Nostalgiques de l'Algérie française ont la dent dure
Confortés par un président de la République excluant toute reconnaissance des crimes du colonialisme, les nostalgiques de l’Algérie française reprennent du poil de la bête. Bénéficiant d’un soutien financier et politique sans réserve de la municipalité UMP conduite par le sénateur Jean-Paul Alduy, ceux de Perpignan donnent de la voix à travers deux projets qui cultivent la mémoire de l’histoire coloniale de la France. Lors d’un congrès qui réunira les cercles algérianistes de France le 25 novembre prochain, un «mur des disparus morts sans sépulture en Algérie (1954-1963)» sera inauguré dans l’enceinte de l’ancien couvent des Clarisses. Premier du genre en France, il n’y figurerait que 2 616 noms, pour l’essentiel des noms d’Européens. À l’exception encore de ceux qui ont soutenu la cause de l’indépendance du peuple algérien, tels Maurice Audin et d’autres. Ce même couvent relevant du patrimoine public communal pourrait abriter prochainement un «Centre de la présence française en Algérie», constitué notamment de fonds du musée de «l’Algérie française» géré par le cercle algérianiste des Pyrénées-Orientales.
La présidente de ce cercle, Suzy Simon-Nicaise, se félicite dans une interview donnée au bulletin d’information de la mairie de Perpignan (numéro 69) «d’avoir anticipé la volonté» de Nicolas Sarkozy. «Dans les courriers que nous a adressés le nouveau président, il a non seulement indiqué qu’il n’était plus question de repentance, mais qu’il avait la ferme volonté de maintenir la date du 5 décembre comme date officielle de la commémoration de la fin de la guerre d’Algérie, et non le 19 mars qui représentera toujours à nos yeux le début des exactions et des disparitions massives» (1). C’est en juillet 2005 que la municipalité et le cercle algérianiste de Perpignan officialisent le projet de «mur des disparus». Cinq mois à peine après le vote par la droite à l’Assemblée nationale de la loi du 23 février demandant dans son article 4 que les programmes scolaires «reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord». Une pétition d’historiens est à l’origine d’une levée de boucliers conduisant Jacques Chirac à demander une réécriture de cet article.
Cette même année, le collectif Non au musée de la mairie de Perpignan à la gloire de la colonisation prend pignon sur rue à Perpignan. Il est composé de 35 organisations, dont la LDH, le MRAP, l’ARAC, l’ANACR, Anciens appelés d’Algérie contre la guerre, Association harkis et droits de l’homme, les partis de gauche PCF, LCR, Verts, PRG, MRC, les syndicats CGT, SUD, SNES, SNESup, UNSA, UNEF et autres associations… Sa première action, le 7 juin 2005, vise à protestercontre l’association pro-OAS Adimad qui, ce même jour au cimetière du Haut-Vernet, a décidé de rendre hommage aux assassins du commissaire d’Alger Roger Gavoury. Membre du collectif, Jacky Mallea, lui-même pied-noir d’Algérie et rapatrié, réfute avec vivacité l’accusation «de négationnisme du drame pied-noir» osée par les responsables du cercle algérianiste à l’encontre du collectif. «Oui, réplique-t-il, il y a eu un drame pied-noir, nous avons tous souffert d’une profonde déchirure en quittant ce pays où nous sommes nés, mais j’ai pris pleinement conscience aussi que c’est à cause des nostalgiques de l’Algérie française comme eux, à cause de l’OAS, que nous en sommes arrivés là.»
Ce qui se passe à Perpignan n’est pas un cas isolé. Le collectif travaille aujourd’hui à la possibilité d’un appel national. «C’est orchestré à l’échelon national, voilà pourquoi il ne peut être question de rester l’arme au pied», assure Marcel Le Goalhec, représentant l’ARAC et l’ANACR au sein du collectif. Il rappelle que le 5 juillet dernier, et selon une information confirmée par son association, des organisations pro-OAS ont tenté de ranimer la flamme à l’Arc de triomphe. Résolument opposé à un musée faisant l’apologie du colonialisme et à un mémorial qui ne rendrait pas hommage à toutes les victimes de la guerre d’Algérie, le collectif se dit ouvert à la création d’un musée centre de ressources sur l’histoire croisée de la France et de l’Algérie. «Nous sommes persuadés qu’un tel centre de documentation et d’études pour la réconciliation et la paix est encore possible.» Un musée qui «reflète toutes les facettes de l’histoire, y compris celles qui peuvent être dérangeantes», précise Patrick Lecroq, au nom du MRAP. Pour Roger Hillel, qui représente le PCF au sein du collectif, seuls les historiens peuvent garantir la médiation de toutes ces mémoires. «Toutes les souffrances sont respectables, or ce que proposent la mairie de Perpignan et le cercle algérianiste est inacceptable car il ne prend en compte qu’une mémoire doublée d’une coloration très partisane.»
À l’initiative de l’historien Éric Savarèse, maître de conférences à l’université de Perpignan Via Domitia, s’est tenue à Narbonne le 19 avril dernier une journée d’études sur le thème «Montrer l’Algérie au public. Pour en finir avec les guerres des mémoires algériennes». Dans la synthèse des travaux, Éric Savarèse souligne combien les historiens participants (2) sont attachés au rôle qui doit être celui des chercheurs spécialistes de l’Algérie. «Il n’est pas question de nier la réalité ou la légitimité des processus mémoriels, ni de valoriser une mémoire contre une autre, mais de promouvoir l’élaboration d’un récit historique «vrai» dont la vocation est de réunir, non d’exclure.» Rien à voir avec les projets, à Perpignan et ailleurs, des nostalgiques du «temps béni» des colonies.
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Alain Raynal (L'Humanité)
(1) Dans une lettre adressée le 16 avril dernier au président du Comité de liaison des associations de rapatriés (source le Monde du 21 avril 2007), Nicolas Sarkozy s’engage à «ne jamais sombrer dans la démagogie de la repentance». Il souhaite « que les victimes françaises innocentes de cette guerre, jusqu’à l’indépendance, et, tout particulièrement, les victimes du 26 mars 1962, se voient reconnaître la qualité de "morts pour la France" et que leurs noms figurent sur une stèle officielle». (Le 26 mars 1962, rue d’Isly, à Alger, l’armée française riposte aux provocations de l’OAS et tire sur les manifestants qui tentent de forcer un barrage, faisant 56 morts - NDLR).
(2) Raphaëlle Branche, Jean Robert Henry, Jean-Charles Jauffret, Claude Liauzu, Gilbert Meynier, Valérie Morin, Guy Pervillé, Éric Savarèse, Yann Scioldo- Zurcher, Benjamin Stora, Sylvie Thénault.
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