La vérité sur les réserves de change placées à l’étranger par l’Algérie

Le taux de 6% de M. Djoudi "est irréaliste", estime le professeur Mebtoul.
Le taux de 6% de M. Djoudi "est irréaliste", estime le professeur Mebtoul.

La déclaration de Karim Djoudi, ministre des Finances, sur les réserves de change nécessite rappels et éclairages.

1.- Le ministre des Finances algérien vient de déclarer officiellement aux interrogations des députés à la clôture du débat sur le projet de loi de finances pour 2014, le 03 novembre 2013, (source APS) je le cite : 6% des réserves de change de l’Algérie sont déposés auprès d’institutions financières à l’étranger dont 23% de ces avoirs le sont auprès des banques commerciales, notamment européennes, ainsi qu’auprès de la Réserve fédérale américaine (FED) et des institutions multilatérales ». 

Par le passé, le gouverneur de la Banque d’Algérie déclarait lors de différentes présentations à l'Assemblée populaire nationale des rapports annuels sur l'évolution de la situation financière et monétaire, a mentionné le montant des intérêts rapportés par les placements à l’étranger, pouvant par une règle de trois calculer le montant global du principal. Ces montants sont mentionnés sous l’appellation “crédits des facteurs” au chapitre relatif à la balance des paiements. Ils étaient de 4,49 en 2009, 5,13 milliards de dollars (mds USD) en 2008, de 3,81 mds USD en 2007 et de 2,42 mds USD en 2006. Toujours selon le gouverneur, environ 98% de ces placements, répartis entre les Etats-Unis et l’Europe, sont effectués en portefeuille de titres souverains (valeurs d’Etat) que l’Algérie avait achetés entre les années 2004 et 2007, lorsque les taux d’intérêt mondiaux étaient relativement élevés.

2.- Prenons seulement deux dates à titre d’exemple, en nous appuyant sur les rapports officiels de la Banque d’Algérie où les réserves de change de l'Algérie ont rapporté 4,459 milliards de dollars en 2009 soit un taux de revenu estimé à 3,5%, là aussi des déclarations contradictoires donnant parfois 3% de taux fixe, (supposant un placement à moyen terme, taux légèrement inférieur au taux d’inflation mondial) et 4,45 milliards de dollars en 2011, un montant en légère baisse par rapport au rendement enregistré en 2010. Selon les rapports de la Banque d’Algérie, les réserves de change étaient de 147,2 milliards de dollars en 2009 et de 182,2 milliards de dollars en 2011. C’est comme un simple épargnant algérien qui dépose son argent à une banque primaire où à la CNEP. Si les intérêts ont été en 2009 de 4,459 milliards de dollars à un taux d’intérêt de 3,5%, nous pouvons mathématiquement calculer le montant global déposé (le principal) qui sera de 4,459 divisé par 3,5% ce qui nous donne 127,4 milliards de dollars. Cela représentait en pourcentage de 127,4 divisé par 147,2 soit 86,54%. Pour 2011, en procédant au même calcul (encore que les taux d’intérêts directeurs des banques centrales entre 2012/2013 fluctue entre 2 et 2,25 %), la part des réserves de change placées à l’étranger serait de 127,14 milliards de dollars soit un taux de 70%. Question que je pose au ministre des Finances : en affirmant que seulement 6% des avoirs de l’Algérie sont déposés à l’étranger, la Banque d’Algérie, seule institution habilitée à procéder au transfert a-t-elle entre janvier 2010/ et octobre 2013 rapatrié les 80% ? Car si les intérêts représentent toujours cette même proportion, sinon plus, cela relève de l’imaginaire, étant une impossibilité technique. Y a-t-il eu mauvaise communication, surtout pour les non initiés, et dans ce cas les 6% annoncés ne représentent-ils pas des dépôts auprès des banques internationales cotées dites AAA dont le taux d’intérêts est largement supérieur au taux d’intérêts des banques centrales mais avec plus de risques comme cela s’est passé lors de la crise d’octobre 2008 bon nombre de banques dites AAA ayant fait faillite ou des difficultés financières ? Il est entendu que le reste aurait été déposé en bons de trésor américains et en obligations européennes garanties par les Etats. Autre question qui préoccupe tant les opérateurs que les citoyens algériens : en quelles monnaies ont été réalisées les placements ? Fin 2009, selon les statistiques du Fonds monétaire international (FMI), ces réserves sont constituées à hauteur de 62,17% en dollar et 27,3% en euro (source AFP 21/10/2010). Récemment, certaines informations, en jouant sur la loi des grands nombres pour se prémunir des risques de la volatilité du cours des monnaies clefs (l’adage populaire on ne met pas ses œufs dans un même plat) 45% seraient placées en euros, 45% en dollars et le reste en yen et livre sterling. Et dans quels pays où l’endettement public mondial selon le FMI dépasserait 110% le PIB mondial soit plus de 78.000 milliards de dollars ?

