La corruption socialisée en Algérie menace les fondements de l’Etat
Le divorce entre l’Etat la majorité de la population algérienne atteint un niveau rarement égalé, poussant le pays au suicide collectif où tous les segments de la société veulent leur part de rente et immédiatement.
Aussi, sans un retour aux valeurs morales, fondement de la réhabilitation du travail source de la richesse de toute nation, le combat contre la corruption qui tend à se socialiser, mais devant éviter tout règlement de comptes, passant par une réelle indépendance de la justice, tout discours, conférences, réunionites n’auront aucun effet sur le devenir du pays. Le blocage n’est-il donc d’ordre systémique ?
1.- La corruption se socialise en Algérie
La corruption existe de par le monde et en Algérie depuis l’indépendance mais depuis quelques années elle a pris des proportions inégalées dans le pays. Et l’erreur est d’avoir déversé une masse monétaire colossale sur le marché sans avoir prévu des mécanismes de contrôle, le plus efficace étant le populaire par un Etat de droit et la démocratisation de la vie politique et économique et en redynamisant certains institutions comme la Cour des comptes qui dépend organiquement de la Présidence de la république selon la Constitution. Le bilan doit être fait sans complaisance. La dépense publique entre 2004 et 2013 selon les propos du président de la république dans différents conseils des ministres seraient de 500 milliards de dollars. Si l’on avait une bonne gestion et une lutte efficace contre la corruption, avec seulement 10% d’économie, l’Algérie économiserait 50 milliards de dollars. Que représentent 260 millions de dollars du scandale de Saipem comparés à ce montant ? Il est évident que l’impact de la dépense publique entre 2004 et 2013 est très mitigé, avec un taux de croissance n’ayant pas dépassé 3%, alors qu’il aurait dû être entre 10 et 15% devant nous poser beaucoup de questions. Parmi les raisons ayant favorisé la propagation de la corruption dans l’administration on peut citer le clientélisme, l’incompétence, la bureaucratie qui est le fondement du système rentier. La corruption est l’une des raisons essentielles du retour à l’inflation qui pénalise les couches les plus défavorisées. La sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation et 65% des segments des produits de première nécessité où tout se traite en cash, favorise la corruption. Il existe un lien dialectique entre la logique rentière, la logique bureaucratique et la logique de la sphère informelle. L’efficacité des institutions passe par une nouvelle gouvernance, un Etat de droit, plus de libertés et une réorientation de toute la politique socio-économique, en s’attaquant à l’essentiel. Il existe un théorème en sciences politiques dit 80/20%. 80% d’actions mal ciblés que l’on voile par de l’activisme ministériel, ne donnent qu’un impact de 20%, alors que 20% d’actions bien ciblées donnent au contraire un impact de 80%.
A ce propos, combien d’entreprises publiques et privées ont la comptabilité analytique indispensable pour cerner les coûts, et combien de ministères et administrations algériennes sont régies par la rationalisation des choix budgétaires où sans ces instruments le contrôle externe est presque impossible ? Aussi, pour lutter efficacement contre la corruption, je recommande un diagnostic sans complaisance sachant que selon le rapport de la banque africaine de développement en mai 2013, les transferts illicites de capitaux en dehors de l’Algérie ont dépassé la somme faramineuse de 173 milliards de dollars soit plus de 9O% des réserves de change cumulées en 2013 et cela doit être suivi d’un large débat national. Il s’agit d’établir un audit financier indépendant de la gestion de la rente pétrolière qui est la propriété de tout le peuple algérien impliquant un calcul cumulé sur plusieurs décennies pour déterminer les évolutions et la part investie par Sonatrach structurellement et le versement au Trésor. Établir un audit de la distribution de la rente (98% des exportations étant constituées des hydrocarbures) structurellement depuis plusieurs décennies impliquant l’audit du système financier, notamment public, appendice de la rente des hydrocarbures, les banques publiques accaparant 90% des crédits globaux octroyés, véritable enjeu de pouvoir expliquant que les réformes souvent annoncées sont renvoyées aux calendes