Pour une autre école, Monsieur le Ministre
Je vous écris Monsieur le Ministre, ces quelques mots, pour certains maux, car je pense qu’il le faut. Certes, vous avez hérité d’un gros fiasco, mais votre arrivée aux commandes de l’Education, le 3 septembre 2012, avait ravivé la flamme des attentes. Et au lieu de mesures graduelles, nettes et audacieuses, vos récentes déclarations ont malheureusement percuté l’entendement.
Pourtant, avec votre cursus universitaire, en sciences exactes, c’est ce que j’ai appris, en chimie pour être plus précis, tout un chacun peut supposer que vos atouts sculptés dans la rationalité, donc le bon sens, vous rendent apte à dissoudre ce jeu de lotions ou de potions d’alchimie à l’école. Les dislocations étant nombreuses, nul ne pourra vous reprocher de ne pas les corriger, toutes et en même temps, et nul ne devrait s’attendre à un miracle, tel le règlement rapide de la surcharge des classes. Mais les surprenantes décisions entérinées, n’ayant produit, ni une molécule de satisfaction, ni un atome d’optimisme, je me limiterai ici, à n’en soulever que deux.
La première décision ayant trait à l’introduction de l’enseignement de la langue italienne, il est difficile d’imaginer les critères scientifiques, donc prospectifs, pour une telle option, et engager des investissements qu’il faut maintenir et intensifier avec le temps. Bien évidemment, toutes les langues sont respectables et méritent d’être connues. Mais il s’agit me semble-t-il, d’assurer d’abord les moyens d’améliorer l’enseignement de la langue officielle et nationale, ensuite du français nullement étranger à notre environnement, puis langue d’enseignement des sciences à l’université, cet outil de travail aussi, dans maints secteurs publics, privés, socio-économiques. Il s ‘agit également d’améliorer les langues étrangères introduites depuis longtemps à l’ école et déjà ancrées, dont l’enseignement de l’anglais, d’autant plus que celle-ci internationale et scientifique, occupe la première marche du podium. D’autre part, vous n’ignorez pas, que l’anglais suivi du français sont les deux seules langues officielles et de travail à l’ONU, auxquelles il faut rajouter celles qui sont usitées et considérées comme officielles par cette organisation, à savoir, l’arabe, le mandarin, l’espagnol et le russe. Alors a-t-on suffisamment d’enseignants en langue italienne, et d’élèves intéressés par l’apprentissage de cette langue ? A moins de forcer nos enfants à apprendre l’italien, parce que nous disposerions d’italophones.
En outre, Les 10 premières langues dites natives, et les plus parlées dans le monde, sont dans l’ordre décroissant : le mandarin, l’espagnol, l’anglais, le hindi, l’arabe, le bengali, le portugais, le russe, le japonais, et le punjabi. Le chinois (mandarin) compte 1 milliard 310 millions de locuteurs, et l’espagnol est parlé dans au moins 24 pays, avec plus de 400 millions de locuteurs. Si la langue classée dixième, est parlée par plus d’une centaine de millions de locuteurs, l’italien qui compte 65 à 80 millions de locuteurs dans le monde, ne figure pas, de surcroit, dans le peloton de tête des langues dites scientifiques (anglais, français, allemand, espagnol…).
Les chiffres sont donc significatifs, éloquents. Excusez-moi, Monsieur le Ministre, les raisons qui ont mené à l’introduction de la langue italienne, ne peuvent pas s’insérer dans ma boite crânienne ; question de priorités. Enseigner l’italien revient à lorgner vers le dessert et dédaigner le plat de résistance. Si le jeune Algérien, arrive à maitriser la langue nationale, le français et l’anglais(ou l’espagnol, ou l’allemand) à sa sortie du lycée, c’est déjà merveilleux.
Pour le deuxième point, celui de l’allégement des programmes, vous avez affirmé qu’"il est envisagé de revoir le volume horaire de chaque matière au lieu de la suppression de matières, comme proposé par des associations de parents d’élèves". Tout un chacun peut noter, tout d’abord, que vous ne citez pas les syndicats d’enseignants qui n’ ont donc pas été pleinement associés aux nouvelles mesures, eux à qui revient la tâche d’enseigner, et que vous appelez au "dialogue".
