregistrement soient indépendants du gouvernement et ne comprennent donc pas de représentants des autorités au niveau local et national comme le prévoit la nouvelle loi.
Lorsque les associations déposent une demande d’enregistrement, les autorités peuvent l’accepter et délivrer un récépissé d’enregistrement ou la refuser (article 8). Les associations dont la demande a été rejetée disposent d’un délai de trois mois pour exercer un recours devant un tribunal administratif. Ceci constitue un recul par rapport à la Loi n° 90-31 de 1990 qui règlementait auparavant les associations et permettait à celles dont la demande avait été rejetée d’interjeter appel devant un juge. Si le tribunal administratif rend une décision en faveur de l'association, les autorités disposent d'un délai de trois mois pour faire appel (article 10).
L’exercice du droit à la liberté d’association érigé en infraction pénale
Aux termes de l’article 46 de la loi, les membres d’associations non enregistrées, suspendues ou dissoutes sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et d’une amende d’un montant maximal de 300 000 dinars algériens (environ 2800 euros). Cette disposition érige en infraction pénale le droit à la liberté d’association universellement reconnu, ce qui constitue une violation des obligations internationales de l’Algérie en matière de droits humains, et permet au gouvernement de fermer des organisations de la société civile.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association a fermement critiqué cette disposition : «Les membres d’associations non enregistrées devraient effectivement être libres de mener toute activité, et notamment avoir le droit d’organiser des réunions pacifiques et d’y participer, sans s’exposer à des sanctions pénales comme c’est le cas, et le Rapporteur spécial le regrette, en Algérie […] Ceci est particulièrement important lorsque la procédure de constitution d’une association est lourde et dépend du bon vouloir de l’administration, de sorte que la menace de sanctions pénales peut alors être utilisée pour réduire au silence les voix dissidentes.»
Des restrictions vagues et arbitraires
La nouvelle loi impose des restrictions larges, arbitraires et définies de manière vague à l’objet, aux buts et aux activités des associations. La Loi n° 12-06 dispose que les associations doivent agir dans «l’intérêt général» et ne pas être contraires aux «constantes et aux valeurs nationales», à l’ordre public, aux «bonnes mœurs» ou aux lois en vigueur (articles 2, 22-23, 24). Elle prévoit également la suspension ou la dissolution des associations «en cas d'ingérence dans les affaires internes du pays» ou «d’atteinte à la souveraineté nationale» (article 39).
Ces restrictions définies de manière vague se prêtent à une interprétation arbitraire ou subjective et peuvent s’appliquer à toute critique du gouvernement, de politiques publiques ou de lois, voire d’activités légitimes de défense des droits humains. Ceci est particulièrement préoccupant au vu des tentatives précédentes des autorités algériennes d’adopter des lois en vue de réduire au silence les familles des victimes du conflit interne des années 1990 et d’ériger leurs activités en infraction pénale.
Les restrictions pesant sur les relations des associations avec leurs homologues étrangères sont également source de préoccupation. La coopération avec des associations étrangères, le financement étranger et l’appartenance à des organisations étrangères exigent l’accord préalable des autorités, notamment du ministre de l’Intérieur et, dans certains cas, de plusieurs autres ministres (articles 22, 23 et 30). Non seulement ces restrictions soumettent les associations à de nouveaux contrôles et au bon vouloir des autorités, mais elles portent également atteinte à leur capacité d’obtenir et d’utiliser des moyens essentiels pour mener leurs activités.
Des exigences illégales ou lourdes
La nouvelle loi impose aux associations des mesures illégales ou lourdes auxquelles elles doivent se plier pour se faire enregistrer et fonctionner, ce qui est susceptible d'affaiblir fortement la capacité des organisations de la société civile à être reconnues et à fonctionner.
La loi impose, par exemple, un nombre élevé de membres fondateurs pour qu’une association puisse se faire enregistrer au niveau local ou national. Au moins 10 membres fondateurs sont requis pour les associations locales au niveau d'une commune, et au moins 25 membres fondateurs issus de 12 wilayas (départements) au moins pour les associations nationales, alors que selon les recommandations des experts des Nations unies deux membres fondateurs doivent suffire pour former une association. Qui plus est, la loi empêche les personnes de moins de 18 ans de fonder ou d’administrer une association (article 4), ce qui est contraire aux obligations de l’Algérie découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Convention relative aux droits de l’enfant qui énonce le droit des enfants à la liberté d’association.
Par ailleurs, la nouvelle loi impose un processus d’enregistrement lourd qui prévoit que les associations se réunissent en assemblée générale constitutive constatée par procès-verbal d’huissier de justice, au cours de laquelle les statuts sont adoptés et les responsables des instances exécutives désignés. Les associations doivent remettre aux autorités les coordonnées de tous leurs membres ainsi qu’un extrait de leur casier judiciaire, des copies certifiées des statuts, les pièces justificatives de l’adresse du siège et le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive. En outre, la loi renforce les pouvoirs de contrôle et d’ingérence du gouvernement dans les activités des associations, en exigeant qu’elles notifient au gouvernement et publient dans au moins un quotidien à diffusion nationale toute modification apportée aux statuts et tout changement intervenu dans les instances exécutives, et qu’elles transmettent aux autorités copie du procès-verbal de chaque assemblée générale ainsi que des rapports annuels.
Les restrictions drastiques pesant sur les associations étrangères
La Loi n° 12-06 prévoit un régime séparé et encore plus restrictif pour l’enregistrement et le fonctionnement des associations étrangères qui sont définies comme celles ayant leur siège à l’étranger et qui ont été autorisées à s’établir en Algérie, ou celles basées en Algérie et dirigées totalement ou partiellement par des étrangers.
Le processus d’autorisation des associations étrangères dépend de trois ministères (le ministre de l’Intérieur qui donne son accord, et le ministre des Affaires étrangères et chargé du secteur concerné qui donnent leur avis) et il dure trois mois au lieu de deux mois pour les associations nationales.
L'enregistrement et le fonctionnement des associations étrangères sont encadrés par des mesures plus lourdes ; elles doivent fournir des documents supplémentaires et des informations aux autorités qui vont au-delà de ce qui est déjà exigé des associations nationales, ce qui renforce le contrôle et l’ingérence des autorités dans les activités des associations étrangères (articles 62 et 66). Qui plus est, l’article 63 restreint fortement les critères d’agrément des associations étrangères à celles dont la mission est de mettre en œuvre des accords préexistants entre le gouvernement algérien et celui de leur pays d’origine .
L’article 65 dispose qu’une association étrangère peut être suspendue ou dissoute en cas d’ingérence dans les affaires du pays hôte ou si ses activités sont de nature à porter atteinte à "la souveraineté nationale", à "l’ordre institutionnel établi", à l’unité nationale ou à l’intégrité du territoire national, à l’ordre public et aux «bonnes mœurs», ou aux "valeurs civilisationnelles du peuple algérien".
Ces dispositions accordent aux autorités un cadre d’une ampleur inadmissible pour restreindre les activités des ONG étrangères, y compris les organisations de défense des droits humains, et toute association étrangère considérée comme critiquant les autorités ou la situation en Algérie peut se voir interdire de fonctionner dans le pays. Les experts des Nations unies ont recommandé l’application du même ensemble de règles aux associations nationales et étrangères.
A.I.
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