Pour un débat responsable autour de la question identitaire

L'Amazighité, un pan millénaire de l'identité algérienne, est bafouée par le pouvoir depuis l'indépendance.
L'Amazighité, un pan millénaire de l'identité algérienne, est bafouée par le pouvoir depuis l'indépendance.

En Algérie, le changement annoncé par l’opposition propose de réformer le système politique en vigueur, par un replâtrage ponctuel de celui-ci, tout en maintenant le dogme du "respect des constantes nationales et des composantes de notre identité, le respect des principes et des valeurs fondamentales et nationale" en vigueur.

Contrairement à une situation révolutionnaire, où c’est la volonté populaire qui est censé initier le changement, pour définir les nouvelles règles du système politique, de la gouvernance et du vivre ensemble. Force est de constater, que cette initiative à réformer le système politique dans ces conditions, ne peut mener que vers la reconduction du statu quo.

Cette situation appel inévitablement un consensus autour de l’importance de la Charia et l’article 2 de la constitution. Celui-ci stipule que les lois du pays seront inspirées de la Charia, et que cet impératif est intouchable. En se retranchant derrière le conservatisme des «constantes nationales et des composantes de notre identité, des principes et des valeurs fondamentales nationales», l’opposition en course aux présidentielles révèle son intention de fuite en avant dans l’illusion de pureté des origines, qui serait selon Edward Saïd ce «système fermé qui se contient et se renforce lui-même, et dans lequel les objets sont ce qu’ils sont, parce qu’ils sont ce qu’ils sont une fois pour toutes, pour des raisons ontologiques qu’aucune donnée empirique ne peut ni déroger ni modifier».

Tout en ayant servi avec efficacité d’argument aux nationalismes surgis après la décolonisation, à la critique, à la résistance et à l’opposition à la domination impérialiste, continuent à servir jusqu’à ce jour un autre argument aussi efficace pour justifier le patriarcat, par son expression politique autoritaire des plus violentes et des formes d’oppression des femmes des plus humiliantes. Il faut admettre que le débat autour de l’identité culturelle ne peut être examiné sans le situer dans le contexte actuel de notre monde postcolonial et globalisé à l’horizon de la mondialisation, caractérisé par cette crise multiculturelle profonde et durable. Dans le cas contraire, nous serons condamnés à nous enfermer dans une société d’autorité masculine exclusive, fondée sur des rapports de pouvoir autoritaires et violents et dont la pérennité sera assurée par un système éducatif ultraconservateur et régressif comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui.

L’acculturation et le transculturel

La culture est à tout instant le produit d’un processus d’acculturation. Parce que les cultures évoluent constamment, procédant par emprunts ou rejets, mais aussi par réinterprétations et inventions. Acculturé, ne veut pas dire sans culture, le « a » dans ce cas n’est pas un signe privatif. L’acculturation englobe sans discriminer le jeu des diverses influences qui se manifestent au sein d’une culture. Lévi-Strauss, dans Race et histoire, considère qu’une culture qui n’emprunte pas est une culture qui se fige et qui est appelée à disparaître. Parce que loin d’être un phénomène d’appauvrissement, les mécanismes d’emprunts participent à l’enrichissement de la culture, c’est incontestablement une condition essentielle au dynamisme des cultures. La force d’une culture est donc dans sa capacité de collaboration et d’emprunt. Lévi-Strauss emploie d’ailleurs les termes de « coalition, jeu en commun» et il affirme que «le progrès culturel est fonction des coalitions entre cultures». Roger Bastide, dans Le Prochain et le lointain, distingue deux formes d’acculturation, l’une formelle et l’autre matérielle. L’acculturation formelle, c’est la transformation des formes, des manières de penser et de sentir, elle est inconsciente. L’acculturation matérielle concerne les contenus de la conscience, l’adoption ou la réinterprétation de traits culturels. La différence entre l’acculturation formelle et l’acculturation matérielle, consiste dans le fait que, pour la première on n’adopte pas consciemment les traits culturels d’emprunt, on le fait inconsciemment, sans pouvoir l’expliquer, dans l’acculturation matérielle, on choisit consciemment d’adopter tel aspect spécifique ou tel autre, en fonction des avantages et des inconvénients des manières de faire de la culture d’emprunt.