Ce sont donc uniquement des parents qui ne peuvent ni juger, ni jauger seuls, qui semblent avoir été écoutés, alors que les enseignants à qui revient ce rôle et qui ont prouvé sur le terrain, leur dynamisme en faveur d’une autre école, ont été éjectés. Ce sont d’ailleurs eux qui vous ont soutenu, et se sont battus, pour sanctionner les fraudeurs au Bac 2013, notamment. Pour revenir à cette association de parents d’élèves, aux propositions que vous avez jugé recevables, je suppose que c’est la même qui avait exigé, à quelques jours du Bac 2013, la compassion des jurys, un barème avantageux, un seuil de révisions charcuté, un rachat à 8/20 au Bac et je ne sais quoi encore.
Puis quand vous refusez la proposition des enseignants, consistant à supprimer des matières, en expliquant que "si on supprime une matière, on supprime donc un enseignant" ; je n’ai pas compris. C’est comme si les enseignants voulaient, soit supprimer des postes de leurs collègues, soit s’auto-supprimer. D’autre part, il est question de diminuer le volume horaire, sans supprimer aucune matière, et d’alléger le programme et les cartables, sans toucher au contenu. Là aussi, Monsieur le Ministre, je n’ai rien compris. Pourtant il y a au moins une solution intermédiaire, façon de partager la poire en deux, celle qui consiste à réduire de moitié, le volume horaire des matières en question ; cela libérera, au moins les classes à d’autres fins plus rationnelles.
Et puis, que sont devenues les propositions formulées par le corps enseignant, lors de débats nationaux initiés par votre ministère ? Que sont devenues les recommandations dégagées lors d’un grand nombre de séminaires sur l’Education ? Qu’est devenu le rapport datant d’une dizaine d’années, d’une fameuse commission, dite Benzaghou, pour ne pas la nommer, composée de nos meilleurs experts dans le domaine de l’éducation ? La réponse à cette dernière question nous a été fournie par la presse : Ce rapport n’a été, ni pris en compte, ni rendu public, et se trouve enterré dans un tiroir.
Non Monsieur le Ministre, ce n’est pas clair ; des décisions semblent aller à contre-courant de l’article 16, de la loi d’orientation sur l’Education Nationale, du 23 janvier 2008, qui stipule que "l’école constitue la cellule de base du système éducatif national…. Elle doit être préservée de toute influence ou manipulation à caractère idéologique, politique ou partisan". Ce n’est pas clair et vos conseillers devraient donc, revoir leurs copies et nous avancer des arguments plus convaincants, car l’énergie potentielle ou latente de nos enfants, tarde à être utilement et rationnellement transformée.
En fait, le contenu de l’enseignement, donc le projet de société, et les méthodologies, constituent le noyau central de la question. Et puis, question d’allègement sans toucher au contenu, pour une certaine équation, quand on diminue le volume (horaire) sous certaines conditions, c’est soit la pression subie par nos enfants qui va augmenter, soit la température de leur corps, provoquant ainsi, une fièvre contagieuse qui va gagner les parents. L’entropie ne peut ainsi qu’augmenter, monsieur le Ministre. Et puis vous savez pertinemment, que si l’on triture l’un des trois paramètres susmentionnés (volume ou pression ou température), c’est au moins l’un des deux autres qui va être touché. Je vous écris donc, monsieur le ministre, car on l’a écrit, on l’a décrit, on l’a dit et redit, on le crie et on le transcrit : l’état actuel de notre école défie le bon sens vu ses incohérences.
Les deux points évoqués étant soulignés, ce que nous voulons, c’est une autre école, une belle école. Belle par la formation qu’elle dispense, avec des programmes réfléchis qui ne font pas de nos enfants des gus amoindris. Une école où les enseignants recrutés de façon rigoureuse et transparente, sont soumis à de sérieuses formules de formation continue. Une école belle participant au développement des capacités cognitives de nos enfants, par la Rationalité (1), par les valeurs universelles, pas les mythes, pas la servitude, pas la lobotomisation, pas le bourrage de crâne…. Une école belle, où les petites têtes de nos enfants, ne seront pas faites, pour ingurgiter, mais pour méditer, projeter, fureter, scruter... Une école belle, où il faudra s’assurer que ses différents acteurs ne trainent pas des casseroles, ne prennent pas non plus, l’école pour un fondouk d’exorcisme. Une école belle, car formant à la citoyenneté, celle qui permet à notre pays d’être Debout.
