La morale, la crise mondiale et la présidentielle d’avril 2014 en Algérie
A l’aube de l’élection présidentielle dont le Premier Ministre a tenu à affirmer qu’elle se tiendra à la date prévue (avril 2014), les différents candidats doivent jouir d’une moralité irréprochable, s’ils veulent mobiliser la population algérienne par un sacrifice partagé, car les ajustements économiques et sociaux entre 2014/2020 souvent différés seront douloureux.
1- Morale, crise mondiale et transition démocratique
L’économie mondiale traverse une très grave crise qui aura des répercussions sur l’ensemble des pays sans exception car nous sommes à l’ère de la mondialisation du fait de l’interdépendance des économies et des sociétés. Aucun pays ne peut y échapper si l’on ne met pas en place de nouveaux mécanismes de régulation supranationaux afin de réhabiliter la sphère réelle, la monnaie étant un signe au service de l’économie et non la dominer. Et ce bien entendu, dans le cadre d’une économie mondiale concurrentielle tenant compte des avantages comparatifs mondiaux et devant lier l’efficacité économique avec une profonde justice sociale, les économistes parleront d’équité. C’est que nous sommes à l’aube d’une nouvelle transition de la société mondiale avec de profonds bouleversements géostratégiques, ce qui supposera des ajustements sociaux douloureux et donc une nouvelle régulation sociale afin d‘éviter les exclusions. Le chacun pour soi serait suicidaire et nous ramènerait aux conséquences néfastes des effets de la crise de 1929, avec des conflits désastreux.
Pour cela, les politiques et les économistes doivent réhabiliter un facteur stratégique du développement, la morale. Car existe des liens inextricables entre un développement durable et la morale, en fait la récompense de l’effort et une lutte contre la corruption sous ses différentes formes. Lors de plusieurs rencontres internationales de la première importance animées par d’importantes personnalités internationales, et dont j’ai été un des participants, la majorité des participants des deux rives de la méditerranée ont mis en relief que la mise en place de nouvelles institutions démocratiques, occasionnent à court terme un ralentissement économique. La majorité des prix Nobel de sciences économiques entre 2000/2013 ont nettement mis en relief les liens dialectiques entre institutions et développement. Le changement d’institutions a certes un effet négatif sur la croissance à court terme, donne l’impression d’une anarchie, une propagande des tenants des acteurs de l’ancien système pour qui stabilité s’assimile faussement à développement alors que les institutions non adaptées sont source de gaspillage des ressources financières avec une concentration du revenu national au profit d’une minorité rentière.
Par contre, à moyen et long terme, les nouvelles institutions assisent sur des bases démocratiques tenant compte de l’anthropologie de chaque société peuvent contribuer au développement réalisant la symbiose citoyens/Etat dans le cadre d’une société plus participative et plus humanisée. Les discours chauvinistes, soi-disant nationalistes de certains dirigeants arabes, de complots de l’extérieur ne portent plus au sein d’une population à majorité jeune parabolée ouverte sur le monde. Et il semble bien que les bouleversements actuels dans le monde arabe est bien le fait que les dictatures et les autoritarismes sont devenus, dans un monde complexe, de très graves menaces à la souveraineté et à l’indépendance de ces pays et d’une manière générale à la sécurité mondiale. Les dirigeants du Nord portent une lourde responsabilité en étant mus par des intérêts matériels étroits à court terme. L’hommage mondial rendu récemment au feu Nelson Mandela fondateur de la démocratie en Afrique doit être méditée. Dans ce contexte, il ya lieu impérativement de repenser le fonctionnement du système économique et politique international, et notamment des politiques de complaisance de l’Occident vis-à-vis de ces dictatures qui menacent la sécurité mondiale, impliquant plus de moralité des dirigeants de l’Occident, car s’il y a des corrompus, il y a forcément des corrupteurs, avec ces transferts faramineux illicites de capitaux du tiers monde vers l’Occident. Que l’on relise les rapports récents de la banque mondiale et de la banque africaine de développement pour s’en convaincre, un transfert supérieur au PIB actuel de l’Afrique.
2.-Qu’en est-il des liens entre morale et développement en Algérie ?
Dans aucun pays digne de ce nom, une personne impliquée directement ou indirectement dans des scandales financiers ne peut prétendre à la fois créer un parti ou parler sans pudeur au nom d’un peuple, traduisant un mépris pour la population algérienne, expliquant cette démobilisation et cette crise de confiance Etat-citoyens. Comme nous l’ont enseigné Aristote et Ibn Khaldoun, l’absence de moralité de certains dirigeants est le début du signe de la décadence d’une société. La crise morale pose la problématique de l’indépendance de la justice, de la corruption socialisée via la captation de la rente, étant en plein syndrome hollandais, (98% d’exportation d’hydrocarbures et important presque tout) touchant avec plus d’intensité la société algérienne.
