Aziz Mouats réagit à la lettre de Brahim Senouci
La lettre de Brahim Senouci à JP lledo a, à mon sens le mérite de dire en quoi ce film est porteur d’une perversion. Celle qui consiste à s’aligner sans y avoir l’air, sur les thèses colonialistes les plus abjectes. Elle a également le mérite de donner le point de vue d’un scientifique de renom et d’un humaniste infatigable dans son soutien à toutes les causes justes à travers le monde.
Ayant suivi toutes les interventions depuis celles ayant suivi les projections privées de juin dernier à celles plus récentes de Mohamed Benchicou, ainsi que les échanges entre JP Lledo et moi-même dans le Soir d’Algérie, Brahim Senouci aura attendu patiemment de voir le film et de dire son sentiment. C’est cette rigueur qui fait la force de sa lettre. Il analyse avec minutie les moindres détails pour enfin livrer une sentence qu’aucun débateur sérieux ne pourra contester.
Cependant, lorsqu’il rappelle que lors de la dernière séquence de Skikda, je me lance « dans une diatribe contre l’Algérie », je voudrais souligner que c’est surtout contre le système politique algérien que je me révolte. Je le fais en toute sincérité en en toute responsabilité. Car il s’agit bien d’un déni de justice vis-à-vis des martyrs de notre famille mais également de toutes les régions d’Algérie où des braves parmi les braves sont morts sans que leur combat ne soit reconnu à ce jour. Vivant depuis 1971 à Mostaganem, je suis en mesure de livrer un nombre incalculable de martyrs du coin dont les noms ne parent aucun édifice, ni ruelle, ni même trois marches d’escalier. Y compris dans leur douar d’origine. Alors que mon oncle Lyazid est mort en authentique héros, les armes à la main, il est tout de même curieux que sa sépulture continue de reposer au fond d’une étroite vallée où les sangliers se baladent au grand jour.
Que dire alors des autres anonymes emportés par la terrifiante répression coloniale. Dans la séquence en question, il est vrai que je m’élève contre les célébrations de nos fêtes nationales, comme le 5 juillet qui est devenu également la fête de la jeunesse. Franchement de qui se moque-t-on lorsqu’à ces occasions on ne rencontre que des officiels qui répètent dans un simulacre de rituel des gestes d’une rare banalité. Lorsqu’il m’arrive de couvrir ces actualités pour le journal, j’ai souvent la nausée. Ces dates symboliques que toutes les nations nous envient à juste titre, parce que conquises de haute lutte, sont souvent expédiées par une cohorte de fonctionnaires et de faux dévots.
Honnêtement, je n’ai pas du tout l’impression d’être seul à ne pas me retrouver dans ces manifestations insipides. Ceux de mon age qui ont eut le privilège de voir défiler nos fiers combattants à l’occasion du 1er novembre 62, ne peuvent que m’accompagner dans cette diatribe. J’en suis profondément convaincu.
Comment faire croire à nos jeunes que notre combat fut exemplaire pour tous les peuples en lutte lorsque ces mêmes jeunes sont la proie quotidienne des requins ? Devrai-je me contenter pour tout rituel d’écouter Kassaman joué par un engin électronique d’un autre age ? Je veux célébrer le 1er Novembre, le 20 Août ou le 5 Juillet dans le recueillement et l’allégresse de l’ensemble du peuple. Je veux que le combat pour l’égalité, la liberté et la démocratie commence d’abord par donner à chacun de quoi vivre et mourir dignement. Hélas, nous sommes loin du compte. La seule réconciliation qui vaille est celle où tous les algériens puissent manger à leur faim et dormir bien au chaud. Des hommes, jeunes pour la plupart ont bravé les rudes hivers pour que nous vivions dans l’opulence et le respect. Quand je croise le regard d’un de mes étudiants, j’y lis toute la détresse du monde. A cet age, Ben Mhidi, Didouche, Abane, Bordji (qui c’est celui là ?) et Boudghen avaient une autre ambition pour leurs frères, leurs sœurs et leurs mères. S’ils revenaient un jour, qui osera les regarder en face ? Peut être quelques irréductibles que rien n’aura tenté. Ils existent puisque ce sont ces gens qui me donnent la force de continuer à dénoncer toutes les injustices dont ils sont les premières victimes. Après tout ça, franchement je n’ai pas l’esprit à la fête, surtout si les invités n’ont aucun respect pour les morts, ni pour les vivants. Vivement une douce rébellion, loin du tumulte et des lampions.
Enfin, Brahim Senouci aura vu juste en demandant à JP lledo qu’elle serait sa réaction si un public d’extrême droite se mettait à encenser son film. C’est déjà fait mon cher compatriote. J’attends patiemment la réaction de JP lledo. Non pas que cela me fasse particulièrement plaisir, mais juste pour savoir jusqu’où la bêtise peut mener.
A.M.
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