Algérie - Interview Merzak Allouache : "Le cinéma algérien est moribond…"
C’est le cinéaste algérien le plus prolifique. Merzak Allouache, fils du quartier de Notre Dame d’Afrique qui surplombe le populeux quartier de Bab el Oued , a fait du chemin depuis 1976, son premier film « Omar Gatlato » : tranches de vie d’un jeune algérien, macho et problématique avec l’élément féminin. Créant son style entremêlé d’humour et de réalisme, Allouache enchaîne avec deux autres films : « Les aventures d’un héros » (1977) et « L’homme qui regarde les fenêtres » (1982). Il amorce ainsi sa carrière de cinéaste entre deux rives. Il réalise, en 1983, un film en France : « Un amour à Paris ».
Octobre 1988 l’Algérie est secouée par une spirale de violence et de confrontation opposant le peuple et le parti unique. Merzak Allouache, alors cinéaste indépendant, zoome en caméra vidéo sur les évènements qui déchirent le pays. Il va à la rencontre des jeunes révoltés, recueille des témoignages sur la torture, interviewe des militants politiques, rencontre des représentants des mouvements féministes. Un travail de sape sur la société civile, qui donnera naissance à deux films documentaires : « L’Algérie en démocratie » et « Femmes en mouvement ». Ensuite, il est sollicité par l’Entreprise nationale de la Télévision (ENTV) pour laquelle il réalise l’émission « Qapsa chemma ».
1993, ambiance de guerre civile en Algérie. Le terrorisme bat son plein à Alger. Bravant le danger et l’insécurité qui régnaient dans les quartiers de la capitale, Merzak Allouache tourne « Bab el Oued City », une coproduction algéro-française. Dans les même conditions il réalise un documentaire pour Arte sur la situation des journalistes, intitulé : « Vie et mort des journalistes algériens ». 1996 : retour à la fiction avec le film « Salut cousin », sélectionné au Festival de Cannes. C’est la première fois qu’on voit apparaître sur le grand écran, le comique Gad el Maleh, le comédien principal du film, sélectionné par Allouache lors du casting, alors qu’ils ne se connaissaient pas encore. Leur amitié est née de cette rencontre.
Après quelques autres réalisations avec notamment la sortie en 2001 du film « L’Autre monde », 7 ans après « Salut Cousin », Allouache récidive avec son ami Gad el Maleh, devenu, entre temps, une star des planches et du cinéma français. Ce dernier lui présente Christian Fechner, un puissant producteur, pour mettre en branle leur nouveau film « Chouchou », transposition « de la scène à l’écran » d’un personnage tiré du one man show de Gad el Maleh et dont Allouache a co-écrit le scénario.C’est la consécration. Allouache réalise sa plus grande production cinématographique filmée en scope et dirige des vedettes du cinéma Français comme Alain Chabat. Le film sort en salle en 2002 et connaît un franc succès auprès des deux publics Français et Algérien.
Assidu observateur de la société algérienne, Merzak Allouache revient cette année avec un nouveau film « Bab el Web », qui traite du phénomène de « l’engouement des jeunes pour Internet » (voir interview). Une autre comédie légère et intelligente tournée à Bab el oued. Avec à l’affiche Faudel et Sami Naceri. Ces derniers campent les rôles de deux frères, l’un (Naceri) passionné par les combats de moutons et l’autre Bouzid « Matrix » alias Faudel adepte du chat sur le Web.
Le Matin DZ : Comment définiriez-vous votre cinéma?
Merzak Allouache: Je suis un réalisateur qui aime travailler sur les histoires qui m'intéressent et me passionnent. J'observe la société qui m'entoure et j'écris en général moi même mes scénarios. Pourtant, alors que je vis depuis longtemps en France, j'ai toujours envie de parler de choses qui concernent l'Algérie et mes personnages ont presque toujours un rapport avec ce pays. J'aime la comédie mais je préfère toujours les comédies qui ont un sens.
Après le succès de Chouchou, vous êtes retourné à Alger pour un nouveau tournage. Comment est née l’idée de Bab El Web ?
M A: Mes projets mûrissent toujours après un temps d'observation des choses de la rue, du quotidien d'une société qui se transforme. Chaque fois que je vais à Alger, alors qu'on a l'impression qu’en surface rien ne bouge, je m'aperçois que les choses changent. C'est ainsi que ces dernières années l'engouement pour le phénomène Internet est devenu vraiment réel. On voit très vite la présence des cybercafés dans les rues, dans les immeubles, dans les cités. D'autres phénomènes m'ont intéressés comme les combats de moutons et bien sûr ce problème qui n'en finit pas : l'envie de partir des jeunes...
A l’instar d’Omar Gatlatou et de Bab El Oued City, vous jetez à nouveau votre dévolu sur le quartier de Bab El Oued comme scène urbaine de votre nouveau film. Ce choix récurrent l’expliquez-vous par une vision rétrospective d’un même lieu à Alger ou bien est-ce de la nostalgie pour le quartier de votre enfance ?
M A : J'aime bien tourner dans certains coins d'Alger. En fait j'ai fait trois films qui ont pour décor principal Bab el Oued, mais je filme souvent dans d'autres endroits. Je me suis aperçu que dans plusieurs de mes films j'ai tourné des scènes qui avaient pour décor le port d'Alger et l'Aéroport... Et dans ces films il est question d'arrivée et de départ. Mais lorsque j'écris je ne me pose pas de questions psychanalytiques. Je me contente de raconter. C'est vrai que je ne suis pas attiré par des histoires qui se passeraient dans les montagnes ou dans les villages... Je suis un cinéaste urbain et je m'aperçois que je filme toujours Alger avec nostalgie comme si je craignais que l’Alger que j'ai connue ne disparaisse...