Comment ne pas rappeler, pour l’Algérie les impacts négatifs d’une gouvernance mitigée, une dépense publique colossale 500 milliards de dollars programmés entre 2004/2013 pour un taux de croissance dérisoire, en moyenne 3% durant cette période avec une baisse prévisionnelle en 2013 à 2,7% selon le FMI alors qu’elle aurait du dépasser 10%, 83% du tissu économique étant constitué du commerce/services avec un déclin du tissu productif où l’industrie représente moins de 5% du produit intérieur brut. Le pouvoir d’achat est fictif dépendant à plus de 70% de la rente des hydrocarbures, les réserves de change, produit de cette rente, convoitise tant locale qu’internationale de plus de 190 milliards de dollars, l’inflation comprimée artificiellement par des subventions désordonnées sans ciblage où les transferts sociaux approchent les 20 milliards de dollars selon la loi de finances 2014 sont le reflet d’une économie artificielle sous perfusion de la rente. Avec pour conséquence, l’extension de la sphère informelle produit de la bureaucratie, plus de 50% de a superficie économique où tout se réalise en cash, favorise la fraude fiscale et la corruption qui freine la mise en œuvre d’affaires saines, en fait le développement de l’Algérie.( voir notre étude sur le Maghreb et la sphère informelle parue à l’Institut Français des Relations Internationales- IFRI- Paris 03 décembre 2013 et le rapport de Transparenty International de 2013).
Pour Transparenty International, "ces très mauvais résultats pour la 11e année consécutive est révélateur de l’aggravation de la situation qui prévaut en Algérie en matière de gouvernance". Concernant le cas spécifique de l’Algérie, le Forum euro-méditerranéen des instituts des sciences économiques (Femise) considère que le gouvernement algérien a été incapable de trouver une stratégie à long terme pour l’emploi des jeunes». Malgré la création des dispositifs Ansej, Angem et ANEM, les emplois créés «sont éphémères et sous-payés. Le chômage touche particulièrement les jeunes. Selon les estimations du BIT, 24,3% des jeunes sont sans emploi. Selon les dernières données du Ministre de l’industrie, les entreprises publiques ont un effectif inférieur à 250.000 personnes mais chiffre gonflé incluant des sureffectifs et la facilité suicidaire à terme est de créer soit des emplois temporaires fictifs ou des emplois dans l’administration. Aussi selon l’étude du Femise, si l’Algérie n’a pas été touchée par de violentes révoltes populaires, comme ce fut le cas chez ses voisins, elle n’est pas pour autant immunisée contre un risque d’instabilité sociale persistant. Le rapport précise également que si la politique monétaire de l’Algérie est relativement prudente, des risques pèsent sur la stabilité du dinar avec des poussées inflationnistes et l’instabilité sociale en cas de chute brutale du cours des hydrocarbures. Toujours selon cette étude, malgré l’optimisme des pouvoirs publics alimenté par l’euphorie du cours du pétrole, l’Algérie n’a pas encore trouvé de modèle de croissance susceptible de réduire les inégalités, le chômage et la pauvreté.
