La tripartite, pour quoi faire ?
La tripartite, ce sera pour le 10 octobre. Annonce faite par Sellal à l’occasion de son déplacement dans la wilaya de Médéa.
Du côté du gouvernement, on parle déjà, triomphalement, de la relance économique et aussi des mesures sociales prises en faveur de la population, notamment, à l’occasion des tripartites passées. Le discours reste, pourtant, inaudible à en juger par la grogne des travailleurs qui est à son paroxysme à cause de la spirale de l’envolée des prix qui n’a pas de limites et de leur pouvoir d’achat qui s’effrite.
C’est sur ce fond, clair obscur, que s’est faite l’annonce de la tenue d’une tripartite, la 15e du nom, ou d’une «tripartite élargie» comme l’a appelé le Premier ministre ; elle sera étendue aux syndicats autonomes, comme ceux des secteurs de l’éducation, des PTT ou encore de la santé qui, faut-il se l’avouer, ont damé le pion à l’UGTA ; et s’ils sont conviés à cette tripartite, ils ne feront pas que de la figuration. Cela ne fera certainement pas plaisir au Secrétaire Général de l’UGTA, lui qui fait de cette rencontre, bon an mal an, son fond de commerce, voire son jour de gloire.
En effet, Sidi Saïd, n’a jamais boudé son plaisir, allant jusqu’à anticiper sur les résultats de la tripartite, en annonçant avant tout le monde les résultats, surtout quand cela concerne des augmentations de salaires et de les présenter comme un acquis, arraché de haute lutte. Politique quand tu nous tiens ! Il ne s’est pas gêné, non plus, pour annoncer une autre tripartite qui s’occupera du «social» en décembre. En réalité, et nul ne l’ignore, depuis 1991, date de la première tripartite qui s’est déroulée dans des conditions économiques et politiques particulières, des réunions, aussi stériles qu’interminables, qualifiées de marathoniennes, pour donner l’idée de négociations ardues, ont meublé ce type de rencontres triangulaires. En réalité, les décisions étaient prises d’avance, en règle générale, ou sous la pression, faut-il le rappeler, du Fond Monétaire International (FMI), pour ce qui est de la tripartite de 1991. Et à chaque tripartite, Sidi Saïd s’approprie le premier rôle, fait son show pour éblouir des travailleurs exsangues, mais néanmoins, sensibles au moindre dinar d’augmentation agité sous leur nez. Même si le Salaire National Minimum garanti (SNMG) a triplé depuis 12 ans, passant de 6000 dinars à 18000 dinars, il est loin de confier aux travailleurs un pouvoir d’achat conséquent, en rapport avec l’inflation à deux chiffres (8,9% en 2012) que connait le pays.
Des tripartites passées, il faut cependant rappeler que la seule fois où les choses ont été prises en compte, sérieusement, c’est le 28 mai 2011 où fut organisée une session spéciale consacrée «à la recherche des voix et moyens pour soutenir le développement de l’entreprise économique et améliorer le climat des affaires». Discours redondant, sinon comment expliquer que depuis des décennies que l’on parle d’entreprise et de favoriser la production nationale et de la diversifier, afin de sortir du statut de pays exportateur de gaz et de pétrole et d’importation de «Khordawates», on est, encore, au point de départ, loin très loin même des pays voisins ou des pays arabes, dont on arrive même pas à exploiter les difficultés conjoncturelles qu’ils rencontrent, comme par exemple dans le secteur touristique.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à mettre en place des politiques économiques viables ? Faut-il, pour autant, revenir au bon ministère de la planification, pour mettre de l’ordre dans ce «désordre» ? Si les investissements algériens ne trouvent pas intérêt à aller vers la production nationale, vers la création de l’emploi, il ne faut pas s’étonner, encore moins, s’attendre à ce que les investisseurs étrangers, qu’il y ait la règle du 51/49%, ou même l’inverse, fassent preuve de plus d’engagement.
Depuis, l’entreprise reste au cœur de tous les discours politiques, elle est conjuguée à tous les temps, mais de mesures positives sur le terrain, point. Entre temps, les conflits à l’intérieur de l’entreprise s’intensifient et ils sont toujours perçus négativement alors qu’ils portent, en général, sur des revendications socioprofessionnelles, avérées. L’UGTA pendant ce temps là se contente d’observer les grèves, à partir du banc de touche, pendant que les syndicats, autonomes agissent et gagnent en crédibilité, même si, faut-il l’admettre l’action de certains d’entre-eux n’est pas dénuée d’arrière-pensée… politicienne.
