R. Benamghar : "Nous vivons dans une société contrôlée"
Notre confère Rabah Benamghar est écrivain poète, journaliste politique et chef de rubriques chargé de l’actualité culturelle et sociopolitique en Kabylie (Tizi Ouzou), pour le compte du site électronique kabyle.com.
Il a tout récemment publié un recueil de poésie en France qui a pour titre Les Rots de l’Amertume. Dès son jeune âge, il a été bercé par la poésie. Il se distingue par sa précieuse plume. Il a activement contribué en intervenant dans beaucoup de thèmes. Il est un conservateur du patrimoine kabyle ancien. Sans nul doute, Rabah a intelligemment contribué pour la protection et pérennisation de cette culture millénaire. Ce quadragénaire touche à tous les domaines. À l’occasion de la sortie de son œuvre, rapproché, il a bien voulu nous livrer sa "visions" dans un zeste incisif pour que chacun puisse se voir sans complaisance dans "son miroir à tares" qu’il nous livre dans cet entretien exclusif.
Le Matindz.net : présentez-vous à nos lecteurs ?
Rabah Benamghar : Je suis un quadragénaire, fonctionnaire dans l’éducation nationale. Je suis originaire de la région des Iflissen en Kabylie maritime. Pour le reste, je me passionne pour l’écriture.
Après quelques jours seulement de la publication de votre recueil de poésie en France et qui a pour titre Les Rots de l’amertume, pourriez-vous nous en dire un mot ?
Le hasard a voulu que mon travail paraisse en France après des tentatives infructueuses chez moi en Algérie et vous savez mieux que moi les raisons de cet état de fait. Le livre est disponible dans toutes les librairies de France ainsi que sur internet.
Quels sont les thèmes traités dans votre œuvre ?
Les thèmes abordés sont à l’image de notre génération, c'est-à-dire l’environnement immédiat dans lequel nous évoluons. L’empreinte du temps et de l’espace imprime ses cicatrices sur le parchemin de la vie ; je ne fais que le reproduire par l’écrit. Je suis à l’écoute de mon temps.
Qu’entendez-vous par "les Rots de l’Amertume" ?
Tout ce que dégage notre cerveau et notre corps de souffrances et de blessures mal remises. Les rots sont des sons qui expriment l’enfouissement volontaire ou involontaire des non-dits
Pourquoi votre livre n’est pas disponible en Algérie ?
Les raisons sont d’ordre bureaucratique et matériel. Pour la première raison, les éditeurs hésitent à s’engager avec un créateur inconnu. Pour la deuxième, il faut avoir les moyens de se prendre en charge. Chose que je n’ai pas.
Vos poèmes sont une espèce d’asyndète où les textes évoluent dans un cheminement sans ponctuation, pourquoi aviez-vous opté pour ce genre ? Et qu’entendez-vous par le mot asyndète ?
Tout est expliqué dans l’avant-propos que j’ai ajouté à ce recueil dans le seul but est d’anticiper sur les questions de ce genre. Ma poésie est exagérément libre que l’on peut aborder sous différents angles.
A-t-il eu un impact votre recueil ?
Le livre est sorti en France le 20 juin passé. Je suis donc incapable de vous dire s’il y a eu impact ou pas. Par contre, beaucoup m’ont contacté pour savoir comment avoir le livre. Il y en a même qui l’ont déjà acheté par internet en ce qui concerne notre diaspora à l’étranger. Le seul impact dont je suis sûr est celui rencontré par le livre à travers les réseaux sociaux, il est indéniable.
Les écrivains, et les artistes en général, sont confrontés quotidiennement à de multiples problèmes dans leur parcours artistique auxquels ils font face. Déplorant l’absence de prise en charge de leurs œuvres, le désintéressement, le manque d’engouement des lecteurs, ce qu’évoquent la majorité des artistes algériens et à cela s’ajoute l’absence du statut d’artiste. Quel constat commun tirez-vous ?
L’écrivain, le poète, l’artiste etc. sont incompatibles avec la doctrine d’une société fermée où le « mono » se couple avec tous les épithètes. Nous vivons dans une société contrôlée par une élite politique plaintive envers tout esprit critique. La libre pensée ne prolifère pas dans un espace contrôlé par des philosophies monodirectionnelle. La chorale des systèmes despotiques ne tolère aucune fausse note.
Pourquoi n’écrivez-vous pas en kabyle ?
J’ai un recueil de poésie en tamazight que je compte publier le moment venu.
Parlez-nous de l’évolution de la langue kabyle en général, et dites-nous un peu quel sera son avenir ?
