L’ambivalence de Benbitour, entre hérésie et imposture !
Nous avons posé la question suivante en mars 2013 sur Le Matindz « Le vent de printemps de Benbitour, changement ou continuité » ? Huit mois plus tard, nous sommes parvenus à l’amère conclusion qu’il ne s’agit du moins que d’un galimatias d’ambivalences qui se résume en un oxymore prêchant la transition démocratique sans démocratie.
Le peuple algérien est aujourd’hui acculé à mener son combat pour la démocratie avec la même détermination et la même volonté que la génération de novembre avait mise pour la conquête de la souveraineté nationale, tellement le système de pouvoir actuel présente de troubles similitudes avec le système colonial. Notamment, par la fraude électorale systématique, la répression de l’opposition au système de pouvoir, l’inféodation de la justice au profit des dominants, une économie dont la finalité est l’exportation des richesses nationales et d’investissements de prestige non productifs ni créateurs d’emploi, une politique sociale laxiste conjuguant répression des masses populaires et corruption des élites.
Contrairement à la génération de novembre qui avait affaire à un pouvoir colonial, dont l’objectif était l’occupation et l’intégration du territoire national à la métropole, celle d’aujourd’hui doit faire face à un pouvoir contre révolutionnaire qui a perverti l’objectif ultime de la révolution de novembre, en tant que volonté de restitution au peuple algérien de son autodétermination, par la reconquête de sa liberté et de sa souveraineté. Il en résulte d’évidence que la transition vers la quête de cet idéal, dont le destin a été dévoyé machiavéliquement, ne pourra s’accomplir que sous forme d’une révolution populaire éclairée par une conscience collective souveraine. Celle-là même à laquelle nous a semble-t-il convié Ahmed Benbitour, toutefois en voulant nous convaincre de la nécessité que celle-ci doit-être pacifique et pragmatiquement participative au processus électoral émanent du système de pouvoir lui-même. Une proposition connotée d’une forte ambivalence, qui s’est prêtée à différents commentaires, allant de sa qualification positive d’hérésie par rapport au système de pouvoir actuel (du fait de son auto-sacralisation en « famille révolutionnaire »), à l’imposture négative pour les plus incrédules et les plus déterminés à renverser le système de pouvoir, qu’ils considèrent tyrannique et despotique et dont ils sont convaincus qu’il est disposé à recourir à la terre brulée plutôt que de céder une quelconque parcelle des privilèges que lui procure son hégémonie sur la société.
Mais qu’en est-il en fait à propos de cette ambivalence ? Tout le long de sa campagne préélectorale, Benbitour n’a pas cessé de marteler qu’il n’est pas le candidat de l’armée, mais plutôt celui du peuple, qu’il n’a jamais servi le système, mais plutôt l’État, que son objectif est d’instaurer un régime démocratique en garantissant la séparation des instances : le militaire du civil, le religieux du politique et l’identité de l’idéologie. Toutes ces déclarations plaident effectivement pour une posture d’hérésie par rapport au système de pouvoir, de sa structure et de son idéologie. Il aurait même insisté sur la nécessité de la liberté d’expression comme pilier de la transition démocratique, en projetant d’accorder toute sa liberté à la presse et aux médias généralement.
Or, pendant ce temps, ses différentes déclarations appuyés par ses écris, qui sont au fondement de son programme, sont venus révéler une ambivalence plus profonde encore et sournoisement insoupçonnée. Elle s’est avérée aller au-delà de la forme de son action, caractérisée quant à elle par sa «stratégie» participative au processus électoral organisé par le système lui-même, qui consistait à déjouer la fraude par la participation massive. Bien que cette stratégie semble pouvoir lui faire gagner les élections, en s’appuyant sur son projet de former des «agents du changement» pour contrôler le bon déroulement du scrutin, elle s’annonce d’emblée vouée à l’échec. Par le fait que Belaiz vient d’apposer une fin de non-recevoir à la demande de l’opposition (le front des 19, partis politiques et personnalités indépendantes, de tendance majoritairement islamistes) de former une commission indépendante pour la surveillance des élections, en ne leur laissant l’opportunité que de figurer en bons lièvres à récompenser pour service rendu, celui d’accepter le fait accompli de la désignation du gouvernement, dont le destin est étroitement lié aux manœuvres de coulisses comme au temps colonial. Sans compter le nombre important d’électeurs qui sont hostiles à son initiative, qu’ils considèrent d’imposture !
Mais ce qui se révèle de véritable imposture dans son ambivalence discursive, qu’il faut distinguer d’une courageuse hérésie fondée sur une volonté révolutionnaire de changement radical du système de pouvoir, il faut aller la chercher dans les énonciations contradictoires de son discours, entre apparence hérétique et imposture sournoise. C’est toute sa stratégie de «transition démocratique» qui se révèle en tant qu’imposture ! Pour reconduire finalement le statu quo vers un apparent changement.