3.- J’arrive à la conclusion que ce taux de 6% est irréaliste, à moins qu’il y ait eu rapatriement à plus de 80% entre 2012/2013, mais en contradiction avec les décisions officielles récentes. Je rappelle que le quota en DTS de l’Algérie auprès du FMI. Le DTS est déterminé à partir d’un panier de monnaies majeures largement utilisées pour le commerce international et les marchés financiers. Pour le moment, ce panier est constitué (dans l'ordre actuel de valeur relative dans la composition revue par le bureau exécutif du FMI tous les 5 ans) du dollar US, de l’euro, du yen japonais et de la livre sterling , cet ordre pouvant être modifié au gré des cours, et fonction de leur importance relative dans les échanges commerciaux internationaux et les transactions financières. Selon l’agence officielle APS, un décret présidentiel publié au dernier journal officiel indique que l’Algérie a augmenté sa quote-part au Fonds monétaire international de 705,2 millions de DTS (équivalent de plus d’un milliard de dollars) la portant de 1,25 milliard de DTS (environ 1,9 milliard de dollars) à 1,96 md de DTS (près de 3 mds de dollars). Cette démarche vient en exécution de l’augmentation des quotes-parts des membres du FMI décidée lors de la 14ème révision générale, en décembre 2010, qui avait entériné un doublement des contributions de cette institution financière internationale, de 238,4 milliards de DTS à environ 476,8 milliards de DTS (quelque 750 milliards de dollars). Cette augmentation des quotes-parts s’ajoute à la décision de l’Algérie en octobre 2012 de participer à l’emprunt lancé par le FMI avec un montant de 5 milliards de dollars. Comme les réserves de change sont estimées à 190 milliards de dollars fin 2012 selon le gouverneur de la banque d’Algérie, (allant vers 200 fin 2013 selon le FMI) , nous aurons uniquement pour les DTS un taux de 4,21% de placement algérien à l’étranger rapporté au total des réserves de change fin 2012.

4.- En fin de compte, afin d’éviter certaines mauvaises interprétations qui nuisent à l’image de l’Algérie, une désinformation qui accentue le divorce Etat-citoyens, nos responsables doivent apprendre à mieux communiquer par un langage de vérité pour plus de crédibilité et se débarrasser de cette langue de bois, mentalité bureaucratique rentière, le monde à l’ère des nouvelles technologies , étant devenu une grande maison de verre où rien ne se cache, surtout sur un sujet qui engage l'avenir et la sécurité du pays, les réserves d'hydrocarbures et les réserves de change. Il y a urgence d’une information transparente liée d’ailleurs à la démocratisation des décisions économiques et politiques. Un large débat s’impose, sans passion sur la gestion et la rentabilité de ces réserves de change, richesse virtuelle qu'il s'agit de transformer en richesse réelle. Ces réserves sont eux-mêmes produit de la rente éphémère des hydrocarbures, qui conditionne largement la future transition supposant un minimum de consensus social, économique et politique qui ne saurait signifier unanimisme, signe de la décadence de toute société.

Abderrahmane Mebtoul, Professeur des universités, expert international, Docteur d’Etat en gestion 1974) en management stratégique

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Commentaires (4) | Réagir ?

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brahim gana

Explications complémentaires sur les réserves de changes en Algérie.

Si on prend l’exemple des sept dernières années (voir le tableau ci -dessous), pour lesquelles les statistiques en matière de l’évolution des réserves sont disponibles et en nous appuyant sur les rapports officiels de la Banque d’Algérie, on observe ce qui suit.

Réserves (brut) Revenus Taux de revenu (%) taux de croissance des réserves

2006 77, 78 2, 42 3, 1%

2007 110, 18 3, 81 3, 5 41, 7%

2008 143, 1 5, 13 3, 6% 29, 9%

2009 148, 91 4, 746 3, 2% 4, 1%

2010 162, 22 4, 6 2, 8% 8, 9%

2011 182, 24 4, 453 2, 4% 12, 3%

2012 190, 661 3, 922 2, 1% 4, 6%

- Les revenus sont enregistrés dans le crédit des facteurs nets (poste de la balance des paiements).

Concernant les deux années 2010 et 2012, les réserves de change de l'Algérie ont rapporté respectivement 4, 6 milliards et 3, 92 milliards de dollars soit un taux de revenu estimé à 2, 8 % en 2010 et 3, 92 milliards de dollars en 2012. Selon les rapports de la Banque d’Algérie, les réserves de change étaient de 147, 2 milliards de dollars en 2009 et de 182, 2 milliards de dollars en 2011. Si l’on considère le taux de croissance des réserves qui était en 2010 de 8, 9%, nous pouvons facilement déduire le montant des réserves en 2010 qui sera de 147, 2 multiplié par 1, 089 Ce qui nous donne 160, 3 milliards de dollars. Cela représentait en pourcentage (160, 3/ 162, 2) soit 98, 81%. En procédant de la même façon Pour 2012/2013, sachant que les taux d’intérêts directeurs des banques centrales (Fed et BCE) entre 2012/2013 fluctuent entre 2 et 2, 25 %, la part des réserves de change placées à l’étranger serait approximativement en 2013 de 180, 069 milliards de dollars soit un taux de 94 %.

voici donc le résultat qu'on peut obtenir (100%-94%) = 6%: à mon avis les 6% des réserves cités dans le rapport ministériel, représente le montant rapatrié et les 94% sont encore à l'étranger.

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Bachir ARIOUAT

Monsieur, le professeur, sauf le respect que l'on doit à une personne de votre âge et vos compétences avancées, vous nous mettez des articles à lire non seulement ils sont fastidieux, mais en plus pour la majorité des personnes à qui vous, vous adressez, je suis sûr, ils ne comprennent rien à ce que vous dites, la prochaine fois essayer d'être bref, merci.

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