Sphère informelle problématique de la bonne gouvernance en Algérie
Cette contribution a fait l’objet d’une intervention au séminaire sur les institutions, gouvernance et développement économique des pays du Maghreb, le 6 novembre 2013, organisé par la Faculté d’Economie de Tlemcen en collaboration avec la fondation allemande Hans Seidel (1).
Je me propose ici d’analyser un sujet stratégique qui a des répercussions à la fois politiques et socio-économiques, les liens entre sphère informelle, la bureaucratie et la gouvernance renvoyant à la régulation économique sociale et politique en cinq parties où au préalable je situerai la problématique des concepts des institutions et de la bureaucratie : comment définir la sphère informelle, quelle est l’évolution de la sphère informelle en Algérie ; quel est le poids de la sphère informelle ; la sphère informelle et la politique socio-économique et enfin les liens entre la sphère informelle et la gouvernance.
1.- Problématique : institutions et bureau
La complexité des économies contemporaines est telle que leurs possibilités de fonctionnement nécessitent des architectures institutionnelles complexes, ce qui renforce le caractère non ergodique du changement institutionnel. Pour comprendre les mécanismes du changement économique il faut, d’une part, comprendre l’articulation entre les modèles mentaux que se construisent les agents, les croyances partagées construites dans une société donnée et les institutions qui définissent les règles du jeu des acteurs économiques. Quelle fonction pour le bureau dans cette articulation afin de saisir les mécanismes du changement économique, social et politique. C’est que le bureau comme l’a montré le grand sociologue Maw Weber est nécessaire au fonctionnement de toute société, étant au service des citoyens et de l’économique mais ne doit en aucune manière s’ériger en pouvoir bureaucratique autonome. Faute de quoi puissance de la bureaucratie, aboutira à l’inefficacité des institutions et des différentes lois votées, si louables soient-elles qui se perdent dans les méandres des bureaux. Le pouvoir bureaucratique sclérosant a ainsi trois conséquences nuisibles au développement en Algérie : une centralisation pour régenter la vie politique, sociale et économique du pays ; l’élimination de tout pouvoir rival au nom du pouvoir bureaucratique ; la bureaucratie bâtit au nom de l’Etat des plans dont l’efficacité sinon l’imagination se révèle bien faible, le but du bureaucrate étant de donner l’illusion d’un gouvernement même si l’administration fonctionne à vide, en fait de gouverner une population infime en ignorant la société majoritaire. Sur le plan théorique c’est suite aux prolongement des travaux des grands classiques de l’économie, dont David Ricardo, Karl Marx, Joseph Schumpeter, que la théorie institutionnaliste a été redécouverte dans les années 70 qui a débouché sur des travaux qui définissent la gouvernance. Le terme « corporate governance», qu'on peut traduire par gouvernance d'entreprises, va ensuite être utilisé dans les milieux d'affaires américains. Par la suite, la notion de «urban governance » a été reprise par d'autres pays européens et s'est généralisée dans l'étude du pouvoir local et fait par ailleurs son apparition à la fin des années 80 dans un autre champ, celui des relations internationales. Le premier économiste à réintroduire la notion d’institution (si l’on excepte le cas particulier de Coase) est Oliver Williamson, initiateur de la théorie des coûts de transaction suivi de Douglass North qui a mis nettement en relief les acteurs économiques formels et informels liés dialectiquement malgré leur hétérogénéité. C’est le prolongement de la théorie de l’asymétrie à l’information renvoyant à la rationalité des agents. Les acteurs informels (vendeurs-acheteurs) n'ayant pas l'opportunité d'accéder à ces information, le phénomène informel tend à se généraliser graduellement à tous les vendeurs du produit en question, à savoir qu'ils seront incités à écouler des produits de qualité inférieure sur le marché (à ce sujet, Akerlof évoque (la loi de Gresham, la mauvaise monnaie chasse la bonne), la baisse du prix sur le marché s’accompagnant une baisse de la qualité. Concernant la rationalité, les agents économiques et sociaux sont attirés d’avantage vers l’économie informelle parce que l’organisation formelle ne permet pas rationnellement leur épanouissement économique et social. Il y a donc mouvement vers l’informel en même temps que sa résistance au formel tant que les rapports aux valeurs et les critères de rationalité tels que définis et retenus par l’agent économique sont en désaccord avec ceux du système formel. Dans les sociétés encore tribales, le pouvoir au sein du lignage a comme fonction la gestion du travail et de la production, l’entretien de la force de travail, la reproduction biologique et la cohésion interne en dehors du droit défini par l’Etat. Ces mécanismes nécessitent de comprendre la manière dont les individus perçoivent un changement possible et comment cette perception peut déboucher sur une évolution sociétale compte tenu des institutions en place et du poids des croyances des autres agents. Dès lors comment peut-on définir la sphère informelle ?