3. Morale et adaptation aux nouvelles mutations, condition de la stabilité de l’Algérie
L’Algérie a deux choix : faire des efforts pour réformer ses institutions et l’économie vers plus de démocratie et de transparence notamment de la gestion de la rente des hydrocarbures, des réserves de change, des subventions généralisées sans ciblage, des fonds spéciaux, du fonds de régulation des recettes, ou régresser vers une attitude protectionniste en maintenant le statu quo politique et économique comme cette généralisation de la règle es 41/51% où l’Algérie supporte tous les surcouts, sans délimiter clairement ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas. Il s’agit d’éviter d’avoir un discours de vérité loin du populisme. Le 09 décembre 2013, le ministre de l’Industrie a déclaré devant les membres du Conseil de la nation je le cite : «le secteur industriel algérien compte 860 entreprises publiques, qui emploient 278 000 travailleurs avec un chiffe d’affaires qui avoisine 800 milliards de DA. A ce chiffre, il faut rajouter 345 entreprises affiliées aux 18 SGP employant 92 000 travailleurs... le processus de privatisation des entreprises publiques a échoué, le gouvernement prévoyant un fonds spécial pour la réhabilitation des entreprises ayant la capacité de réaliser des projets en partenariat de 400 milliards de dinars". Il semble bien que le Ministre ne connait pas bien l’historique du dossier devant ne pas confondre privatisation et démonopolisation, processus complémentaire. Si l’on excepte la période 1995/1999, où le processus a été bloqué, le Conseil de privatisation organe technique sans aucun pouvoir de décision politique a été gelé n’ayant rien privatisé, cette période ayant vu surtout la liquidation d’actifs par les holdings, la gesticulation entre 2000/2009, discours sans réalisations concrètes et aucune vision stratégique, destiné surtout à l’international, excepté quelques PMI_PME et quelques surfaces commerciales, l’ancien ministre en 2012 envisageait de privatiser entre 150 et 200 petites et moyennes entreprises (PME) publiques d’ici à la fin de 2013 concernant : l’industrie manufacturière, le textile, les matériaux de construction, l’agroalimentaire. La part des opérateurs privés nationaux pouvait atteindre 60% contre 40% pour l’État dans certains cas et quand l’usine est à l’arrêt, l’opérateur national pourrait obtenir jusqu’à 99% des parts pour relancer l’activité. Quant aux opérateurs étrangers, la règle des 49/51% est appliquée. Un « appel à projet pour partenariat » avait été ouvert destiné aux opérateurs algériens et étrangers dans 18 filières, appel qui devait expirer le 31 décembre 2013. Et voilà qu’on nous annonce une autre démarche, où depuis l’indépendance politique nous avons assisté à de multiples organisations des capitaux marchands de l’Etat sans effets positifs( voir ouvrages sous la direction d’Abderrahmane Mebtoul- l’Algérie face à la mondialisation- Etat de Droit et bonne gouvernance -2 volumes- Casbah Edition 2004). Or, la privatisation devant être défini comme facteur de croissance et de restructuration de l’appareil productif, d’une mutation systémique vers l’économie de marché productive concurrentielle, n’a pas échoué puisqu’elle n’a jamais réellement commencé. Par contre, l’assainissement des entreprises publiques a couté au trésor public plus de 60 milliards de dollars entre 1971/2012, 70% étant revenues à la case de départ alors qu’on aurait pu créer tout un tissu économique productif nouveau créateur d’emplois durables. Les intérêts rentiers diabolisent sous le couvert du slogan «bradage du patrimoine national» tant le secteur privé national qu’international, les véritables managers des entreprises publiques, freinent les réformes structurelles car déplaçant des segments de pouvoir. Ils limitent l’autonomie par une gestion administré bureaucratique centralisée des entreprises publiques, qu’il s’agit également de ne pas diaboliser car nous avons de très bons managers publics et la majorité sont honnêtes, entreprises qui ne peuvent alors évoluer dans un environnement concurrentiel où toute décision de management stratégique doit être prise en temps réel.
Le constat unanime est que les résultats sont loin des potentialités du pays. Aussi s’agit-il d’éviter de dépenser sans compter, de dresser un bilan serein sans complaisance tant interne que de notre diplomatie et de tracer les perspectives réalistes tenant compte des nouvelles mutations géostratégiques mondiales, car l’Economique fonction de bonnes institutions démocratiques est déterminant pour l’avenir de l’Algérie située dans une région turbulente, mais qui recèle d’importantes potentialités pour surmonter la crise multidimensionnelle à laquelle elle est actuellement confrontée, le devenir de l'Algérie dans le cadre de l'intégration du Maghreb, condition de la stabilité de la région notamment au Sahel, étant en Afrique. Et là on revient toujours à la morale : la vertu du travail, intiment liée à l‘Etat de droit et à la démocratisation de la société, surtout des responsables qui doivent donner l’exemple en favorisant l’alternance au pouvoir, s’ils veulent mobiliser leur population et éviter la décadence de la société algérienne, la société anémique, analysée avec minutie par le grand sociologue maghrébin Ibn Khladoun. La stabilité de l’Algérie qui conditionne d’ailleurs la stabilité tant de la région méditerranéenne que de l’Afrique est à ce prix.
Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités Expert international en management stratégique
Commentaires (3) | Réagir ?
merci
En Algérie les paroles sont comme le vent, lorsqu'il s'agit des hommes politiques, il est inutile d'en parler, ils sont plus que les politiciens des autres pays, parce que en plus chez nous, ils ont pris des mauvaises habitudes, ils ne craignent pas la sanction du bulletin de vote du peuple moribond.