L'Algérie n'est pas sortie du colonialisme (I)
La nation algérienne a perdu ses repères et sombre dans l'inconnu.
Elle est assignée par la force des armes à évoluer sur des mythes puisés dans des idéologies et des influences extérieures au mépris de ses propres réalités et de son histoire. Par manque de vigilance ou pour d'autres raisons, même les courants patriotiques ont leur part dans ce naufrage. Il est temps de prendre conscience que la question nationale est loin d'être résolue et qu'un travail de déconstruction devient vital pour la remettre à l'ordre du jour.
L'Algérie sous domination idéologique
On peut être parfois prisonnier des concepts idéologiques et des symboles comme on l'est des préjugés, les mêmes effets s'observent dans ces cas: une perception déformée du réel, de fausses certitudes neutralisant tout esprit critique et une pensée stérile condamnée à tourner sur elle même sans jamais pouvoir concrétiser ses prétentions. C'est le cas de le dire pour une bonne partie du potentiel conceptuel opérant chez les démocrates algériens.
Il ne s'agit pas dans ce modeste article d'en faire l'inventaire, mais d'attirer l'attention sur la nécéssité d'un véritable aggiornamento de cette pensée prisonnière d'un nationalisme étriqué sur-idéologisé, loin de toute réalité historique, sociologique et culturelle du pays. Le monde que nous bâtissons est piégé dans le virtuel, saturé de faux symboles comme autant d'interdits et de tabous qui se dressent face à toute pensée constructive.
La société algérienne est au carrefour de toutes les influences qu'elle absorbe sans discernement jusqu'à perdre son identité et ses propres voies d’émancipation. Si ce phénomène découle essentiellement de la politique de dépersonnalisation et anti -nationale menée de main de fer par un pouvoir illégitime, avec l'appui des forces rétrogrades et des puissances étrangères, il n'en demeure pas moins que notre part de responsabilité en tant que démocrates ne doit pas être occultée.
Au mépris des réalités algériennes, nous puisons nos repères dans des corpus idéologiques élaborés par des étrangers qui nous sont souvent hostiles. Qu'ils soient d'inspiration socialiste ou libéral, occidental ou oriental, ils participent à consolider le système en place et à nous mettre en porte à faux avec nos plus sincères aspirations voire à alimenter le capital de propagande de ceux qui veulent faire de l'Algérie une province nourricière de l'orient et/ou de l'occident.
La paresse intellectuelle, le mépris de soi, l'esprit de soumission, le confort doctrinal, l'opportunisme (parfois, bassement matériel) le refus de l'autocritique et le manque d'audace, constituent, me semble t-il , les sous bassement déterminants de cette dérive. En croyant diriger le canon du fusil sur nos ennemis et ceux de l'Algérie, c'est vers nous mêmes et notre pays déjà meurtrie que nous le pointons. Force est de constater que l'aliénation est devenue notre seconde nature. Sitôt nous proclamons nos idéaux, sitôt nous les brûlons. Nous claironnons nos convictions patriotiques avec l'assurance qu'elles nous mettent de facto à l'abri de l'erreur fatale, mais nous les déployons avec zèle dans des visions idéologiques qui les vident de leur substance et les détournent vers des objectifs inverses. Nos réalités sociales, culturelles, économiques et historiques nous rappellent tous les jours qu'elles n'adhèrent nullement à des conceptions manufacturées au Caire, Riyad, Beyrouth, Moscou ou Paris. Cependant, nous nous entêtons à vouloir leur imprimer nos lubies héritées d'une longue histoire de luttes vécues par des algériens mais théorisées par d'autres avec forte prégnance d'idées préconçues, ou plus insidieusement une volonté de nous dominer et de nous effacer de l'histoire.
L'Etat nation : un alibi
Notre pensée est en faillite. Elle n'a pas su juguler les offensives extérieures et nous rendre une réelle visibilité de notre histoire et de notre société, afin d'amorcer une dynamique de dévoleppement et d'émancipation calée sur nos réalités, loin de l'influence du despotisme oriental et de l'impérialisme occidental.
