Dérive salariale : le gouvernement Sellal mis en garde
Abrogation ou modification ? Il règne actuellement une totale confusion autour de l’article 87 bis relatif aux relations de travail, qui sera au menu de la prochaine tripartie annoncée pour décembre. Son de cloche différent entre les déclarations de l’UGTA (suppression) et celles de gouvernement qui parle de légères modifications, en rappelant que cet article a été élaboré par le Fonds monétaire international, qui a imposé des conditionnalités draconiennes à l’Algérie, en cessation de paiement en 1994.
1.- Cette démarche, de la suppression ou modification de l’article 87 bis aura une incidence sur deux éléments majeurs. Le SNMG dans sa période active et sa pension une fois validée les années de travail dans la période de la retraite, du fait que le système de calcul applique une grille de calcul qui prend en compte le salaire soumis à cotisations à l’exclusion des prestations à caractère familial (allocations familiales, primes de scolarité, salaire unique, etc.), et les primes à caractère exceptionnel (primes de départ à la retraite, indemnité de licenciement, etc.). La conséquence d’une telle mesure réside dans le fait que le salarié est appelé à percevoir ses 18 000 DA de SNMG dans leur totalité sans avoir à subir aucune soustraction, comme auparavant, encore que certains syndicats autonomes plaident que le SNMG soit calculé sur le salaire net et non brut, c’est-à-dire après défalcation des retenues .Cela aura une incidence à terme sur les caisses de retraite qui risquent en cas de chute du cours des hydrocarbures l’implosion. Il s’ensuit que le risque est l’envolée de la masse salariale globale. Mais attention de ne pas se tromper de cibles en ayant une stratégique globale et de ne pas s’attaquer uniquement aux salaires. L’attention doit être également du coté des revenus spéculatif du fait qu’une minorité capte une grande fraction de la rente assistant à une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité non les producteurs de richesses. Selon nos calculs, le ratio global masse salariale sur le PIB total administration et secteur économique serait de 22,10% en 1991, 20% en 2001 et 19,60% en 2006. Selon l’enquête publiée en 2012 par l’ONS (couvrant la période 2006/2011), la masse salariale est passée de 19,5 en milliards de dollars en 2006, 22,4 en 2007, 27,8 en 2008, 30,9 en 2009, 37,9 en 2010 et 49,6 en 2011. Au vu que, selon le FMI, le PIB algérien a été de 158,97 milliards de dollars en 2010, 183,4 en 2011, 206 en 2013 et avec un taux de croissance de 2,7% % pour 2013, contre 3,3% en 2012 du fait notamment de la baisse de la production des hydrocarbures, le ratio PIB sur masse salariale est passé de 23,77% en 2010, à 26,99% en 2011 et tendrait vers plus de 40% en 2013, les plus grandes augmentations salariales ayant eu lieu en 2012 ce qui est vraiment inquiétant : attention donc à la dérive salariale mais également au gonflement démesuré des rentes spéculatives devant concilier efficacité économique et justice sociale, avec un sacrifice partagé si ‘on veut mobiliser la population algérienne pour un développent durable. Selon le ministre des Finances, le montant des salaires de la Fonction publique (plus de 2 millions de fonctionnaires en 2013 pour une population de 38 millions d’habitants) serait de 34 milliards de dollars en 2012 soit 38% du total de la masse salariale auxquels s’ajoutent 17 milliards de dollars pour les transferts sociaux. Dans la loi de finance prévisionnelle 2014 les transferts sociaux avec des subventions mal gérées et non ciblées ont dépassé les 20 milliards de dollars au cours de 81 dinars un dollar. On ne résout pas le problème de l’emploi par la création d’emplois administratifs ou en surchargeant Sonatrach déjà en sureffectif, solution de facilité qui a terme accroit les tensions financières. Il existe une loi économique applicable à tous les pays sans exception :le taux d’emploi est fonction du taux de croissance des secteurs productifs et des structures des taux d e productivité.
2.- Aussi convient-il de s’interroger sur l’impact financier. Selon l’UGTA, l’alignement du SNMG sur le salaire de base et l’IEP concernerait environ 693 313 fonctionnaires et induirait une incidence financière de près de 49 milliards de dinars. Alors que dans le cas de la suppression du 87 bis (alignement du SNMG sur le salaire de base), l’incidence financière serait de près de 76 milliards pour un effectif de 997 679 fonctionnaires. Toujours, selon l’UGTA, pour le secteur économique, à Cosider, la masse salariale globale augmenterait de plus de 38,69% avec l’abrogation du 87 bis mais ne donne pas le montant en cas de l’alignement du salaire de base avec l’IEP. N’oublions pas d’abord que les incidences ne sont pas transitoires mais étalées dans le temps. Qu’en sera-t-il pour les PMI/PME représentant plus de 90% du tissu économique où la masse salariale au sein de la valeur ajoutée dépasse souvent les 50% devant supporter cette augmentation chaque année ? Bien que la situation diffère d’une entreprise à une autre, c’est la même inquiétude des organisations syndicales patronales (CAP-CNPA-CGEOA, CIPA) rejointes par le FCE, un important centre de réflexion, pour qui le relèvement des salaires suite à l’abrogation de cet article aura pour incidence 20% d’augmentations qui toucheront tous les salaires. Selon certains chiffres révélés en 2005, le gouvernement estimait l’impact financier de la suppression de l’article 87 bis à 500 milliards de dinars pour l’État et 40 milliards pour les entreprises, soit plus de 7 milliards de dollars. Ces données ont été calculées avant les augmentations généralisées récentes des salaires. L’impact financier serait donc beaucoup plus important en 2013 au vu de nos extrapolations précédentes. Il s’ensuit comme le montre l’enquête de l’ONS de 2011,la majorité du tissu économique productif étant constitué de PMI/PME, les opérateurs économiques demanderont des aides à l’Etat sous forme de subventions supportées par le Trésor public, baisse de la TVA, taux d’intérêt bonifiés ou des exonérations fiscales, et ce, suite aux augmentations de salaires qu’ils ne pourront pas supporter. En cas de mésentente avec le gouvernement, il y a le risque de voir bon nombre d’entrepreneurs privés de la sphère productive, n’ayant pas les capacités de financement, se réfugier dans la sphère commerciale spéculative ou informelle déjà florissante, où des monopoleurs contrôlent plus de 50% de la masse monétaire en circulation (environ 62 milliards de dollars en 2012), où tout se traite en cash, facilitant l’évasion fiscale estimée à environ 2/3 milliards de dollars par an.