Sur la séparation du militaire et du civil, Benbitour n’évoque jamais le changement radical du système de pouvoir, mais seulement le régime de gouvernance, celui que désigne en l’occurrence l’armée en tant que façade démocratique. Il ne s’agit pas non plus pour lui de restructurer le système de sécurité, incluant l’armée, mais de le professionnaliser. Dont il considère d’ailleurs l’armée comme étant un corps discipliné, alors que celle-ci se comporte abusivement par la violation systématique de ses prérogatives pour s’ingérer dans les affaires politiques et dans celles de toutes les institutions de l’État, sur lesquelles elle exerce un contrôle total de leur fonctionnement. Dans un texte publié en 2011, intitulé : «Démocratie ou libéralisation politique», son allégeance à l’armée est ici nettement tranchée. A y regarder de près c’est toute sa stratégie de «transition démocratique» qui devrait reposer sur son autoritarisme en tant que tutelle et non partenaire. L’incident qui a eu lieu tout récemment entre le journaliste Bouakba et l’état-major de l’armée à propos du Général Giap est venu étayer cette hypothèse, tout en laissant apparaitre l’existence d’un clan au sein de l’armée en appuie de la candidature de Benbitour. Bouakba étant un soutient de ce dernier, on a vu comment Khaled Nezzar est venu s’interposer entre l’Etat-Major et lui pour le défendre ! Au-delà de l’anecdote, dans ce texte, Benbitour expose sans ambiguïtés sa conception autoritaire de «la transition démocratique», en précisant qu’un régime autoritaire peut profiter de l’absence de pressions populaires pour mettre en œuvre des programmes de réformes économiques difficiles. En privilégiant l’option de ce qu’il appelle «libéralisation politique» par opposition à l’option démocratique. Qu’il justifie par le fait que «la démocratie permet d’exclure une partie importante des votants et peut offrir le pouvoir à des partis politiques non démocrates, tyranniques et populistes, en ralliant le suffrage par la propagande et d’autres formes de racismes et d’intolérance.» Contrairement à la libéralisation politique, qui s’adresse selon lui par contraste, «à la promotion d’un débat plus libre, la compétition à travers les médias, la société civile et les partis politiques.» En somme, un galimatias d’ambivalences qui se résume en un oxymore prêchant la transition démocratique sans démocratie. Alors que la transition démocratique devrait naturellement commencer au moment où le pouvoir autoritaire et totalitaire est définitivement disqualifié, laissant place à une constituante pour définir les règles de construction d’un Etat démocratique dans lequel la majorité élue se doit de respecter les droits de la minorité. Parmi ces règles justement, la principale parmi elles serait celle du respect du principe démocratique, qui devrait exclure toute dérive anti-démocratique. Par ailleurs, la promotion d’un débat plus libre promu dans sa conception de la libéralisation politique souffre d’une imposture qui frôle l’insolence. Après le débat ouvert sur des questions essentielles, tels que le rapport du civile et du militaire, du religieux et du politique, de l’identité et de l’idéologie, initié hardiment le mois de juin 2013 par l’inoxydable Kamel Tarwiht de BRTV, Benbitour s’est dit regretter d’y avoir participé. Un regret qui en dit long sur sa conception du débat démocratique. Ou alors cette autre méprise adressée sous forme d’éclat de rire, en réponse à une question concernant le droit à l’avortement de la part d’une militante des droits de la femme, à l’occasion du débat qui s’est déroulé ce même mois de juin à Lyon.
Sur la question de la séparation du politique et du religieux, Benbitour a essayé d’entretenir une certaine ambivalence, en excluant les partis fondés sur l’idéologie religieuse pour la course au pouvoir, mais ses profondes convictions sur la nécessité d’une identité de l’Etat religieux ne pouvaient que trahir son imposture. Celle-ci ne lui pose en fait aucun problème pour satisfaire l’idéologie nationalo-conservatrice qui permet au système de pouvoir de faire perdurer le statu quo, ni la majorité de la masse populaire qui est profondément aliénée dans l’imaginaire mythologique religieux. D’ailleurs, dans ce même texte, il définit sa conception du contrat social exclusivement à partir de cinq principes coraniques et la source du pouvoir qui ne peut émaner que de Dieu en ces termes : «Le pouvoir n’appartient ni à une lignée, ni à une oligarchie, ni à une catégorie sociale. El moulkou lillah». Comme pour balayer d’un revers de la main toute volonté populaire souveraine fondée sur la liberté de conscience.
Comme tout autre client du système de pouvoir, Benbitour, comme Benflis ou Hamrouche, ils doivent se plier aux trois principales exigences, pour prétendre séjourner à leur tour comme locataires de circonstance au Palais d’El Mouradia. A savoir, gouverner sous le commandement de l’armée, promouvoir et faire respecter l’idéologie nationalo-conservatrice et reléguer le problème identitaire au rang de conflit, pour entretenir la stratégie de la tension et de la division de la société dans le but d’affaiblir toute potentialité d’unification et d’organisation de celle-ci. Voilà pourquoi Benbitour s’est vu contraint d’appeler à l’aberration d’un référendum pour officialiser la langue maternelle des Algériens.
Une évidence s’impose aujourd’hui en Algérie, après plus de cinquante ans de dictature et d’usurpation de la souveraineté populaire par un système de pouvoir dont le centre de commandement se confond avec celui de l’armée, sous couvert d’une idéologie nationalo-conservatrice réactionnaire : le peuple doit s’organiser par lui-même, en dehors de toute institution étatique et de processus électoral émanant de son administration pour pouvoir s’affranchir de son aliénation.
Youcef Benzatat
Commentaires (20) | Réagir ?
Monsieur benzazat azul
Merci pour cet article tres contributif a l'elaboration de la conscience nationale a propos de ces charognes qui guettent le peuple. Vous avez negocie un virage a 180 degres et c'est bien reussi
Merci
Bravo Monsieur Benzatat pour cette auto-critique ; il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
Quant au candidat Ahmed Benbitour, c'est un arabo-islamiste pur jus. Lui à El Mouradia, ça sera le Qatar, le Koweit et les Séoudiens au pouvoir à Alger. Ils ont déjà un pas dans le pays avec Bouteflika, ils feront le regroupement familial avec le deuxième pas sous Benbitour.
Allons-nous laisser faire ?