La quinzième tripartite sera-t-elle exceptionnelle par son contenu, tel qu’annoncé à savoir la relance de l’investissement et de l’industrie pour se substituer à cette économie politique qui ne se repose que sur les hydrocarbures. Pour le Premier Ministre la solution consisterait en «la création d’unités productives pour que l’Algérie récupère sa base industrielle» comme dans les années 1970 (déclaration faite par Sellal à Médéa le 23 septembre 2013). Le ministre de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement a affirmé, de son côté, que c’est de cette tripartite que sera dévoilée «la nouvelle politique industrielle de l’Algérie». Depuis, Cherif Rahmani qui est l’auteur de cette déclaration a été débarqué du gouvernement et remplacé par Amara Benyounes. Question à 10 dinars, ce dernier, a-t-il hérité, lors des passations de consignes, du «testament industriel» élaboré par son prédécesseur ? En tous les cas, toutes ces préoccupations sont partagées, semble-t-il, par les organisations patronales qui espèrent «des mesures de facilitation d’accès aux financements bancaires, au foncier industriel ou plus encore à l’assainissement du marché des produits industriels», même si ces organisations se présenteront en rangs dispersés, pour cause de «leadership».
Beaucoup d’espoirs et beaucoup de problèmes en perspective de cette 15ème tripartite, axée sur les questions économiques, qui se tailleront la part du lion, comme aime à le répéter Sidi Saïd qui sera forcé, cette fois-ci, un de ravaler son égo et deux partager «son succès» avec les syndicats autonomes qui siègeront à ses côtés, en cas d’abrogation de l’article 87 bis. Mais voilà, le Premier Ministre lors de l’annonce de cette prochaine tripartite a affirmé « que beaucoup de procédures seront incluses dans la loi de finances complémentaire 2013… pour faciliter davantage le climat des affaires, surtout pour les investisseurs algériens…» Or depuis, l’on a appris qu’il n’y aura pas de loi de finances complémentaire pour 2013.
Et là, à priori, il y a problème ! En effet, il y a toutes ces mesures prises par le gouvernement pour calmer le front social qui risquent d’être problématiques. Je veux parler des crédits sans intérêts, proposés aux jeunes chômeurs de l’Ansej et de la Cnac, qui ont suscité la crainte des banquiers, en l’absence d’ancrage réglementaire les justifiant. Il y va de la légalité de toutes les décisions prises à cet effet, d’autant plus que la loi de finances complémentaire, sensée leur conférer la couverture juridique, n’est pas d’actualité.
Différer les textes juridiques les concernant et l’impact financier en découlant pour les inscrire dans la loi de finance pour 2014, c’est, par ailleurs, non seulement alourdir cette dernière mais également embarrasser davantage les responsables de banques qui sont, pour le moins, gênés aux entournures dans ces histoires de crédits sans intérêts, distribués à la volée. Si on ajoutait le souci de l’organisation patronale la plus importante, j’ai nommé le FCE «qui déplore le retard pris dans la concrétisation sur le terrain, de la réforme du système financier et bancaire et l’absence de prospectives pour les secteurs maritimes et portuaires, on se pose légitimement la question : la tripartite, pour quoi faire ? Oui pourquoi faire, sachant que l’investissement productif en Algérie, ne représente que 2% du PIB hors hydrocarbures et hors dépenses publiques, selon le FCE. Et les choses vont perdurer ainsi, d’autant plus que le baril de pétrole augmente, augmente et augmentera encore, si à Dieu me plaise, Obama et son congrès décident de frapper la Syrie et embraser toute la région du Moyen-Orient. De plus, comment va-t-on aborder cette question de relance de l’investissement, alors que perdurent, encore, selon le FCE, le blocage de l’information économique, le recours obligatoire au Credoc et l’absence d’efficacité des chambres de commerce, qui sont autant d’obstacles empêchant la relance de l’investissement.
Comment aussi va s’y prendre le Secrétaire Général de l’UGTA pour défendre devant ses partenaires de la tripartite, cette idée «d’offre abondante pour se substituer à l’importation» ? Par quel artifice compte-t-il réduire la facture alimentaire qui s’élève à 6 milliards de dollars qui à l’entendre parler, est de la faute de la population qui n’arrive pas à gérer son estomac alors que, nul ne l’ignore, le problème est à rechercher dans les facilités obtenues par tous ces profiteurs de «l’import-import» qui accèdent au matelas des devises sans problèmes ? Ou encore, faisant du «Montebourg» malgré lui, Sidi Saïd exhorte à consommer algérien, et préconise des mesures protectionnistes au moment même, comme il n’est pas sans le savoir, l’Algérie négocie, à ce jour, son adhésion à l’OMC et a accepté, par le passé, un démantèlement tarifaire. Je ne parlerais pas, ou très peu, de l’article 87 bis relatif aux relations de travail qui, selon Tayeb Louh, quand il était encore ministre du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale « ne facilite pas la tâche du gouvernement… et crée beaucoup de problèmes».