grecques. – Établir un audit sur la gestion des réserves de change 86% étant placées à l’étranger devant préciser, la nature, en bons de Trésor, en obligations européennes ou dans des banques internationales privées, dans quel pays et à quel taux d’intérêt avant et après la crise de 2008. Un audit sur le Fonds de régulation des recettes, qui n’existe nulle part dans le monde, devant le différencier des Fonds souverains qui a montré leur inefficacité. Nous assistons périodiquement à des lois de finances complémentaires, le gouverneur de la Banque d’Algérie ayant affirmé récemment que l’Algérie fonctionne sur la base d’un cours de 110 dollars le baril alors que les lois de finances entre 2000/2013 ont été établies sur la base de calcul au départ à 19 dollars et ensuite à 35 dollars. Ce fonds est géré d’une manière occulte, pouvant le gonfler par une dévaluation du dinar voilant tant l’importance du déficit budgétaire que l’inefficacité de la dépense publique. Je préconise sa suppression, également les fonds spéciaux, après des audits sérieux, devant établir chaque année la loi de finances sur la base du cours du marché quitte à placer l’excédent dans un fonds pour les générations futures. Ainsi, un audit sur les impacts de la dépense publique, entre 2000 et 2013 devient impérieux, mettant en relief à la fois la dépense monétaire et les réalisations physiques, avec des comparaisons internationales pour des projets et pays similaires. Et particulièrement son impact sur le taux de croissance, notamment l’émergence d’entreprises compétitives, sur le taux de chômage non artificiellement gonflé mais le réel, sur le social notamment sur le niveau de l’inflation et sur le pouvoir d’achat de la majorité de la population en spécifiant la répartition du revenu national et du modèle de consommation entre les différentes couches sociales. Et enfin, un audit à la fois sur les subventions généralisées sans ciblage(les transferts sociaux sont évalués à 1400 milliards de dinars en 2012) et une quantification de la perte due à l’exode des cerveaux et la marginalisation des compétences locales et donc du pourquoi le passage d’un montant de 2 milliards de dollars en 2002 à plus de 12 milliards de dollars fin 2012.
2.- La corruption produit de pratiques sociales occultes
Certes s’il y a des corrompus, il y a forcément des corrupteurs impliquant une refonte profonde des relations internationales fondées sur plus de moralité en combattant les paradis fiscaux. Les résolutions du G8 après la crise concernant cet aspect, bien qu’il y ait une prise de conscience n’ont pas produit pour l’instant des effets tangibles. Les gestionnaires algériens sont ballottés entre le souci de l’efficience de leur entreprise, ce qui suppose des prises de décision en temps réel, et les injonctions politiques, pouvant se trouver au centre de scandales financiers. Ils sont actuellement tétanisés. Or sans prise de risques, on ne peut dynamiser l’économie. Cela pose la problématique de la transition vers l’économie de marché où l’Algérie n’est ni dans une économie planifiée, ni dans une véritable économie de marché concurrentielle, renvoyant au rôle de l’Etat dans le développement économique et social, rôle qui a fondamentalement changé avec la mondialisation. Sans le rétablissement de la morale, l’Etat de droit et la démocratisation, tous les discours et toutes les institutions bureaucratiques mis en place demeureront inefficaces avec le risque d’une extension de la corruption et d’une implosion sociale à terme que l’on couvre par la distribution de la rente, aboutissant à une corruption socialisée. Des débats contradictoires productifs, un dialogue serein et responsable loin de tout autoritarisme bureaucratique des années passées, deviennent nécessaires. La démobilisation de la population algérienne qui connait, à travers les différents scandales financiers, une névrose collective, se traduit par un divorce croissant Etat/citoyens. D’où l’urgence d’une plus grande moralité de ceux qui dirigent a moralité la Cité. Comment un responsable peut-il avoir une autorité morale auprès de ses collaborateurs ou des citoyens lorsqu'il verse lui-même dans la délinquance, risquant de contaminer la société. Car comme l'a souligné le grand sociologue Ibn Khaldoun, il y a de cela plusieurs siècles "lorsque le pouvoir est atteint d'immoralité, c'est la décadence de toute la société".
