Au pays des évadés

Un pays riche, une jeunesse oisive, enfermée entre quatre murs.
Un pays riche, une jeunesse oisive, enfermée entre quatre murs.

Dans son livre "La Ceinture de l’Ogresse", Rachid Mimouni écrit dans l’Evadé : "Contre un seul mot, on lui a tout promis. Il leur a dit merde."

Et s’adressant à la foule, l’Evadé lance: "Puisqu’on ne peut apitoyer les dirigeants de ce pays, aidez-moi à les corrompre… Vous et moi savons que le pouvoir les a rendus plus arrogants que monarques de droit divin, plus arrogants que généraux victorieux au soir de la bataille, plus féroces que les lions de nos légendes… Oui, ils sont plus inquiets encore et si vous voulez, ce soir épaule contre épaule, nous allons marcher vers le quartier où à l’ombre des grands arbres se cachent honteusement leurs résidences. Nous passerons par les rues du peuple… Nous leur ferons tout avouer. Il faudra qu’ils nous disent pourquoi leur mère refusait de chanter au-dessus de leur berceau… Il faudra qu’ils nous disent au prix de combien d’assassinats ils ont pris le pouvoir, au prix de combien d’autres ils l’ont gardé, par quel miracle ils ont pu en si peu de temps dilapider les richesses du pays, pour quelle raison ils ont tout confié aux étrangers, de notre sous-sol à l’air qu’on respire… Il faudra qu’ils nous disent comment distinguer les vrais des faux complots qu’ils nous ont annoncés, comment a pu redevenir haut dignitaire cet espion condamné pour avoir livré à de mauvais étrangers ce qu’il nous restait de secrets ... Il faudra qu’ils nous expliquent pourquoi ils trafiquent l’information, l’Histoire, les urnes, l’heure GMT, la météorologie, les chiffres de la comptabilité nationale… Ensuite, il nous faudra choisir les plus sages d’entre nous pour leur demander de nous prescrire des règles et des lois qui se méfient de tous les pouvoirs. En dépit de cela, nous resterons vigilants."

De son vivant, ce grand écrivain a écrit en évadé dans l’impossibilité de se déraciner. Et quand il l’est devenu en vrai, par peur pour ses enfants menacés par les terroristes, la grande évasion était au rendez-vous. La mort de son Evadé a été plus héroïque : le dictateur a interrompu son discours en lui tirant une balle dans la tempe. Aujourd’hui, les livres de Rachid Mimouni ont pris de la poussière de gré ou de force comparés à ceux d’un Yasmina Khadra.

La malédiction comme la bénédiction sont le fait du prince avant d’être celui du ciel. Pour le moment, nous sommes tous des évadés : tyrans, gens du verbe et populace, jeunes, vieux, femmes et hommes. "Vaste est la prison" disait Assia Djebar, une autre évadée plus "chanceuse". Ajoutons : Vaste est le palais, vaste est le gourbi, vaste est notre exil. Car en Algérie, pas une famille ne peut prétendre être épargnée par l’hémorragie. Dans le dictionnaire le mot signifie celui qui s’échappe d’un endroit où il est détenu. Or si le verbe échapper est plus simple à décortiquer, le verbe passif "être détenu" est plus complexe. On ne peut confondre les haragas, ces évadés clandestins qui se jettent dans la mer sans savoir nager et ces ex-dirigeants qui s’"évadent" en première classe au Qatar, à Londres ou à Paris. On ne peut confondre, le jeune désœuvré d’hier envoyé en Afghanistan pour le djihad avant de revenir s’entraîner à domicile et celui d’aujourd’hui apte à toutes les évasions y compris derrière les barreaux. Le mot harague est plus fort que celui de l’évadé, c‘est un auto-kamikaze qui "brûle", réduit en cendres ses papiers son identité même. Certains vont jusqu’à brûler leurs doigts pour effacer leurs empreintes digitales par peur d’être reconduit au pays natal.