2.- Comment définir la sphère informelle ?
Depuis 1971, date de naissance du concept de « secteur informel » marqué par les travaux de Keith Hart au sein du Bureau international du Travail (BIT), les recherches et débats n’ont cessé de faire couler beaucoup d’encre, démontrant par là même la prise en compte de l’aspect multiforme de ce concept. Jusqu’aux années 1970, on qualifiait les activités qui échappant à la statistique de l’Etat, d’activités noires : marché noir, travail au noir. Depuis, un certain nombre de qualificatifs ont fleuri pour désigner de telles activités : marché parallèle, informelle, économie souterraine, immergée, non administrée, fantôme. Cependant, à y regarder de plus près, on constate un usage différencie des qualifications selon la catégorie que l’on veut qualifier : on parlera plus volontiers de prix parallèles que de prix souterrains, de travail au noir que de travail informel. Néanmoins, l’usage semble concorder pour regrouper l’ensemble de ces phénomènes dans ce que l’on désigne par économie informelle. Ainsi, le concept de «secteur informel» apparaît pour définir toute la partie de l’économie qui n’est pas réglementée par des normes légales renvoyant au dualisme de l’économie, encore qu’en son sein elle est fortement hétérogène. Dans ce cadre on distingue la sphère tolérée par les Etats et celle qualifiée de criminelle comme le trafic de drogue, d’armes. En marge de la législation sociale et fiscale, elle a souvent échappé à la comptabilité nationale et donc à toute régulation de l’État, encore que récemment à l’aide de sondages, elle tend à être prise en compte dans les calculs du taux de croissance et du taux de chômage. Il y a lieu de différencier la sphère informelle productive qui crée de la valeur de la sphère marchande spéculative qui réalise un transfert de valeur. Pour les économistes, qui doivent éviter le juridisme, dans chacune de ces cas de figure nous assistons à des logiques différentes tant pour la formation du salaire et du rapport salarial, du crédit et du taux d’intérêt qui renvoient à la nature du régime monétaire dualiste. La formation des prix et des profits dépendent dans une large mesure de la forme de la concurrence sur les différents marchés, la différenciation du taux de change officiel et celui du marché parallèle, de leur rapport avec l’environnement international (la sphère informelle étant en Algérie mieux insérée au marché mondial que la sphère réelle) et en dernier lieu leur rapport à la fiscalité qui conditionne la nature des dépenses et recettes publiques, en fait par rapport à l’Etat, le paiement de l’impôt direct étant un signe d’une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant injuste par définition puisque étant supportés par tous les citoyens riches ou pauvres. Aussi, l’économie informelle est réglée par des normes et des prescriptions qui déterminent les droits et les obligations de ses agents économiques ainsi que les procédures en cas de conflits ayant sa propre logique de fonctionnement qui ne sont pas ceux de l’Etat, nous retrouvant devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant le droit traditionnel enseigné aux étudiants d’une vision moniste du droit. En fait, pour une analyse objective et opérationnelle, on ne peut isoler l’analyse de la sphère informelle du mode de régulation mis en place c'est-à-dire des institutions. L’extension de la sphère informelle est proportionnelle au poids de la bureaucratie qui tend à fonctionner non pour l’économie et le citoyen mais en s’autonomisant en tant que pouvoir bureaucratique. Dans ce cadre, il serait intéressant d’analyser les tendances et des mécanismes de structuration et restructuration de la société et notamment des zones urbaines, suburbaines et rurales face à la réalité économique et sociale des initiatives informelles qui émergent impulsant une forme de régulation sociale. Et ce afin de comprendre que face aux difficultés quotidiennes, le dynamisme de la population s’exprime dans le développement des initiatives économiques informelles pour survivre, ou améliorer le bien-être, surtout en période de crise notamment pour l’insertion sociale et professionnelle de ceux qui sont exclus des circuits traditionnels de l’économie publique ou de la sphère de l’entreprise privée.
