Printemps syrien : année zéro et l’Empire
L’Empire contre-attaque pour faire main basse sur le Printemps syrien : Révolution et contre révolution syrienne.
Le printemps syrien comme tous les autres printemps de la rive sud de la méditerranée et du Moyen Orient trouvent leur origine généralement en réaction à la fondation et à l’échec du Parti Baas arabe socialiste. Le Baas, qui a été fondé en 1947 à Damas, avait pour but l’unification des différents États Arabes en une grande Nation Arabe au détriment des particularités des différents peuples de cette région et de leurs aspirations à la pleine souveraineté, à la liberté et à la démocratie. Depuis, ces peuples ont vu se dresser devant leurs prétentions toutes sortes d’obstacles, allant de l’autoritarisme et du totalitarisme des régimes nationalistes conservateurs issus de cette utopie unificatrice, aux contre offensives de mouvements intégristes islamistes réactionnaires, souvent manipulés et alimentant la contre-révolution, initiée et représentée aujourd’hui par l’empire et composée d’une coalition, elle-même issue des développements géostratégiques résultant de la fin « officielle » de la guerre froide, où des pays arabes eux-mêmes, comme l’Arabie Saoudite et le Qatar, sont venus renforcer son noyau principal, composé traditionnellement de l’alliance sacrée entre le Sionisme et l’impérialisme occidental.
En Algérie, la crise de 1949, qualifiée de «crise berbériste» et qui s’est ensuite poursuivie avec le congrès de la Soummam en 1956, constitue toujours la trame de fond de la contestation politique démocratique. Elle avait fait son intrusion dans le débat du mouvement national algérien au même moment où il y a eu la loi 49 en Syrie, qui avait interdit la confrérie des Frères Musulmans. Allant jusqu’à condamner à mort tout sympathisant ou membre de cette confrérie ou de tout autre association musulmane. C’est donc au même moment du vote de cette loi 49 que va se déclencher un débat intense et violent sur l’identité nationale au sein du mouvement national algérien en consacrant le nationalisme conservateur et provoquer un conflit structurel par l’exclusion de toutes les voix discordantes avec l’idéologie Panarabiste dominante, dont les effets n’ont toujours pas été résolus à ce jour et qui continuent à alimenter les principaux fondements de la crise politique permanente en Algérie. Notamment par le refus de la séparation du politique et du militaire, de la sécularisation et de la prise en compte du caractère multiculturel et de la définition de « l’algérianité » à partir de cette reconnaissance.
En Syrie, il n’y a pas de loi qui autorise un parti politique d’opposition d’exister. Seuls les partis qui composent le front qui collabore avec le régime du Baas ont une existence reconnue. L’opposition Syrienne qui réclamait le changement démocratique depuis les années 1970 exerçait ses activités clandestinement. Elle n’a jamais été autorisée par le régime. Ses militants étaient constamment surveillés, suivis et perquisitionnés. Beaucoup d’entre eux, surtout les cadres, étaient souvent emprisonnés. Certains sont même restés près d’une vingtaine d’années, voire plus, dans les prisons. Après la mort de Hafez El Assad, il y a eu une petite et courte ouverture politique initiée par le régime sous Bachar El Assad. C’est alors que l’opposition s’est mise à bouger. Il y a eu l’appel des Mille en 1999, qui réclamait la levée de la loi martiale, de l’état d’urgence, une libéralisation tout court. Il y a eu les fameux salons dans les maisons des militants, qui commençaient à se réunir, c’était les Muntadas, Mais sitôt le régime s’est mis à les réprimer. Malgré la répression, ils continuaient à se réunir, à discuter et ils ont abouti à la fin à trouver la Déclaration de Damas en 2005. C’était l’aboutissement. C’était le printemps de Damas. Le contenu de cette Déclaration mettait fin au mythe de l’idéologie baasiste et réclamait un changement démocratique pacifique en Syrie. Elle fut signée par une coalition qui rassemble les trois principaux courants qui ont une existence dans la société. Les islamistes démocratiques modérés, les libéraux, et les tendances nationalistes et les gauches marxistes avec le parti kurde et les assyriens. Cette coalition a survécu jusqu’à la révolution de 2011.