3.- Le pouvoir d’achat des Algériens est fonction de la rente des hydrocarbures à plus de 70%, exportant après 50 années d’indépendance politique 98% en hydrocarbures et important 70/75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% avec un dépérissement du tissu productif, l’industrie représentant moins de 5% du produit intérieur brut(PIB). Qu’en sera t-il en cas d’une chute brutale du cours des hydrocarbures pouvant nous ramener au scénario des années 1986 avec des incidences désastreuses tant sur le plan économique, social que politique ? Ce d’autant plus que sur le plan macroéconomique, la forte augmentation des salaires entre 2011/2012 pour calmer le front social, n’a pas induit une productivité proportionnelle, a conduit inévitablement à une augmentation en valeur des importations. Du fait de la rigidité de l’offre, le dérapage du dinar n’aura aucun effet, avec le risque d’une hausse des prix internes, c’est-à-dire l’accélération du processus inflationniste, pénalisant les couches les plus défavorisées, car l’inflation joue toujours comme facteur de concentration de revenus au profit des revenus variables non concernés par cet article et au détriment des revenus fixes. Cette poussée récente des importations est donc le fait à la fois, certes, de certaines surfacturations (pas de contrôle, cotation administrative du dinar), mais également des augmentations de salaires. Si la tendance se maintenait pour le 2e semestre 2013, devant prendre en compte la balance des paiements et non la balance commerciale, nous aurons 60 milliards d’importation de biens, montant auquel il faut ajouter plus de 12 milliards de dollars de services (montant de 2012) plus les rapatriements légaux des profits des sociétés étrangères (entre 4 à 5 milliards de dollars), soit au total 76/77 milliards de dollars, devant soustraire les exportations hors hydrocarbures et les transferts venus de l’étranger (mais insignifiants), ce qui donnerait un solde dépassant les recettes de Sonatrach.
4.- Le problème de fond est le suivant : cette augmentation des salaires permettra-t-elle une élévation de la productivité du travail ? Or, un rapport de l’OCDE montre clairement que la productivité du travail en Algérie est une des plus faible au niveau du bassin méditerranéen et que l’Algérie dépense deux fois pour avoir deux moins de résultats par rapport à des pays similaires, la croissance ayant été en moyenne de 3% entre 2004/2012 alors qu’elle aurait dû, du fait de l’importance de la dépense publique, dépasser 10%. Cela rend urgent une meilleure gestion, la lutte concrète contre la corruption et une nouvelle politique salariale qui ne privilégie pas les emplois rentes mais les emplois créateurs de valeur ajoutée directement, la sphère économique, ou indirectement, la santé et l’éducation qui doit reposer non sur la quantité mais sur la qualité. Faute de quoi les équilibres macro-économiques réalisés par un sacrifice important de la population algérienne et notamment des couches moyennes qui ont vu leur pouvoir d’achat laminé risque d’être remise en cause. Car toute nation ne peut distribuer que ce qu’elle a préalablement produit, si elle veut éviter une dérive sociale et politique. Cela implique une réorientation de toute la politique socio-économique, l’actuelle ayant montré ses limites comme le montre le dernier rapport du FMI (novembre 2013). Certes, la problématique des salaires est un sujet épineux, et cela n’est pas propre à l’Algérie. Mais le problème essentiel auquel est confronté l’Algérie est d’avoir une meilleure gouvernance et d’asseoir un Etat de droit qui conditionne une transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, liée à une transition énergétique – mix énergétique – du fait de l’épuisement des ressources traditionnelles horizon 2025/2030, dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. C’est la condition afin d’améliorer le pouvoir d’achat des Algériens, supposant un profond réaménagement des structures du pouvoir assis sur la rente, et donc de réhabiliter les véritables producteurs de richesses, l’entreprise et son fondement, le savoir. Aussi je conseille au gouvernement une extrême prudence, lors de la prochaine tripartie, en évitant de verser dans le populisme, dépenser sans compter, qui aurait des effets désastreux à terme sur l’économie nationale, d’autant plus que les perspectives de l’économie mondiale avec des incidences sur les recettes en hydrocarbures de l’Algérie, n’incitent guère à l’optimisme.
Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités, expert International en management stratégique
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merci