Dans notre civilisation mondialisée et très urbanisée, les technologies de communication permettent la circulation rapide et multiple des diverses cultures. Dans les grandes villes, les phénomènes de brassage culturel sont amplifiés, les rencontres facilitées, et la diffusion satellitaire des médias mettent en présence permanente des traits culturels avec d’autres qui leur sont étrangers. Une culture tout à fait originale est en train de se développer dans les banlieues des grandes villes cosmopolites mondiales, qui est souvent ghettoïsée autour des H.L.M. La particularité de la culture de banlieue, c’est la favorisation du brassage, du mélange et du métissage.

Le dialogue interculturel ne se déroule pas entre des cultures conçues du point de vue essentialiste comme s’il s’agissait de blocs monolithiques et opposés, et comme si elles étaient des entités naturelles incommensurables et par conséquent imperméables à tout échange, et comme s’il n’y avait pas eu au cours des siècles et dans l’histoire des contaminations, des emprunts et des échanges réciproques, qui serai selon la terminologie de J. F. Lyotard un différend entre les cultures comme s’il s’agissait de genres de discours dépourvus de tout critère d’évaluation commun condamnant les cultures à ne jamais pouvoir se comprendre. La conception multi culturaliste de la reconnaissance des différences conduirait à coup sûr à une sorte de «balkanisation» des cultures. C’est en cela qu’une réflexion critique sur l’identité des communautés culturelles au sein de l’espace public seule peut favoriser un entrelacement transculturel. Si la multi culturalité se réfère tout simplement à la coexistence de plusieurs cultures au sein d’un même espace géopolitique, et que l’inter culturalité désigne la dynamique qui en activant l’échange et les relations réciproques entre les groupes de la mosaïque multiculturelle brise l’ethnocentrisme et ses préjugés, le concept de transculturalité comme le montre H. J. Sandkuhler ne repose pas contrairement à celui d’inter culturalité sur l’affirmation selon laquelle les cultures seraient des unités homogènes et circonscrites dans des frontières stables, elles ne sont plus en effet établies par les nations, les religions, les ethnies ou les traditions, mais trouvent leur origine et se transforment dans la dynamique et la complexité de réseaux humains flexibles et simultanés incarnés par les réfugiés, les migrants, les exilés, les expatriés dans des espaces devenus désormais postcoloniaux.

On observe depuis la fin de la période de colonisation une reconfiguration du champ des relations entre anciens colonisateurs et anciens colonisés, en inscrivant les anciens empires coloniaux dans un monde désormais postcolonial, traversé par des mouvements transnationaux de populations immigrées, qui voient apparaitre la présence structurelle de l’autre anciennement colonisé dans leur espace, engendrant une situation multiculturelle sans précédent dans l’histoire. En fait, depuis le milieu des années 80 avec l’émergence d’un mouvement «beur» porteur de revendications citoyennes au sein de la société française, il s’est produit un basculement d’une immigration de travail à une immigration de peuplement. Nombre de ces immigrés ont opté pour la double nationalité et leurs enfants, par le jeu du droit du sol, étaient eux-mêmes français de naissance. Les modèles d’intégration républicaine dans les principes de la tradition politique française mis en place pour contenir cette intrusion de l’autre dans leur espace ont tous été voués à l’échec. Cette situation a engendré un débat qui est devenu un enjeu principal dans toutes les campagnes électorales, allant jusqu’à l’absurde, en créant un ministère de l’Identité Nationale.

Durant les trente dernières années du XXème siècle les courants de pensée, tels, les subaltern studies, les postcolonial studies et les cultural studies ont permis de penser la chute des frontières culturelles et idéologiques au moment où les flux migratoires et les interactions entre les cultures ne cessent de s’intensifier. Etienne Balibar affirme que la crise du multiculturalisme est le symptôme que toutes les catégories analytiques centrées sur l’Etat-nation moderne que Carl Schmitt a appelé le «nomos de la terre» et le paradigme du constitutionnalisme moderne sont toutes «sous rature» au sens de Jacques Derrida. «Sous rature» est un dispositif stratégique philosophique à l’origine développé par le philosophe Martin Heidegger. Il implique la rature d’un mot dans un texte, tout en lui permettant de rester en place et lisible. Il sera utilisé intensivement par Jacques Derrida, comme pour signifier qu’un mot est insuffisant mais nécessaire, qu’un signifiant particulier n’est pas tout à fait adapté pour le concept qu’il représente, mais doit être utilisé, que les contraintes de la langue n’ont rien à offrir de mieux. On parle aujourd’hui, d’Etat postcolonial, transculturel, postmoderne et même post démocratique. Jacques Derrida a fait valoir, que ce n’était pas seulement les signes particuliers qui ont été placés « sous rature », mais l’ensemble du système de signification.