Comment s’est déroulé le tournage à Alger et quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?
M A: Le tournage s'est passé normalement dans une ville où à présent on peut tourner normalement. C'est ce que j'essaie de faire comprendre lorsque je présente mon film en France. Ici, j'ai l'impression qu'on ne veut pas voir d'autre image de l'Algérie que celle des années sombres. J'ai l'impression que pas mal de gens se complaisent à présenter l'Algérie sous cet angle qui fait peur. Parfois, lorsque je présente mes films en Europe, je prends conscience de tout ce qui reste à faire pour recadrer une image saine de l'Algérie. Pour moi l'Algérie se reconstruit et le travail est énorme.
Dans Bab El Web vous avez porté à l’écran le problème d’une jeunesse de cyber-voyageurs branchés sur l’occident à travers la télé et Internet… « Une porte pour sortir de la tristesse ». A votre avis, ce phénomène est-il bénin ou aura-t-il des incidences sur l’avenir de la culture en Algérie ?
M A: Le phénomène Internet aura certainement des incidences importantes sur la culture et sur bien d'autres choses. Lorsque mon personnage Bouzid évoque la tristesse et la porte du web pour en sortir, c'est pour moi une constatation désabusée de ce que peuvent vivre les jeunes chez nous. Ce n'est pas à travers l'écran de la télé (avec le zapping) ou par un rapport névrotique avec Internet que les jeunes vont s'épanouir. Il faut relancer la vie culturelle et artistique. Il faut que les jeunes aient le choix de sortir, d'avoir des lieux à eux, d'aller au concert, au cinéma, au théâtre, etc. Pas seulement s'ils ont beaucoup de fric. : Votre film est drôle, mais pas dépourvu de signes, ni de symbolique : L’oncle barbu et sa boîte de gâteaux de « clémence », la sœur des deux « immigris » qui porte le voile et fume des Marlboro en cachette, etc. A quoi pensiez-vous en écrivant le scénario ?
M A: Je raconte des situations et des personnages mais certainement avec l'envie évidente que le spectateur fasse sa propre lecture. D'ailleurs c'est toujours le cas lorsque je participe aux débats sur mes films. Très souvent les lectures que font les autres de mon travail sont pour moi un enrichissement. :
Vous considérez-vous comment un casseur de tabous ?
M A: Parfois, dans mes films je fonce sans penser aux conséquences. C'est peut-être ça être un artiste...Je pense qu'il y a en Algérie beaucoup de gens qui sont des casseurs de tabous. Peut-être qu'on ne les connaît pas. Il faut laisser l’expression artistique s'exprimer normalement et critiquer par la suite. C’est comme ça que d'autres talents, d'autres expressions naissent. Il y a chez nous des peintres qui cassent des tabous, des chanteurs de rap aussi... Au cours de mon dernier séjour j'ai découvert par hasard un rappeur de Annaba "Double Canon". J'ai acheté tous ses disques et cassettes... Il casse beaucoup plus de tabous que moi. Et franchement, ses chansons sont de véritables scénarios...
L’Algérie est le thème central de vos films. Ne craignez-vous pas qu’on vous cantonne dans la catégorie des réalisateurs engagés et de cause ?
M A: Cela ne me gène pas qu'on me cantonne dans des catégories. Mon problème principal c'est d'exercer librement ma profession. De tourner. En ce qui concerne l'engagement, je l'ai déjà dit; il est clair que par mon travail en France et en Algérie je raconte les gens, leurs problèmes, leur mal vie avec toujours l'espoir d'une évolution positive. Je ne suis pas de ceux pour qui "casser de l'Algérie" devient un fond de commerce. Parfois lorsque je tourne en Algérie, je m'aperçois qu'en France, les médias m'en veulent de ne pas leur apporter les images "catastrophiques" ou "folkloriques" qu'ils souhaitent. Alors ils me boudent ou me descendent en flèche. C'est le cas pour mon dernier film qui est passé totalement inaperçu au niveau médiatique.
Que pensez-vous du cinéma algérien d’aujourd’hui ?
M A: Il est toujours moribond, que ce soit au niveau de la production que de la diffusion. Tout le monde sait que le volume de production est très faible par apport à l'importance du pays. Les cinéastes qui montent leurs projets sont très courageux. Beaucoup ont baissé les bras. Un film coûte très cher. Trop cher. Il faut regrouper des sommes considérables. Frapper à beaucoup de portes. C'est usant. Le problème des salles aussi est crucial. Faire des films et après... Comment les montrer ? Pour Bab el Web, j'avais ramené des copies que j'essayais de dispatcher à travers les salles du pays qui fonctionnent encore. Ce n’est vraiment pas évident. Des dizaines de salles ont disparu.
Un projet de film en perspective ?
M A: Je suis en écriture. Je travaille comme chaque fois sur plusieurs projets et en général j'attaque le plus abouti. Mais l'essentiel pour moi c'est de ne pas rester sans rien faire. Le temps passe trop vite.
Interview réalisée par Fayçal Anseur
Commentaires (10) | Réagir ?
merci pour les informations
j'ai deja vu un film de allouache sur les terroristes, ce qui qui est desolant a la fin c'est cette scene obscène qu"on voit, en tant qu'algerienne je veux bien voir des choses qui touchent mon quotidien, c 'est le k de mokneche, on est toujours fier de nos createurs, et le produit algerien, mais pas n'importe quel produit, on veut la QUALITE, un algerien qui va payer son ticket d'entree sachant qu'il n a rien dans sa poche, il faut pas le decevoir, il merite ce qu'il y a de mieux.