3.- Evolution de la sphère informelle en Algérie
Cette sphère elle même hétérogène, contrôlant des segments importants de l’économie utilise de la monnaie fiduciaire (billets de banques) au lieu de la monnaie scripturale (chèques) ou électronique faute de confiance pouvant favoriser la fausse monnaie dont la généralisation peut conduire le pays à une dérive politique, économique et sociale. Nous avons deux périodes, la période, la première pouvant aller jusqu’en 1986/1987 avec la gestion administrative centralisée qui avait consacré le système de l’État-providence prônant le plein emploi par le moyen de sureffectifs dans les entreprises publiques et les administrations pour acheter, du moins temporairement, la paix sociale date de la crise où les recettes des hydrocarbures se sont effondrés ayant assisté sous la pression des événements extérieurs à des réformes timides et la période de 1986 à nos jours avec le point culminant de 1994 date du rééchelonnement et de l’ajustement structurel, étant toujours dans cette interminable transition ni économie de marché concurrentielle, ni économie administrée expliquant d’ailleurs les difficultés de la régulation politique, sociale et économique. Durant la première période, l’Etat fixe les prix, les salaires, le taux d’intérêt, le taux de change d’une manière administrative Pour preuve on distribue des bénéfices même aux unités déficitaires et nous avons un quasi monopole sur toutes les activités. Encore, qu’avec l’envolée des prix du pétrole ces dernières années, la tentation est grande sous la pression populiste de revenir à l’ancienne période, ce qui serait suicidaire pour l’avenir du pays, montrant d’ailleurs qu’il y a un lien inversement proportionnel entre l’avancée des réformes et l’évolution du cours des hydrocarbures, réformes ralenties paradoxalement lors que le cours est en hausse alors que cela devrait être le contraire si l’on veut préparer l’ère hors hydrocarbures. Comme conséquence des politiques de cette période et cela n’est pas propre à l’Algérie, les pays de l’ex-camp communiste ont connu le même phénomène, nous assistons à l’extension de la sphère informelle où nous avons le prix fixé par l’Etat bas dont bénéficient une minorité qui devant également la rareté de l’offre nous trouvons ces mêmes marchandises sur le marché parallèle au prix du marché donnant des rentes de situation à une frange de monopoleurs issus du secteur d’Etat.