Michel Wieviorka affirme que nous ne pouvons plus nous satisfaire d’un débat tranché une fois pour toutes en faveur d’une conception républicaine aux vertus intemporelles. Les catégories de la modernité, la nation, l’état, le droit, etc., n’auraient plus aucune raison d’être mais plutôt qu’elles doivent être continuellement réélaborées, mis à l’épreuve, dans des situations absolument inédites et par conséquent renouvelées en profondeur. Stuart Hall, plaide pour le «retour du subjectif en politique», affirmant que le multiculturalisme n’est que le symptôme d’une crise et d’une transformation en actes de toutes les catégories philosophiques et politiques de l’époque moderne liées au concept d’Etat nation. Le multiculturalisme va de pair avec la clôture apologétique et ethnocentrique de cette raison occidentale. Il faut donc admettre qu’il n’existe pas seulement un cosmopolitisme attaché suivant l’inspiration rationaliste kantienne à l’idéal moderne du citoyen du monde mais également un cosmopolitisme «transculturel» en mesure d’articuler des cultures et des identités différentes. Notre société planétaire qui ne cesse de perpétuer et d’alimenter les appartenances tribales et les frontières géographiques et mentales protégées par tant de murs et d’appareils militaires, et en associant le multiculturalisme à la question de la reconnaissance, qui fait de lui un multiculturalisme de marché, transposant la diversité culturelle sur l’échelle des biens utiles au capitalisme mondial et global, nous incite tout particulièrement à redoubler de vigilance devant les risques et dérives auxquels peut nous mener cette situation.

Parce qu’on est en droit de rêver, qu’on est tout naturellement au seuil d’une mutation civilisationnelle heureuse, en interprétant positivement cette tendance au métissage sur le registre d’une utopie transculturelle harmonieuse. Vers une civilisation qui intégrerait toutes les dispositions particulières, permettant de penser la chute des frontières culturelles et idéologiques au moment où les flux migratoires et les interactions entre les cultures ne cessent de s’intensifier.

Pendant ce temps-là, nous, nous serons encore aux prises dans des diatribes entre Charia et ghettoïsation ethnique.

Youcef Benzatat

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Commentaires (22) | Réagir ?

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Quelqun EncoreQuelqun

transculturalité dialectique... l’acculturation formelle... processus d’acculturation inconscient... d’interculturalité.....

Ya salam! Eww, un peu de répit pour mes deux pauvres neuronnes dhi lâ3naya nwéne! " Quisquissik ???" Nous sommes plus dans de la haute voltige, c'est carrément de la "transE" (avec un "e") comme seuls nous (imravdhéne) savons faire! Il ne manque que lévkhor !

Les interventions d'Aghedu n'arrangent rien avec ce français tout droit sorti de... La Renaissance (clin d'oeil !!)

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Charles surgit uniquement quand il sent le cadavre, la bonne charogne nourrissante pour son instinct prédateur. Il aime prendre le plaisir à voir des bêtes s'entre déchirer d'abord, se dépecer avant d'annoncer, en faux De us Ex Machina et avec un soupçon de sadisme attesté, un arbitrage trompeur inutile. Nature profonde de Meursault avec seule l'indifférence comme plaisir d'existence. Mais une indifférence ne supportant point celle des autres. Rien d'intérêt dans le beau des autres pour corbeau jaloux déguisé en l'albatros!

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Quelqun EncoreQuelqun

@ Nachabe Madih

Ravi que vous soyez de retour, wahaq Jeddi que c'est sincère!

J'avais même essayé d'évoquer votre disparition ainsi que celle de Farid Hamid dans l'un de mes commentaires, mais celui-ci (mon commentaire, hein!) est passé à la trappe comme on dit.

Quoi qu'il en soit, que ça sente la testostéronne, que ça saigne, que ça se chiffonne... mais, au moins, avec un smic de niveau linguistique! Car, depuis votre disparition, il est apparu une nouvelle "race" de commentateurs... dhachou akinigh... aghiqil Rabbi !

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mohand aghedu

Et avec quelle componction ce derviche tourneur de Benzetâte

nous assène ses élécubrations... yeghra alami ye3WAQ !