Les islamistes qui ont signé cette déclaration ont fait beaucoup de progrès en Syrie. Ils acceptent pratiquement la laïcité sans le déclarer. Ils étaient en tout cas favorables à un état civil. Même les Frères Musulmans n’avaient aucune intention d’appliquer la Charia. Dans leur programme, ils ne font aucune allusion à la charia. Ils s’inspirent plutôt de l’époque quand leur mouvement avait commencé, c’est-à-dire dans les années 1940-1950. Il était inconcevable pour une organisation politique islamiste de penser une Syrie dominée par l’Islam politique. La société syrienne a ses particularités. C’est une société de naissance pluraliste. Elle est effectivement composée de plusieurs ethnies et plusieurs religions. C’est une société très ouverte. Il n’a jamais existé en Syrie un mouvement intégriste fort, puissant, qui a un poids réel et qui est implanté dans le peuple. D’ailleurs, les Frères Musulmans qui ont essayé de combattre Hafez el-Assad dans les années 1980, n’étaient pas adhérant au Rassemblement Démocratique. Ceux qui ont pris les armes à ce moment-là, c’était une branche seulement de ces Frères Musulmans, la branche radicale, qui s’appelait l’Oumma. Ils avaient leur propre journal, qui s’appelait El Dalil. En réalité, ils n’avaient pas une force considérable. Ils commençaient à combattre le régime en commettant des attentats. Ils étaient organisés en des petits groupes pour attaquer. C’était vers la fin des années 1970, jusqu’en 1982 où Hafed El Assad les a presque anéantis. Mais à aucun moment la société ne les a suivis. Cependant, il faut reconnaitre, qu’après l’échec du projet national, avec la défaite de 1967, le recul qui était représenté par Nasser et par le Baas, qui n’ont réussi à réaliser aucun de leurs objectifs, Wahdah, Hurriyah, Ishtirrakiyah (ni l’unité arabe, ni la liberté, ni le socialisme), l’irruption de la révolution iranienne avait provoqué certes une poussée islamiste. En même temps, il faut considérer le fait que le Baas qui a pris le pouvoir avec un monopole d’une certaine tendance militaro-alaouite un peu confessionnelle, où il y avait une minorité qui a pris le commandement, qui avait les forces de sécurité et le commandement du régime, alors il s’est produit une réaction populaire contre cette hégémonie de la minorité alaouite, qui a eu en réaction une certaine poussée de l’islamisme. Mais cette poussée de la pratique de la religion était surtout un refuge, une protection contre l’hégémonie alaouite. Il faut donc distinguer entre se réfugier ou fuir vers la religion, aller dans les mosquées, être croyant, parce qu’il n’y a plus de régime qui les protège et accepter d’aller vers le fanatisme et revendiquer l’application de la charia. C’est contraire à l’esprit des Syriens. Même les dirigeants des Frères Musulmans, ils n’ont jamais porté quoi que ce soit sur leur tête, ils n’ont jamais porté la barbe, ni aucun autre signe religieux ostentatoire. La barbe et tous les signes religieux ostentatoires, c’est venu de l’Arabie Saoudite. En fait, c’est lorsque le régime syrien a chassé les Frères Musulmans, qu’une bonne partie de leurs chefs sont allés fuir en Arabie Saoudite et à leur retour, ils ont introduit ces habitudes en Syrie.
Il faut admettre qu’avant que les jeunes ne se révoltent le 15 mars 2011, avant ce soulèvement populaire, avant la révolution, l’opposition syrienne était principalement coalisée autour de la Déclaration de Damas. En 2007-2008 s’est tenu clandestinement à Damas le Congrès national qui s’est soldé par des élections. Le congrès et les élections étaient ouverts à tous les démocrates. Y ont participés aussi bien les partis d’opposition traditionnels que des indépendants sans partis. Le cadre structurel du printemps syrien s’était implanté inéluctablement dans les consciences libres. La révolution était mure pour s’exprimer en plein jour, bien avant l’étincelle de Sidi Bouzid. A ce moment-là déjà, l’Empire, veille dans l’ombre et guette sans relâche sa proie. De l’aveu de Rolland Dumas, ancien ministre des affaires étrangères de Mitterrand, un plan d’occupation de la Syrie était déjà fin près. Certainement, il doit exister son équivalent pour l’Iran, l’Algérie, le Soudan et pour beaucoup d’autres pays «insoumis», «voyous» comme cela avait été déjà qualifié dans un passé récent par la rhétorique guerrière de l’Empire. En vérité, alerté par les aspirations populaires aux changements démocratiques, l’Empire avait déjà anticipé l’issue des bouleversements qui se tramaient dans les imaginaires collectifs des peuples de la région. Il fallait impérativement les orienter à son profit et installer au pouvoir l’idéologie islamiste (croupion), facilement maniable et perméable à la corruption, pour faire main basse sur leurs richesses naturelles et, faisant d’une pierre deux coups, négocier leur reddition au soutien de la Palestine et permettre à Israël de poursuivre sa colonisation de la Cisjordanie en toute impunité, ni indignation.