Dans le monde arabe, les Algériens ont la palme d’or de l’évasion post-coloniale ; en l’Afrique, ils occupent la première place pour peupler le Canada. D’après l’INED (institut national français des études démographiques) l’Algérie fait partie des 15 pays qui fournissent le plus de migrants. Par exemple l’immigration en Egypte n’a rien à voir avec la nôtre. Pour que les Egyptiens cessent d’émigrer, il faudrait qu’ils soient des Asiatiques qui font merveille avec la culture du riz pourtant très compliquée à réussir. Ils sont trop nombreux pour vivre d’une agriculture classique, de leurs pyramides de leur cinéma et autres arts sans parler de leurs perturbations politiciennes du moment. L’Egyptien comme le Marocain, le Libanais…s’expatrie économiquement, il change seulement de lieu de travail en faisant profiter son pays de ses devises, ce n’est pas le cas de l’Algérien. Non seulement les devises ne rentrent pas au bercail, mais c’est le dinar qui contre-attaque dans la honte se saignant en devises pour s’expatrier lui aussi. La phrase de l’historien René Galissot est faite pour le dinar algérien : "Il y a une seule monnaie arabe et c’est le franc suisse." Là-dessus il y a l’unanimité de la base au sommet. Comparé aux autres, notre émigré est inclassable, exceptionnel, irrécupérable. Quant aux restants, ils s’évadent par l’intermédiaire du petit écran veillant à ce que leur oxygène quotidien vienne d’ailleurs. Exemple, cette malchanceuse Syrie à feu et à sang qui continue à nous distraire avec ses feuilletons. Il faut ajouter l’évasion avec le vin, la drogue, le tabac, la malbouffe la violence etc. Pour le moment seul le vin est pointé d’un doigt efficace par les autorités. Il est loin le temps où il se vendait au souk-el-fellah, soucieux de notre santé et de notre place au Paradis, nos dirigeants ont fermé les bars tout en augmentant la production du vin en 2012 de 3% selon Euromonitor International. La drogue saisie ne se chiffre plus en kilos, mais en tonnes. Quant à la malbouffe, on ne sait plus si c’est un suicide collectif, un génocide planifié ou le sacrifice de masse à d’obscurs dieux.

À la "sardinette" made in bled 400 dinars le kilo, le salaire minima journalier, on s’oblige à la boîte de 50 dinars fabriquée comme un médicament qui à défaut de guérir une maladie en fabrique une autre afin de ne pas rompre la chaîne du rendement. On affirme que de 1990 à 1996 le nombre d’universitaires ayant quitté l’Algérie est effarant. Effarant aussi le nombre d’universitaires qui ne sont pas revenus malgré la fin du terrorisme. Effarant aussi le nombre qui a continué à fuir, y pense, accepte la fatalité à défaut de la vaincre. Effarant le nombre de responsables qui clament à-tout-va leur amour névrosé à la Nation et qui n’ont de compte national que le courant où transite le salaire de leur sieste maffieuse, aucune adresse nationale à part celle de fonction du Club des Pins. Ils ont fait la mondialisation à sens unique avant l’heure. "L’Algérie a des ressources, mais ne sait pas quoi en faire", constate le Revenue Watch Institute, une ONG, dans l’Indice de gouvernance des ressources naturelles publié le 15/05/2013. Le continent le plus mal classé c’est l’Afrique et parmi les plus mal notés l’Algérie à la 45e place sur 58 pays entre le Congo et le Mozambique. Imaginons, un homme accaparant l’argent de la famille et en termes diplomates, ne sait pas quoi en faire. Ses enfants ont le choix : se laisser crever de faim, le voler, le tuer ou aller chez le voisin demander l’aumône. Les diplomates français parlent d’un "pays pathétique", d’un "peuple tué, qui n’a plus de ressort". L’ambassadeur américain (Robert S. Ford) décrit l’Algérie comme un "pays plus riche que jamais…mais à la dérive que les "Algériens sont un peuple de malheureux". Or en parlant des autres pays arabes comme la Tunisie, ces diplomates n’ont pas le même pessimisme. La Tunisie "tourne… un climat favorable aux affaires", le Maroc "la Constitution est bonne… mais le roi est freiné…" Peut mieux faire.

Pour l’Egypte "l’administration et les institutions fonctionnent", il faudra juste trouver un président mi-Sissi mi-Morsli. Même une étude du Doha Institute nous prédit le chaos semblable à celui de la décennie noire. Les diplomates français ne pouvaient mieux trouver que l’adjectif "pathétique" quand on sait que pour la seule année 2005, d’après un consul général de France à Alger, 100 000 Algériens ont déposé un dossier pour acquérir la nationalité française et seule une centaine a été agréée, certains vont jusqu’à falsifier leur arbre généalogique pour l’avoir. 80% des Algériens qui émigrent demandent la nationalité française et dire que pour la refuser, on a sacrifié 1,5 million des nôtres. Selon l’INSEE 3,6% des enfants nés en France ont un père né en Algérie. D’après l’AIDA (association internationale de la diaspora algérienne) 7 millions d’Algériens vivent à l’étranger dont 5 millions rien qu’en France. Or d’après un sondage fait lors du voyage de Hollande en Algérie, seuls 26% des Français ont une bonne opinion de l’Algérie contre 71% du Maroc et 53% de la Tunisie (1). Heureusement que le Canada d’obstine à nous ouvrir les bras même s’il tient à nous choisir, n’oublions pas, la seule usine qui a fonctionné chez nous est celle du terrorisme. Si on est malheureux au bled, la route qui mène au Canada est bien longue et bien hostile au soleil pour nous égayer.