Sur le plan externe les trafics aux frontières profitent de cette distorsion de prix et également sur le marché de la devise, pénalisant en dernier lieu le budget de l’Etat algérien. Pour la secondé période non achevée, les entreprises publiques subissent des “plans sociaux’’ qui se traduisent par des dégraissages massifs, et l’enjeu à l’avenir qui sera plus douloureux est l’ajustement social de la fonction publique. Cette période est caractérisée par une la libération des prix et la levée du monopole de l’Etat sur le commerce extérieur qui expliquent pour beaucoup les changements qui ont lieu dans l’économie informelle, changements sans la mise en place de nouveaux mécanismes de régulation dans la mesure où en économie de marché la fonction de l’Etat régulateur est stratégique. Ce qui explique que l’ouverture non maîtrisée du fait de rapport de forces contradictoires entre réformateurs/conservateurs, ces derniers étant dominants, avec une tendance du passage a donné lieu à de nouvelles pratiques informelles. Avec la consécration de la convertibilité commerciale du dinar en 1994, les sociétés d’import-export ont ainsi commencé à connaître une prolifération, la majeure partie de ces sociétés ayant été créées soit par des détenteurs de capitaux ou par d’anciens cadres du secteur public en quête de placements à gains à très court terme. Faute d’institutions solides s’adaptant à la nouvelle situation, car le contrôle s’avère de peu d’efficacité (sinon il faudrait une armée de contrôleurs avec des coûts faramineux), nous assistons à une multiplication des petites activités informelles se concentrant surtout dans le petit commerce et les services, comme mode de survie dans un marché de l'emploi en crise. A cet aspect, se sont greffés la fraude fiscale, la corruption et les détournements des fonds publics.
4.- Quel est le poids de la sphère informelle ?
L’Office national des statistiques (ONS) a par ailleurs mis en relief le 20 juillet 2010 relatif à une enquête où la moitié de la population occupée n'était pas affiliée à la sécurité sociale, soit un taux de 50,4% de l'ensemble des travailleurs occupés. Et que 69,1% des salariés non permanents et 80,1% des travailleurs indépendants n’étaient pas affiliés à la sécurité sociale durant la même période. Plus précisément, sur les 9.472.000 travailleurs occupés recensés, 4.778.000 personnes ne sont pas affiliées au régime de la sécurité sociale, soit un occupé sur deux. Concernant justement l’évasion fiscale due à la sphère informelle il y a plusieurs estimations contradictoires. Pour l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA, le manque à gagner induit par l’évasion fiscale dans les transactions commerciales en Algérie dépasserait 3 milliards de dollars, précisant que 80% des transactions commerciales se font sans aucune facturation, alors que 70 à 80% des transactions utilisent le «cash», comme moyen de payement. Et que près de 900 000 sur les 1,2 million de commerçants inscrits au CNRC ne payent pas leurs cotisations à la Casnos et que l’approvisionnement des 2/3 de la population provient de la sphère informelle. A travers l’ensemble du territoire national, toujours selon cette institution, il y a environ 1,25 million de commerçants qui exercent dans la sphère légale et le nombre est dépassé par celui de ceux qui travaillent dans la sphère informelle estimé de prés 1.5 million, plus de 50% du marché algérien est occupé par le secteur informel et plus de la moitié du chiffre d’affaires des activités commerciales échappe au Trésor public ayant un line avec la bureaucratisation et la corruption ? C’est que Les plus grosses fortunes en Algérie ne sont pas forcément dans la sphère réelle mais au niveau de la sphère informelle notamment marchande avec une intermédiation informelle à des taux d’usure où selon la Banque d’Algérie dans sa note « Amélioration de la circulation de la monnaie fiduciaire en 2012 et 2013 », les sorties annuelles brutes de monnaie fiduciaire sont passées de 1 633,4 milliards DA en 2010 à 1 977,8 milliards DA en 2011 et à 2 475 milliards DA en 2012 soit 24, 75 milliards d’euros ou 32,17 milliards de dollars au cours actuel. La part de cette monnaie dans la masse monétaire (monnaie fiduciaire et dépôts bancaires) est passée de 25% en 2010 à 25,9% en 2011 pour atteindre 26,7% à fin 2012 donnant une masse monétaire d’environ 125 milliards de dollars en 2012. Selon Deborah Harold, enseignante américaine de sciences politiques à l’université de Philadelphie et spécialiste de l’Algérie se basant sur des données de la Banque d’Algérie, l’économie informelle brasserait 50 % de la masse monétaire en circulation soit 62,5 milliards de dollars. Ces données sont corroborées par un document du Ministère du commerce algérien pour qui existeraient 12.000 sociétés écrans avec une transaction qui avoisinerait 51 milliards d’euros soit 66 milliards de dollars, plus de quatre fois le chiffre d’affaires de toutes les grandes entreprises du FCE réunies. Cette sphère contrôle au niveau de la sphère réelle 65% des segments des produits de première nécessité : fruit/légumes, marché du poisson, marché de la viande blanche/rouge et à travers des importations informels le textile/cuir, avec une concentration du capital au profit de quelques monopoleurs informels. Cette sphère liée à la logique rentière tisse des liens dialectiques avec des segments du pouvoir expliquant qu’il est plus facile d’importer que de produire localement.