Prenons le cas du 1er Novembre. Date hautement symbolique. D'aucuns y voient l'acte de naissance d'un "Etat Nation". Quelle signification recouvre ce concept ? A-t-il vraiment une réalité? N'est-il pas à l'origine, une construction idéologique qui reflète les intérêts exclusifs d'une seule classe sociale, en l'occurrence ceux de la bourgeoisie française en pleine conquête du pouvoir au XVIIIe siècle? Soucieuse d'entraîner dans son combat contre la monarchie toute la nation française en planifiant l'exclusion de la majorité qui la compose des fruits de la révolution, elle a inventé ce concept qui prétend superposer les intérêts d'un Etat de classe avec ceux de toute la nation. L'histoire retiendra que l'Etat-Nation est une construction théorique, une chimère qui procède plus de la démagogie que d'une réalité socio politique. En pratique, il met le voile sur une politique de discrimination et d'exclusion touchant divers domaines et segments de la société. Sa concrétisation n'est avérée ni dans l'histoire ni dans le monde contemporain. C'est un leurre.
Rapporté au 1er novembre, ce concept devient une contre- façon qui relève moins du mythe que d'une volonté d'escamoter la configuration sociologique, culturelle et historique du pays au seul profit de la vision idéologique arabo-musulmane. Le caractère centralisateur qui lui est consubstanciel exprime cette volonté, renforcée par "les valeurs arabo-islamiques" arbitrairement imposé par la force toute nue. Si le premier novembre marque par son insurrection le sursaut d'une nation contre la domination coloniale, il ne consigne pas pour autant la naissance d'un Etat, sa déclaration ne l'ayant pas formulé au delà du principe.
Il a fallu attendre 1956 pour qu'un embryon d'Etat algérien jette ses bases au congrès de la Soummam. Le CNRA et le GPRA en constituent les organes dirigeants fondés sur le principe de "la primauté du politique sur le militaire". Aucune référence à l'islam ou à la configuration de l'Etat indépendant et à l'identité du peuple algérien ne fut retenue à ce congrès, laissant le champ libre aux débats ultérieures et à l'union de tous les algériens qui n'adhèrent pas à la domination coloniale (amazighs, arabes, juifs, pieds noirs, musulmans, chrétiens, animistes et athées). L'Etat algérien est né en pleine guerre dans un esprit d'ouverture et de tolérance qui voulait donner à la Nation, une fois l'indépendance acquise, toutes les chances de son épanouissement dans le cadre respectueux des différences.
Mais, c'est sans compter sur l'offensive des "infiltrés" de la France coloniale, du Caire et du Royaume chérifien qui déployent dès lors, tous les moyens y compris l'assassinat, pour en entraver le fonctionnement et lui assener le coup de grâce au congrès de Tripoli en 1962, en tête de pont, Ben Bella et l'Etat major de l'armée des frontières, sous le commandement du colonel Houari Boumediene et ses services du MALG. L'acharnement qu'ont mit ces derniers à empêcher l'émergence de toute représentation civile et militaire dans le pays pendant et après la guerre en dehors des forces qu'ils représentent mérite d'être médité. Se limiter à n'y voir qu'une course au pouvoir mue par des ambitions personnelles est une diversion quand on connait les liens étroits que ces personnalités entretenaient avec les dirigeants égyptiens, marocains et français. A-t-on oublié ou feignons nous d'ignorer que Nasser a fourni un imposant armement pour soutenir l'armée des frontières contre l'armée de l'intérieure durant la crise de 1962 ? Ce crime qui frappe l'Algérie au cœurs, se solde par un millier de victime parmi les combattants qui ont porté tout le poids de la guerre à l'intérieur du pays. La complicité de l'Egypte, de la France et du Maroc dans cette affaire pour faire accéder Boumediene et Ben Bella au pouvoir doit être intégrée comme un des éléments déterminants de la nature du régime algérien.
Mokrane Gacem
Lire la deuxième partie : L'Algérie n'est pas sortie du colonialisme (II)
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merci
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