Forum du Matin : Comment l'école s'est marchandisée
Par Redouane Osmane
En introduction au Forum du Matin où il répond aux questions des lecteurs (Suivre le Forum) , Redouane Osmane, enseignant, syndicaliste, secrétaire général du Conseil des lycées d’Alger (CLA) explique d’où vient le malaise de l’école algérienne et comment les choses peuvent évoluer.
a) Une véritable hécatombe !En moins de « 40 ans, grâce aux subventions de l’Etat les effectifs scolarisés dans les écoles algériennes ont atteint 7,9 millions d’élèves dans l’éducation primaire, moyen et secondaire. L’école obligatoire pour tous les enfants à permis un essor des effectifs des élèves de 6 à 15 ans des deux sexes, le taux de scolarisation des filles est passé de 36,9 % en 1966 à 80,73% en 1998, il atteint aujourd’hui les 90%. Dans le secondaire, les effectifs ont atteint 1,5 d’élèves. Ce taux comprend les élèves doublant et triplant. Ce développement appréciable a été possible grâce à la mobilisation de fonds publics. Le système éducatif jusqu’à la fin des années 1980 a contribué à l’encadrement de notre industrie de nos hôpitaux, de notre administration et du service public . L’état algérien a bénéficié d’un encadrement de niveau grâce à l’essor de l’éducation. Il s’agit là d’acquis historiques que l’on ne saurait occulter.
La donne a changé depuis 1990 et une autre évolution de l’éducation se dessine pour le futur. La prolongation massive des études induite par la politique de développement des années 70-80 a connu une réduction à cause de la crise de l’endettement. Des coupes sombres ont été opérées dans les budgets alloués à l’éducation. La loi des finances a divisé par deux les allocations allouées à l’éducation entre 1984 et 1990. C’est le début de l’austérité budgétaire et la détérioration nette de la qualité de l’enseignement et la du statut social des enseignants. Les élèves ont été pris en otage par cette austérité budgétaire. 60% d’entre-deux depuis rejoigne chaque année la catégorie des chômeurs.
Les discours lénifiant sur la qualité de l’enseignement ne manquent pas mais aucune étude sérieuse n’a été faite sur la détérioration du niveau d’enseignement et sur le problème aigu de l’échec scolaire et de sa gestion. Les différentes mesures d’exclusion scolaire dans le primaire et le moyen ont aggravé le phénomène de la déperdition scolaire .Le tableau est peu réjouissant : le taux d’analphabétisme des jeunes de 15ans à 17 ans est de 22%.
Les élèves âgés de 16 ans ne sont plus que 17,13% à fréquenter l’école ( sans comptabiliser les 10 à 20% des enfants qui n’ont jamais eu accès à l’école. Après neuf ans d’école obligatoire, ils sont 82,87% à ne plus faire partie de l’effectif de l’Education Nationale.
De l’effectif originel, 79% des élèves n'obtiendront jamais le BAC et des 21% des élèves qui finiront par l'obtenir, seulement 31% n’auront jamais redoublé, les autres auront redoublé au moins une fois. 160.000 élèves quittent le secondaire dont 102.000 en 3AS.
Au fondamental 192.000 élèves quittent l’école avant d’atteindre la 9ème année et 148.000 en fin de cycle. C’est une véritable hécatombe ! Certains spécialistes ont tenté une explication ontologique : L’école fonctionne très mal car elle s’est focalisée plutôt sur des missions d’ordre symbolique comme l’authentification culturelle. Cette orientation scolaire aurait empêché des générations de « s’adapter aux catégories de la de modernité intellectuelle et sociale ».
b) Réforme ? Quelle réforme ?
M.Benbouzid ministre de l’éducation nationale se montre discrets en ce qui concerne les conséquences politiques de cette gestion scolaire. Après 15 ans passé à la tête du ministère de l’éducation nationale sa responsabilité reste entière.
Les contraintes financières et l’austérité budgétaire n’expliquent qu’en partie l’échec de cette gestion. Un autre facteur a contribué à la détérioration de la qualité de l’enseignement, c’est « cette réforme permanente » qu’a connue le système scolaire algérien depuis les années 1970 (arabisation précipitée, généralisation de l’enseignement technique en 1984 ; réforme du fondamental, suppression de filières etc..).
Aucun bilan de ces réformes n’a été établi. On s’est contenté lors de la mise en place de la commission nationale de la réforme du système éducatif, d’un diagnostic très pédagogiste qui évitait de poser les problèmes de fond.
A huis-clos on décida d’une nouvelle réforme pour amarrer l’école à la logique du marché dans un pays où l’économie souterraine et informelle domine toute l’activité économique.
Le noyau dur de cette nouvelle conception ne remet pas en cause le principe de la scolarité obligatoire. Le tri social s’opère au niveau des missions de l’école. Il s’agit aujourd’hui de d’instaurer des barrages de sélection qui trient les élèves en fonction des besoins du marché. Par glissement on passe de l’instruction basic vers la formation et des savoirs académiques vers la compétence. Il s’agit grâce aux nouvelles réformes d’imposer une restructuration de l’éducation et l’amarrer aux nouvelles exigences de la mondialisation de l’éducation.