Ce n’est plus un secret pour personne, l’Empire était déjà présent en Syrie à la veille même du 15 mars 2011, par l’intermédiaire de ses services venus appuyer le basculement du rapport de force au sein de la révolution au profit des islamistes, infiltrés fraichement, de provenance des monarchies Arabes où ils étaient réfugiés, pour venir rejoindre leurs complices, déjà présents au sein même du mouvement des jeunes révolutionnaires, avec armes, propagande et pétrodollars.
Aux tous débuts, il y a eu une reconfiguration du camp de l’opposition syrienne avec une nouvelle force qui est née et qui n’existait pas avant. Cette force était composée de jeunes qui ont déclenché le soulèvement populaire. A ce moment-là, ils n’étaient pas encore constitués en tant qu’organisation politique. C’était un mouvement qui n’était pas encore structuré organiquement. Il n’avait pas encore une direction, parce que c’était un mouvement libre, qui était moitié spontané, moitié orienté. Ce sont des gens qui se sont rassemblés par l’intermédiaire d’associations locales. Mais ils avaient quand même des mots d’ordre, articulés autour de la perspective de renverser le régime, pour établir un véritable État démocratique sur la base de sa composante multiethnique et multiconfessionnelle, dans l’esprit de la déclaration de Damas de 1985, pour enterrer définitivement l’idéologie baasiste. Au départ, ils étaient submergés et progressivement, ils ont commencé à se structurer par des coordinations (tensiquyyat), des petits regroupements de quartier. Ensuite, ils ont commencés par se structurer par villes en des structures locales. Petit à petit, ils ont commencés à se confédérer entre eux. Cela a abouti à la Confédération des Coordinations. Ils n’avaient pas encore à ce moment-là de dirigeants. Ils avaient seulement des porte-parole anonymes, qui avaient été désignés pour diffuser l’information, rendre compte de leur activité journalière. Officialiser en quelques sortes la révolte pour chacune des forces locales. Il faut reconnaître que toute l’opposition démocrate, les trois principaux courants et même les gens qui n’étaient pas dans la Déclaration de Damas, les indépendants, les intellectuels, généralement, tous ceux qui combattaient le régime depuis 40 ans, ont été surpris par cette révolte. Parce que la révolte, la révolution, ce ne sont pas les partis qui l’a font. La révolution, c’est le peuple qui l’a fait, ce n’est pas le parti, ni la personne. Tout au plus, ils ne peuvent que l’attendre. Alors, eux, ils attendaient ça.
Naturellement, quand il y a eu cette révolution, ils ont adhéré spontanément, avec enthousiasme et ils se sont jetés dans le bain avec les jeunes. La révolution syrienne, le printemps syrien, n’était encore à ce moment-là qu’à ses tout débuts, à peine à ses balbutiements. Et déjà la fin du régime était à bout portant. C’était le printemps syrien année zéro, avant que l’Empire, acculé par l’impasse de son système économique, qui est arrivé aux limites de sa contradiction, transformant son économie en une économie de guerre pour survivre, n’y fasse main basse et contre-attaque en inondant le champ de la révolte par des mercenaires endoctrinés par l’idéologie islamiste réactionnaire, recrutés de tous les horizons, sur armés et idéalisés par la machine de propagande des monarchies du Golfe et de celle de l’empire nauséabonde. C’est ce qui risque de se passer avec l’Algérie, si elle connaîtra la même aventure, où il y a des milliers de fidèles de l’ex FIS dissous, disséminés un peu partout à l’étranger et à l’intérieur et qui sont fortement encadrés par les services de l’Empire. Ils sont généralement fédérés autour du mouvement Rachad et une constellation d’autres organisations, dont le mouvement des chômeurs, solidement structurées par les réseaux sociaux et prêtes à vendre leur âme pour servir de valets à l’Empire dans une république soumise à un nouveau régime de colonisation.
Youcef Benzatat
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