L’avenir d’une langue dépend des moyens qui lui sont consacrés par les pouvoirs publics qui, normalement, la protègent. Son développement dépend de la volonté de ses derniers à lui assurer un environnement propice pour son épanouissement. Il y a aussi l’engagement de ses propres enfants. Ils doivent être capables de prendre en charge les impératifs de création multidimensionnelle. Il faut proposer un travail de choix capable d’intéresser la curiosité des gens.
D’où vient votre d’inspiration ?
L’inspiration est présente partout et tout le temps, il suffit juste de la saisir à travers les événements, le silence, le vent, la joie et la mélancolie.
Dans certains textes de votre ouvrage de poésie, vous avez évoqué, en mettant en exergue des tentatives perverses de spoliation de l'identité kabyle par ceux qui veulent "exhumer les graines/Les empêcher de germer", ou par "Les hyènes qui respirent la haine/En quête de proie à dépecer".
Une œuvre qui ne suggère pas des questions à celui qui la lit est une œuvre inutile de mon point de vue strictement personnel. Les réponses sont à trouver dans le sens que chacun donne à la sémantique choisie par l’auteur. Laissons donc toute latitude aux gens d’interpréter les mots.
"Le poète Rabah Benamghar, estime que les origines de ce phénomène viennent de l’absence de repères. Pour lui, le drame est vécu à l'heure de l'instantané. «Nous, qui sommes une génération ayant vécu dans les dogmes, nous voilà en train de nous battre avec l'actuelle", explique-t-il comme pour conjurer ceux qui, en amont, daignent consentir une once de paix pour ceux qui sont en aval. "Les uns et les autres ne forment pas des droites parallèles quand même".
Cette réponse, je l’ai donnée à un journaliste qui m’a questionné sur la philosophie de ma poésie. Je crois sincèrement que la graine poétique n’éclot que dans un champ d’euphorie ou d’incertitude. Le cerveau ne poétise que quand il est malmené. Pour le reste, vous comprendrez que mes réponses sont à l’image de ma poésie, elles sont obscures et incomprises.
Quel constat tirez-vous ou quel est exactement le message que vous transmettez sur le phénomène des haragas que vous évoquez dans la mini-biographie de la couverture de votre livre ?
Ce phénomène est étranger à notre société. Il interpelle toutes les consciences et si j’ai fait allusion comme vous le dites, c’est justement parce que je suis interpelé en tant que tel.
Quels ont vos projets d’avenirs ?
Nul ne sait de quoi se fera demain. Pour l’instant je m’attelle avec un éditeur à la publication de ce recueil ici en Algérie ; sinon, j’ai un autre recueil fin prêt dés à présent. Je viens aussi de terminer un roman que j’espère pouvoir mettre un jour à la disposition des lecteurs.
En plus de vos fonctions dans le secteur éducatif, vous exercez comme journaliste dans la presse écrite plutôt électronique, parlez-nous de vos premiers pas dans ce domaine ? Et comment vous arrivez à gérer votre temps ?
J’avoue que je ne gère pas mon temps réellement mais que celui-ci me gère totalement. Pour tout vous dire, je prends les choses comme elles viennent sans trop de questions. Si pour la poésie, les muses m’ont titillé dés mon adolescence, pour le journalisme c’est le hasard qui m’a fait atterrir dans ce domaine. A présent, les deux challenges me passionnent.
Parlez-nous de vos premiers pas dans le journalisme ? Et quels obstacles rencontrez-vous dans le journalisme ?
Comme je viens de le dire, je suis venu au journalisme par pur hasard. Le journal électronique qui m’emploie m’a donné une chance et je l’ai saisie. Mais au fil des jours, j’ai appris que ce n’est pas du tout aisé d’accomplir son travail dans un monde sans merci. Le journaliste est comme coincé entre son désir de bien faire et les impératifs d’un cahier des charges implicite suspendu au dessus de sa tête comme l’épée de Damoclès.
On vous laisse le soin de terminer.
Je n’ai pas la prétention d’être un grand poète ni un grand journaliste mais je prends vraiment du plaisir à fouler dans ces nobles domaines. J’essaie de fuir l’oisiveté corrosive qui use beaucoup de mes concitoyens dans le silence. Il faut parfois forcer le destin. Je vous remercie vous et votre media pour l’intérêt que vous me portez.
Entretien réalisé par Mohammed Amrous
Commentaires (6) | Réagir ?
R. Benamghar : "Nous vivons dans une société contrôlée"
Quand le mélioratif devient péjoratif (chez les gens qui aspirent à une liberté débridée !)
L'adversité élève et incite à la réussite. Bravo mon ami. Un Ifliss ne peut qu'être qu’intrépide, c'est notre atavisme qui nous incite à être ainsi. Encore plus de réussite, pour toi notre brave.