5.- La sphère informelle et la politique socio-économique
Le milieu des affaires est peu propice aux initiatives créatrices de valeur ajouté à l’instar de la politique salariale qui favorise des emplois rentes au lieu du savoir et du travail. Cela explique selon notre enquête que les entrepreneurs cités, face à une concurrence étrangère (nombreux privés dans l’import) à laquelle ils n’étaient pas préparée, ont des filières d’importation afin d’équilibrer leur comptes globaux. Que l’on visite bon nombre d’anciennes zones industrielles (Est, Centre, Ouest ou la zone de Ghardaïa) et l’on constatera que bon nombre d’anciennes usines se sont transformées en aire de stockage expliquant d’ailleurs le dépérissement du tissu productif où l’industrie représente à peine 5% du produit intérieur brut. La raison essentielle sont les contraintes d’environnement : bureaucratie pour plus de 50%, un système financier administré,( plus de 90% des crédits octroyés sont le fait de banques publiques), un système socio-éducatif inadapté et enfin l’épineux problème du foncier. A cela s’ajoute du fait de l’ancienne culturelle, une méfiance vis-à-vis du privé tant local qu’international du fait que les tenants de la rente ont peu de perdre des parcelles de pouvoir. Cela explique d’ailleurs ces alliances entre la sphère bureaucratique et certaines sphères privées spéculatives mues par des gains de court terme via la rente. Or le véritable dynamisme de l’entreprise, qu’elle soit publique ou privée suppose une autonomie de décisions face aux contraintes tant internes qu’internationales évoluant au sein de la mondialisation caractérisée l’incertitude, la turbulence et l’urgence de prendre des décisions au temps réel. Par ailleurs, selon les données quantitatives du recensement économique (RE) effectué par l'Office national des statistiques (ONS) en 2011, le nombre d'entreprises recensées sur le territoire national a atteint 990.496 entités dont plus de 934. 250 entités économiques avec la «prédominance» du secteur commercial et le caractère «tertiaire de l'économie nationale plus de 83% du tissu économique global). Par ailleurs cette enquête a révélé que le tissu économique national est fortement dominé par les personnes physiques à 95% (888.794) alors que les personnes morales (entreprises) représentent seulement 5%, soit 45.456 entités, ce résultat étant révélateur d'une économie basée essentiellement sur des micro- entités peu initiées au management stratégique. Les quelques cas analysées précédemment qui sont d’ailleurs confrontés à de nombreuses contraintes, ne peuvent permettre à eux seuls une dynamisation globale de la production hors hydrocarbures, nécessitant des milliers d’entrepreneurs dynamiques. Car si le secteur privé réalise 80% de la valeur ajoutée hors hydrocarbures du pays, qui ne représente d’ailleurs que 2/3% du total des exportations contre 97/98% pour Sonatrach, sa part dans l’investissement global est négligeable, certaines sources donnant 1,9% du total de l’investissement en 2010- la tendance lourde n’ayant pas foncièrement changé 2011/2013. D’une manière générale que représente le secteur privé algérien face au chiffre d’affaires de Sonatrach qui