A noter que le gouvernement ne parle que «d’amendement» de ce fameux article 87 bis, au moment où le Secrétaire Général de l’UGTA parle de son « abrogation » et ce n’est pas une simple question de sémantique à mon avis. Je subodore, personnellement, son abrogation prochaine, soit le 10 octobre, soit lors de la tripartite qui suivra en décembre ; elle fera certainement des heureux dans les rangs des travailleurs, qui en tireront quelques profits. Elle rendra aussi plus heureux le Secrétaire Général de l’UGTA qui se réserve sans nul doute l’effet d’annonce et la brandira comme un scalp, obtenu de haute lutte, et remerciera, au passage, le président de la République « pour la confiance placée en lui». Oui je sais, la formule n’est pas de lui, mais elle lui sied en pareilles circonstances, lui «le pompier social», dont l’action n’est jamais dénuée d’intention politique, comme lors du meeting qu’il a co-présidé avec Amara Benyounes à Annaba, chez les sidérurgistes d’Arcelor-Algérie-Mital ! Les travailleurs feront semblant de le croire et s’en retourneront à leur triste quotidien qui a, au moins, ému la fédération algérienne des consommateurs qui a lancé un appel au Premier ministre, lui demandant «l’ouverture d’une enquête approfondie sur les mécanismes de régulation du marché, de mesurer leurs effets et leur efficacité sur le terrain et procéder à la poursuite des responsables qui exposent le pouvoir d’achat des consommateurs à l’effondrement». Tout un programme !
Pendant ce temps là, on continuera, dans notre pays, à se rejeter la balle longtemps : ce n’est pas moi c’est l’autre, ou l’éternelle chicanerie du rôle de l’Etat régulateur, de la responsabilité des producteurs, de la non maîtrise des prix des matières premières qu’on ne produit pas, de l’anarchie de la consommation, de la faiblesse de l’agriculture, de l’industrie, de cette satanée facture alimentaire qui grimpe etc. On retrouvera aussi la même agitation du côté des travailleurs pour cause de pouvoir d’achat en berne, d’inflation galopante et des prix qui s’envolent. Oui mais jusqu’à quand continuera-t-on à fuir ces problèmes, qu’au final on réglera à coup de subventions qui en définitive « ne profiteront qu’aux profiteurs », ce qui ajouterait encore au désordre social et partant contribuerait à augmenter l’inflation.
A moins de reformuler l’ordre du jour de cette prochaine tripartite, de l’élargir à un grand nombre d’intervenants et de décider de débattre de la thématique qui nous intéresse, celle consistant à plancher sur «le passage d’une économie de rente à une économie de production, seule manière de réhabiliter la notion de productivité et de relier les revenus à la production». Ça ne sera pas pour cette fois, dommage ?
En conclusion, peut on dire que la tripartite n’intéresse personne ? Non bien sûr, puisque les patrons, même dispersés, trouveront toujours leurs comptes et pourront même demander davantage de facilitations et de mesures attractives, notamment, concernant le foncier. Le gouvernement pour sa part, assure et rassure tant les citoyens, les partenaires sociaux que les opérateurs, sur le bien fondé des mesures qu’il engage à leur profit et sur la nécessité de la stabilité du pays à préserver à tout prix. Le secrétaire général de l’UGTA, grand gagnant, qui retirera, à coup sûr, le plus grand bénéfice de ce type de rencontre et qui, bien sûr, ne boudera pas son plaisir lui qui défendra ses "fondamentaux" vaille que vaille.
Il reste les déçus, c’est tous ceux qui sont de l’autre côté du miroir et qui se réveilleront avec la gueule de bois, conséquemment aux titres affichés par leurs quotidiens nationaux : "La tripartite a encore une fois, accouché d’une souris". Alors, permettez moi pour ma part, non seulement d’être réservé quant à l’issue de cette tripartite, même élargie, mais également de garder ma liberté de penser et de dire "la tripartite, pour quoi faire ?".
Cherif Ali
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