On tentera avec cette nouvelle recette d’adapter l’enseignement à l’économie de marché dans une société en panne de projet de développement. Benbouzid trop zélé affiche déjà sa détermination « de mondialiser un système éducatif et de formation qui est resté selon exagérément replié sur lui même éthnocentré »
Les enseignants n’ont pas été associés au débat de cette nouvelle réforme. Toutes les décisions concernant la restructuration du primaire, du moyen et du secondaire ont été prises par des acteurs extérieurs à l’école , au lycée et au collège.
Cela veut dire que l’école doit en finir avec la massification de l’enseignement. A la place, il faut alléger les programmes, réduire les structures lourdes comme les lycées techniques, introduire la sélection précoce dés le moyen, faire du secondaire un palier très sélectif et développer la formation professionnelle.
L’école obligatoire s’arrête à 15 ans et les savoirs enseignés s’arrête au basic to basic (savoir lire et écrire) , utiliser l’information informatique, inculquer l’esprit d’autonomie et de flexibilité à l’élève pour qu’il puisse s’adapter dans la vie active à son environnement de travail. Les axes politiques de la nouvelle loi d’orientation sur l’éducation sont :
Premièrement : la sélection précoce dés la 10è année scolaire
Deuxièmement : la réduction de l’offre pédagogique par la suppression des savoirs hautement techniques et académiques, allégement des programmes au profit de savoirs formels
Troisièmement : la marchandisation de l’enseignement en créant un marché du savoir grâce à la concurrence, les barrages de sélection et le numerus clausus à l’université. Cette
L’abolition de la gratuité de l’enseignement, la déréglementation du système éducatif par une privatisation rampante et la légalisation des écoles et centres de formation privé. Installent une véritable sélection
Quatrièmement : La relation de travail a été complètement modifiée par l’introduction dans la fonction publique de la contractualisation et de la flexibilité de l’emploi. ?
c) Pourquoi la grogne des enseignants ?
L’inquiétude des enseignants et des fonctionnaires va avoir des effets sur le front social car les partenaires sociaux n’ont pas été associés à l’élaboration de la nouvelle grille des salaires. La grille des salaires a été élaboré par le gouvernement en catimini. Après des luttes importantes comme celles des enseignants en 2003 et en 2006. Les enseignants qui ont attendu plus de 17 ans ont été surpris d’apprendre que les instruments d’évaluation du salaire sont encore déterminés politiquement.
Le salaire minimum- fonction publique de 9000 dinars bien au dessous du SNMG fixé par la loi à 12.000 dinars. Ce constat révèle que le gouvernement ne respecte pas le minimum salarial qu’il impose à l’ensemble des autres activités. Le gouvernement par la voix du directeur général de la fonction publique a annoncé que la différence sera octroyée sous forme d’indemnité. Quid la cohérence de tout le système de rémunération . Le traitement de base n’a pas été revalorisé mais gonflé par l’intégration d’ anciennes primes. Pour les enseignants et les fonctionnaires c’est fausse augmentation qu’ils vont percevoir.
Cette démarche autoritaire politise la question salariale à la veille d’échéances politiques. La grogne des fonctionnaires résulte avant d’un sentiment d’ injustice dans l’élaboration de la politique salariale.
d) Que cache la grille des salaires ?
L’élaboration d’un nouveau système de rémunération est attendu depuis les années 1990 puisque la nouvelle législation algérienne avait prévu un nouveau statut général de la fonction publique et une nouvelle grille nationale des salaires.
La décennie noire a empêché la concrétisation de cette revendication. Entre temps, le pouvoir d’achat s’est dégradé et les qualifications ont été remises en causes . Le fonctionnaire a payé le tribu pendant que s’amassaient des fortunes .
Durant cette longue période de turbulence. L’ancien système des salaires a été déstructuré sous l’effet des reclassements, de la création de régimes indemnitaires pour certaines catégories, destinés à répondre à des exigences d’urgences sociales mais ce qui a profondément bouleversé sa cohérence d’ensemble.
Depuis 1a fin des années 1990 la situation du pays s’est nettement améliorée, à l’écoute des discours officiels et des indicateurs présentés par le gouvernement.
La nouvelle grille des salaires a maintenu la dévalorisation du travail qualifié et de fait maltraitent les élites du pays. Leur mobilisation se fait naturellement autour de leur statut social, d’un statut qui n’est pas ordinaire car intimement lié à l’existence du service public que les citoyens et l’économie souhaitent efficace mais aussi liée à la nature qu’on veut conférer à l’Etat algérien.
Les mobilisations sont attendues pour le mois de janvier. Les opérations de communications du pouvoir pour calmer le front social et les manœuvres pour isoler les syndicats combatifs de l’enseignement n’ont pu empêcher un mécontentement général. La grogne sociale est pour le moment sourde. Cela dépendra des initiatives qui seront prises sur le terrain par les syndicats. Il est certain que l’on s’achemine vers une mobilisation à échéances courtes.
Redouane Osmane
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Commentaires (3) | Réagir ?
pas de réactions, les gens sont tout simplement blasé par ce pouvoir et ce ministre qui ne quittera jamais ce ministère qu'il vente ou qu'il pleuve... je ne crois pas qu'on trouveras pareil charognard dans un autre lieux... alors que son école ne forme que des terros, des harragas, ou des mal polis qui jonchent les rues, il est là heureux d'etre bien accroché à son fauteuil, alors plus charognard tu meurs. Rabbi oukilkoum houkoumet lahoua ou errih.
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