contribue directement et indirectement via la dépense publique/via les hydrocarbures à plus de 80% du produit intérieur brut. Aussi, la lutte contre la sphère informelle et la mauvaise gestion implique avant tout l’efficacité des institutions et une moralisation de la pratique des structures de l’Etat eux mêmes au plus haut niveau, niveau de dépenses en contradiction avec le taux de croissance qui n’ a pas dépassé en moyenne 2000/2013 les 3% alors qu’il aurait du être de 10/15%. Que nos responsables visitent les sites où florissent l’informel de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud et ils verront que l’on peut lever des milliards de centimes à des taux d’usure mais avec des hypothèques car existe une intermédiation financière informelle. Le gouvernement ne peut empêcher cette pratique, malgré cette exigence récente d’exiger un chèque pour un montant supérieur à 500.000 début avril 2011 dinars puisque cette mesure a achoppé lorsqu’il a instauré dans un passé récent l’exigence d’un chèque pour 50.000 dinars. Les mesures autoritaires bureaucratiques produisent l’effet inverse et lorsqu’un gouvernement agit administrativement et loin des mécanismes transparents et de la concertation social, la société enfante ses propres règles pour fonctionner qui ont valeur de droit puisque reposant sur un contrat entre les citoyens, s’éloignant ainsi des règles que le pouvoir veut imposer : exemple les transactions aux niveaux des frontières pour contourner les myopies des bureaucraties locales, agissant sur les distorsions des prix et des taux de change et le droit coutumier dans les transactions immobilières. On ne peut isoler la sphère réelle de la sphère monétaire, le cours du dinar sur le marché parallèle dépasse 140 dinars un euro dont avec la crise mondiale l’épargne de l’émigration ayant été affectée (diminution de l’offre) n’explique pas tout, l’explication essentielle étant le grossissement de la sphère informelle (accroissement également de la demande). Un grand nombre d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur (agriculture et industries tant pour la production locale que pour les importations) prend des marges non proportionnelles aux services rendus ce qui fait que le contrôle sur le détaillant ne s’attaque pas à l’essentiel. Or, la sphère informelle contrôle quatre segments-clefs : celui des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson pour les marchandises locales et pour l’importation, le textile – chaussures. Avec la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité car il s’agit d’analyser les liens entre l’accumulation, la structuration du modèle de consommation et la répartition des revenus par couches sociales, enquêtes inexistantes en Algérie, où selon nos enquêtes par échantillonnage 70/80% du revenu moyen des ménages s’adressent à cette sphère donc la renforçant. L’inflation étant par définition source de concentration du revenus au profit des revenus variables, dont un grand segment est la sphère informelle, si l’on maintient ce mode de gestion, le risque , avec les dépenses improductives et ce paradoxe , une concentration au profit d’une minorité rentière et l’extension de la sphère informelle.