Ainsi, sachant toutes nos richesses, humaines et matérielles, les compétences disponibles, mais réfrénées, je deviens dur à la comprenette, je crains les galipettes d’adultes, dangereuses pour nos enfants et l’avenir du pays. Et puis, comment se fait-il, que notre système éducatif cloche, alors que votre ministère est doté de moult structures et outils permettant de faire tourner la machine ? Devrais-je penser que vous avez les mains liées, car autour de votre personne et du système éducatif, en tant que noyau, gravitent des électrons d’incompétents ou d’opportunistes ? Empiète-t-on sur vos prérogatives ? A travers ces questions que je me pose, je ne vous interroge pas, monsieur le Ministre, tout en vous priant d’interroger votre conscience qui vous répondra. Et si effectivement des gourous vous mettent les bâtons dans les roues, battez-vous avec l’arme de la Science ; je reste persuadé que vous ne serez pas seul.
Et puis, si je vous dis tout cela, en parlant de votre entourage, je peux aussi vous dire, que je ne cherche nullement à être embauché. Je ne suis pas à la recherche d’un emploi, d’un strapontin, encore moins d’un quelconque fauteuil, dans un bureau climatisé. L’air conditionné ne me convient pas ; je crains réellement et sincèrement d’attraper la migraine. J’ai donc déjà un emploi et je ne sais rien faire d’autre. Et si je vous écris, c’est parce que j’aime cet emploi, que je m’efforce de faire encore, en dépit de tout : Enseigner
Avec nos craintes plus que tous nos espoirs les plus fous, et mes franches, déférentes et Républicaines salutations, monsieur le Ministre.
Rachid Brahmi
(1) Rachid Brahmi "L’école, les constantes nationales et la modernité" Le Quotidien d’ Oran, Jeudi 16 mai 2013, p 10
Commentaires (11) | Réagir ?
Entièrement d'accord pour le cas de la langue italiènne. L'Algérie n'a que faire de cette langue ! L'Algérie ferait mieux de développer la langue Tamazight dans les régions où cette langue est utilisée par nos concitoyens dans leurs discussions de tous les jours. Développez aussi la langue Arabe scientifique au lieu de la faire taire une fois arrivée à l' Université; décision que je considère comme une trahison et un sabotage du développement du peuple algérien à majorité musulmane.
Je poserai tout de même deux (2) questions à l'auteur : a) pourquoi avoir omis de positionner la langue Française dans le listingue des langues natives comme vous dites. b) Pourquoi, en France, les reçus au bac avoisinnent chaque année 85% à 90%; alors qu'en Algérie, nous n'avons qu'entre 40% et 50% de reçus.
Certains pensent que le Français est un butin de guerre; ils croient que c'est l'Algérie qui avait envahi la France; alors qu'au contraire, le Français est, reste et demeure une blessure de guerre.
L’article est d’ordre pédagogique. Pourquoi tant « d’animosité » à l’encontre de la langue arabe ? Les trois premiers intervenants ont une haine viscérale à la langue arabe !!! Ce ne sont pas les arabes qui ont maintenu l’Islam et l’arabe au Maghreb mais bel et bien les berbères que les romains appelés « barbares ». Les arabes avaient le savoir vivre, aimaient le vin, la bonne chaire à l’image de Abou Nouas, d’Omr Kaiss etc. Il y a lieu de savoir que des cavaliers berbères issus du fin fond de la Mauritanie, les Al-Mourabitoun ou Almoravides, commandés par Youssouf Ibn Tachfine, débarquèrent à Almeria, au sud de la péninsule ibérique. Leur chef, se piquant de morale, avait dénoncé la décadence de l’islam marocain et décrété que musique et poésies, pratiques impies, étaient responsables de la dispersion d’Al-Andalous et de la perte de Tolède au profit des chrétiens. Ils prirent Valence, écrasèrent au passage le roi de Castille et entrèrent dans Cordoue en 1091 de l’ère chrétienne. Les musulmans disaient que : Al-Andalous ne serait jamais un lieu décent pour un musulman rigoureux. Voilà pour ce qui est de la vérité historique !!