D’après une étude de l’université Duk, "les migrants ont tendance à choisir dans la région une maison et un climat pareil à ce qu’ils ont laissés derrière eux." Les Chinois et les Indiens s’adaptent rapidement dans n’importe quel pays, ce n’est pas le cas des Africains ni des Turcs. En Angleterre, les Pakistanais réussissent moins bien que les Indiens d’après une étude anglaise, en plus les mariages consanguins des premiers sont loin d’arranger les choses question santé. Quant à l’émigration algérienne en France et malgré l’absence de statistiques ethniques, Jean-Louis Auduc parle de divisions politiques, historiques ou ethniques : "- Enfants de harkis et enfants des combattants pour l’indépendance- Enfants de soutien du FLN ou enfants de soutien au MNA de Messali Hadj- Enfants de berbères ou d’arabisants." Il faut ajouter : enfants des victimes du terrorisme, enfants d’islamistes, enfants de la nomenklatura, enfants de refugiés politiques, enfants des mariages trafiqués etc. Un véritable éclatement d’après cet expert qu’on retrouve même dans le milieu associatif. Ajoutons à cela le prix du billet d’Air Algérie et nous aurons bouclé le cercle vicieux. L’émigration est comme une adoption, elle ne peut réussir si les causes sont occultées si l’amnésie n’est pas assurée. Parlons de l’Algérie, René Gallissot dit : "L’exception algérienne tient à la force du régime qui a fait le vide, éliminé la solution politique, intéressé le plus grand nombre à l’État et supprimé toute alternative…" Mais le régime n’a pas fait seulement le vide, éliminé la solution politique, supprimé toute alternative. Par exemple dans les années 60-70 ce sont des opposants politiques qui fuyaient aujourd’hui, il n’y a pas d’opposition, les gens sont apolitiques et pourtant ils fuient. Comme si l’insécurité est partout. Elle est partout. On ne souhaite plus à son voisin une bonne journée, mais la paix, salam. Car personne n’a stoppé la décennie noire, elle a rendu l’âme naturellement, la durée de vie d’une guerre dite civile est au maximum de 10 ans, affirment les experts. Et comme le naturel meurt et renaît, la peur est omniprésente et le besoin de s’évader obsédant.

En rendant hommage à un grand évadé, Mohammed Dib, Assia Djebar écrit :

"…Nous, les écrivains auto-traduits dans l’abime de nous-mêmes

Notre parole se noue et se noie

Désert sans détour 

Désert et détours…

Car nous sommes d’hier et d’après demain.

Le cercle des vautours revenus dans un ciel d’agonie

Non ! …"

Elle ne se situe pas dans le présent parce que le présent algérien appartient aux vautours alors pour survivre, il faut fuir et hélas vautours compris. À ce rythme l’Algérie ne pourra pas échapper au désert et aucune certitude de sauvegarder un peu d’eau potable et quelques palmiers sans parler des animaux domestiques qui disparaissent avant les humains.

Mimi Massiva

(1) Atlantico

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Commentaires (3) | Réagir ?

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Massinissa Umerri

et dire qu'il est presque utopique de reunir une poigne'e d'hommes pour sortir dans la rue et dire basta ! Merde, meme le comite' de soutien du mort-vivant, n'a pas pu durer 20 minutes. . . de n'importe quoi !

Les femmes Algeriennes ont commence' leurs evasions locales - en Kabylie, venant d'autres regions. Elles se font de plus en plus nombreuses, jeunes, libere'es et demerdeuses. Elles au moins, on sait ce qu'elles fuient, les hommes quand a eux, qui sait ? certainement la meme chose... eux-memes.

Pourtant comme dit un dicton Anglais - Wherever you go, there you are ! Partout ou tu iras, tu y seras.

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Khalida targui

Mimi, on est tous des evadés nous les Algeriens c'est vrai, et nous le resterons, c'est fichu, avant on voyait des gueules qui pouvaient nous donner un chaoui d'espoir aujourdhui avec la gueule d'un Saidani d'un Salal d'un Benkhadem d'un khelil coment voulez vous qu'on refuse meme une nationalité juive si on nous la donne

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