6.- Liens entre la sphère informelle et la gouvernance
La construction d’un Etat de Droit est inséparable de l’instauration d’une véritable économie de marché reposant sur l’entreprise créatrice de richesses ce, afin de pouvoir favoriser une saine concurrence et attirer les flux d’investissement nécessaires pour une croissance durable, où d’ailleurs un des principaux blocages à l’adhésion l’OMC est l’extension de la sphère informelle. Les ex pays du camp communiste ont connu l’ampleur de cette sphère informelle et ont réussi à l’éradiquer grâce aux réformes. Et l’Italie a su également l’intégrer rapidement depuis qu’elle est membre actif de l’Europe. Aussi, les obstacles ou la rapidité de la construction d’un Etat de droit et d’une véritable économie de marché concurrentielle qui fait que cette sphère diminue ou s’étend. Cela pose d’ailleurs la problématique de la construction de l’Etat et ses nouvelles missions en économie de marché. Je recense deux actions pour intégrer la sphère informelle, rétablir la confiance et instaurer un Etat de droit. Le premier aspect renvoie à la confiance. Une caractéristique fondamentale de la culture des économies modernes c'est la confiance qui permet à une économie de marché de fonctionner, favorisant l’accélération des échanges. Selon les enquêtes du grand expert de la sphère informelle, Hernando De Soto, Dans certains pays, il y a plus de confiance que dans d’autres. Des interviews précises montrent qu’à une question en Suède : "Est-ce que vous faites confiance aux autres Suédois ?" La réponse est que 65% des Suédois disent "oui, je fais confiance à un autre Suédois", Aux Etats-Unis presque 54% des Américains disent oui, j’ai confiance aux autres Nord-Américains. Quand on arrive au Brésil, c’est seulement 8% qui font confiance aux autres Brésiliens. Qu’en est-il pour l’Algérie ? Seules des enquêtes précises peuvent déterminer cela. Certes, avec le phénomène de la mondialisation, la forme de perception de la confiance au niveau des économies développées est différente d’antan. Au niveau du Tiers Monde, les relations sont basées surtout sur des relations personnalisées. Quant au deuxième facteur cela renvoie aux titres de propriété. La révolution dans les domaines de l’information et des télécommunications permet de communiquer tant avec des cultures lointaines qu’avec des signes. En fait, c’est le droit qui permet cette confiance et pour atténuer la sphère informelle il faut des titres de propriété. Cela pose toute la problématique de l’accumulation du capital qui n’est pas fixé seulement par l’argent. La monnaie sous toutes ses formes permet de mesurer la valeur des choses mais ne vous crée pas le capital d’où l’illusion en Algérie que les réserves de change sont un signe de développement alors quelle n’est qu’une richesse virtuelle provenant d’une ressource éphémère que sont les hydrocarbures et non du travail et de l’intelligence fondement de l’accumulation du capital.
Par ailleurs, tout le monde croit que reformer le droit de propriété dans un pays pour le rendre accessible aux pauvres et faire un système de droit est une question de registre foncier tel que cela est enseigné à l’Université. Ce n’est pas exact. Il faut intégrer toutes les procédures, y compris celles du droit coutumier. Car existent des codifications au sein de cette sphère informelle. Dans la plupart des pays en voie de développement, ce sont des notables qui établissent des actes non reconnus, certes, par l’Etat mais qui ont valeur de transaction au sein de cette sphère informelle. On peut émettre l’hypothèse que c’est l’Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante des règles qui lui permettent de fonctionner. Quand l’Etat intègre cette sphère au moyen d’actions concrètes sécurisantes, sans actions coercitives ou bureaucratiques, il commence à redonner confiance. La question qui se pose : combien de gens en Algérie ont des actifs et des documents ? Cela peut concerner différents éléments : lieu d’habitation, fonds de commerce, depuis le vendeur de cigarettes au porteur de valises, aux activités productives, aux non-déclarations diverses de différentes d’activités de services, marchandes ou productives. Que l’on visite en Algérie toutes les wilayas, faisons un inventaire de ces actifs et rapportons cette valeur à celle que donnent les statistiques officielles, et nous aurons mesuré l’importance de cette sphère qui agit en dehors du Droit et que le produit national ne décode pas. Cela a des incidences sur la structuration spatiale des villes, sur la planification des besoins en eau, électricité et divers infrastructures, Sonelgaz et les services des eaux estimant des pertes importantes en branchements anarchiques. Aussi, loin des bureaux climatisés de nos bureaucrates, la question qu’il y a lieu de se poser est la suivante : s’il y a des actifs intellectuels, physiques en Algérie, combien de ceux-là ont un titre reconnu par l’Etat ? Cette situation est le reflet de la structuration sociale complexe où cette sphère dite "illégale" n’est pas relativement autonome vis-à-vis des sphères bureaucratiques centrales et locales. De cette analyse je tire trois conclusions.