PS : merci pour le clin d'oeil. Salutations

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Nachabe Madih

Monsieur Benzatat,

Face à ce nouveau rebond radical légitime de la Kabylie, le seul et unique responsable qu'il faut condamné est ce pouvoir qui a perverti l'esprit des autres Algériens à ne jamais répondre aux appels désespérés de la Kabylie qu'ils considèrent comme trop différente, hérétique, comme l'ennemie d'une certaine unité nationale fabriquée à Tripoli, qu'elle a niée. Plus de 50 années d'appels sans aucun échos!

"ghettoïsations ethniques, érosion intellectuelle, la pureté folklorique, l’épluchure d’une identité,... " Pourquoi toute cette vieille marre stagnée d'idée préconçues digne d'un ennemis irréductible? Comment un intellectuel comme vous, M. Benzatat, est-il amené à dépeindre ainsi d'archaïque et de décadente toute une région connue pour sa résistance historique à se défaire de tous les jougs, idéologique et religieux, qui aliènent le restant de l'Algérie? N'est-il pas plus juste de conseiller à la prendre plutôt en exemple?

Tout un torrent de lexiques bien ciblés, très révélateur, longtemps ruminé, chargé de préjugés qui, telle une redoutable lave couvent en secret, n'a attendu, finalement, que le prétexte de la position politique d'Idir pour le déverser brutalement, crûment, sur toute une région innocente! Votre appel me rappele le discours de campagne de Bouteflika de 99, exhortant les Kabyles à Tizi Ouzou, à descendre de leur montagne pour se dissoudre en masse dans les plaines arabisées et islamisées de l'Agérie! Noble sollicitud si elle venait d'un homme de paix tel que notre Mandela: Boudiaf. Mais pas d'un conspirateur réputé dont le dessein est d'anéantir ce que son ancêtre le MALG a lamentablement raté.

Ce que vous avez écrit sur Idir, M. Benzatat, me donne de la tristesse! Du vague à l'âme car, il est loin d'être comme vous l'avez délibérement dépeint, un raciste et à travers lui, tous les kabyles epris de leur destin! Vous avez fait d'une pierre deux coup: attenter à l'homme et à l'artiste à la fois. A l'homme pour sa position politique courageuse et franche sur la Kabylie et à l'artiste pour la même raison! Son art, bon ou mauvais, n'explique donc pas sa position que seule votre conviction idéologique a jugé déviante. Pourquoi donc chercher à salir l'art d'Idir par une idéologie supposée, en le liant à ses declarations sur la Kabylie? N'a-t-il pas le droit de s'exprimer comme un simple mortel avisé et même en tant qu'artiste d'ailleurs? Je suis sûr que si Idir avait tenu un discours contraire sur le devenir de la Kabylie, comme vous l'auriez souhaité, comme celui d'Ait Menguellet sur l'autonomie, son art aurait trouvé subitement, à ce moment-là, toute la grâce de sa noblesse à vos yeux! Mais la politique est tactique comme dirait Abassi. Tout un art du mensonge. Et votre fin justifie bien tous les moyens.

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youcef benzatat

Tout ce que je peux vous dire monsieur Madih, c'est que vous confondez la culture avec l'identité ethnique, pour le reste, je trouve que vous n'avez rien compris ni à mon texte sur Idir, ni sur celui du débat sur l'identité, je n'ai aucune raison de m'en prendre à moi-même, autant le savoir, parce que je m'identifie complètement dans le peuple Kabyle et tous les autres peuples qui composent l'étendue du territoire qui a façonné depuis des millénaires les traits culturels qui me caractérisent. Je m'autorise par moi-même, comme le dit si bien Jacques Lacan, à répondre à tous ceux qui veulent nuire à ce peuple dans ses différentes variantes, y compris les Kabyles eux-mêmes, car je considère qu'Idir a attenté en premier aux Kabyles eux mêmes, à leur dignité, à leur intelligence et à leur histoire en soutenant des égarés, qui le font égarer lui-même, contre la volonté de ce peuple si malmené, comme je répond au quotidien aux charognards qui se disputent ce que le colon a épargné à notre peuple et aux bigots qui veulent le vendre à vil prix à une idéologie réactionnaire, raciste et fascisante. Avec tous mes respects, en espérant qu'un brin de lucidité puisse vous ramener à la raison.

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