Premièrement. L’intégration de la sphère informelle au sein de la sphère réelle ne peut relever d’un seul département ministériel, devant impliquer les différents départements ministériels (présidence, chefferie du gouvernement, services de sécurité, tous les départements ministériels dont les finances, la justice, l’intérieur etc.) et ce, avec la participation réelle des segments de la société civile. Deuxièmement. La nécessité d’une symbiose entre le concret abstrait (la formalisation) et le réel, c’est-à-dire la représentation. Lorsque le droit ne fonctionne pas, rien d’autre ne fonctionne avec les risques d’autoritarisme et d’abus qui pénalisent surtout les couches les plus défavorisées. Le droit de la propriété est essentiel et l’intégration de la sphère informelle est cruciale si on veut créer un Etat de droit et une économie de marché véritable basée sur la production de richesses. Où est la crédibilité d’un Etat qui ne contrôle que 10 à 20% des activités économiques ? Troisièmement. Restaurer à l’Etat régulateur son rôle de planificateur stratégique loin du modèle centralisateur bureaucratique, se fondant sue le dialogue permanent et le contrat (réhabilitant le management stratégique) devant penser à l’articulation Etat-marché au sein d'une économie décentralisée, l’Etat n’étant fort que par sa moralité, c’est-à-dire respectant le Droit. Il ne peut y avoir de développement durable, sans Etat de droit et de participation citoyenne devant intégrer la sphère informelle, loin des mesures administratives autoritaires mais en imaginant d’autres formes de régulation, qui implique le réaménagement des structures du pouvoir non assis sur la rente mais sur le fondement de la richesse de toute Nation, le travail créateur de plus value comme nous l’ont enseigné les classiques de l’économie. Cela ne signifie pas à travers les expériences historiques qu’il ne peut y avoir d’économie de marché sans Démocratie. En effet nous avons assisté à une économie de marché très forte en Amérique latine et celle du Chili, venue à travers Pinochet, à Singapour ou en Corée du Sud. Mais je ne crois pas que cette construction soit soutenable à travers le temps sans la démocratie, car avec le temps, cette dynamique engendrera de nouvelles forces sociales, dont les couches moyennes, avec de nouvelles exigences donc plus de liberté et de participation à la gestion de la cité. Et la seule façon de se maintenir au temps d’une économie qui change continuellement, c’est d’avoir une relation avec l’environnement au sein d’une économie de plus en plus mondialisée à la recherche d’ailleurs de nouvelles formes de régulation (re-mondialisation), devant assister horizon 2020 à de profonds bouleversements géo stratégiques afin d’adapter l’Algérie aux défis nouveaux au sein d’une intégration de l’Afrique du Nord pont entre l’Europe et l’Afrique, continent de tous les enjeux.
Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités, Expert International en management stratégique
(1) Intervention du professeur Abderrahmane Mebtoul au Séminaire International 06/07 novembre 2013 Institutions, gouvernance et développement économique des pays du Maghreb organisé par l’Université Abou Bekr Belkaid de Tlemcen Faculté des Sciences Economiques, des Sciences Commerciales et des Sciences de Gestion et la fondation allemande Hans Seidel.
Cette analyse résulte de mes recherches passées et futures notamment d’une étude sous ma direction qui paraitra le 15 décembre 2013 à l’Institut français des relations Internationales classé 8e Think mondial en 2012 sur le thème "le Maghreb confronté à la dominance de la sphère informelle" et fin 2013 de deux ouvrages collectifs regroupant 36 experts internationaux européens et maghrébins l’un volet institutionnel et socioculturel, l’autre économique dans tous ses volets, (980 pages les deux volumes), sous ma direction et celle de mon ami Camille Sari de la Sorbonne.
Commentaires (1) | Réagir ?
Bof, vous, vous êtes pas rendu du compte que depuis 1962, l'Algérie elle est comme un bendaïr, elle font du bruit pour eux même, comme c'est toujours le même rythme et le même son, personne ne les écoutent.