Les scandales financiers généralisés touchant la majorité des secteurs de l'activité nationale menacent les fondements de l'Etat algérien. Avec la situation géostratégique au niveau de la région, la menace est encore plus grande. Les dernières élections législatives et locales ont déjà montré un taux de non-participation très élevé, l'APN et le Sénat n'étant donc pas représentatifs, pour engager l'avenir du pays. Ce désintérêt risque de se reproduire en avril 2014 si des mesures salutaires ne sont pas prises. Le redressement national est lié à la bonne gouvernance, à l'instauration d'un Etat de droit qui ne peut être possible que si l'Etat est droit et une véritable justice indépendante sans lesquels aucun développement fiable n'est possible. Les discours de mobilisation des responsables étant vains avec la défiance des citoyens où tous les segments de la société veulent leur part de rente et immédiatement. Je ne saurai attirer l'attention des pouvoirs publics algériens et il suffit de faire une enquête au niveau de toutes les wilayas du pays en ce mois de juin 2013, ce n'est pas de la sinistrose, mais l'amère réalité, pour constater la très grave crise morale que traverse le pays, du divorce croissant entre l'Etat et les citoyens. Malgré ses importantes potentialités, il y a risque d'un suicide collectif et d'une très grave crise politique et sociale dans les prochaines années que l'on couvre transitoirement par une redistribution passive de la rente des hydrocarbures. Dans ce contexte, je propose les trois mesures urgentes suivantes: Primo: tous les responsables politiques, président de la République, directeur de cabinet, secrétaire général et conseillers à la présidence de la république, le Premier ministre et ses proches collaborateurs, les ministres et les directeurs généraux de ces ministères, les walis, chefs de daïra, les députés, les sénateurs, les élus locaux et les directeurs généraux des entreprises publiques, ainsi que les dirigeants de tous les partis politiques et associations nationales doivent publier leur patrimoine ainsi que celui de leurs femmes et enfants tant au niveau national qu'à l'étranger. Cette déclaration doit être publique et insérée dans la presse nationale. Secundo: bien que la présomption d'innocence doit être la règle, toute personne ayant des implications directes ou indirectes avec les affaires de corruption, afin de ne pas utiliser sa fonction pour influencer la justice, doit démissionner, ne pouvant pas pour une période à déterminer avoir une fonction supérieure, créer un parti politique ou se présenter à un mandat électif. Tertio: afin d’éviter la confusion entre les intérêts de l'argent et le service public, toute personne gérant des affaires directement ou indirectement doit démissionner d'une fonction publique ou élective quel que soit le niveau.
3.- Personne n’a le monopole du nationalisme en Algérie
L’économie algérienne est caractérisée par le syndrome hollandais (n’exportant que des hydrocarbures et important presque tout) où la crise est avant tout politique devant passer par la refondation de l’Etat pour asseoir un Etat de droit, sur des bases démocratiques tenant compte de notre anthropologie culturelle. Évitons la sinistrose, l’Algérie ayant toutes les potentialités pour réussir face à cette mondialisation impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, mais également l’autosatisfaction à l’image de Narcisse : c’est moi qui ai raison et tout le reste est mensonge. Continuer dans l’actuelle voie où la société algérienne devient anémique (désintégration des normes sociales où la moralité devient absente) est suicidaire pour le pays à l’image du Titanic où les gens dansaient pendant que le bateau coulait. Et pour terminer dans ce langage de vérité, personne ne pouvant se targuer d’être plus nationaliste qu’un autre ou de traiter de menteurs ceux qui contredisent objectivement certaines données officielles. Connaissant le premier ministre, son dérapage verbal récent est du certainement à une certaine fatigue et lassitude face aux pressions des événements et se basant sur certaines données qu’il s’agira de vérifier. Évitons donc les polémiques inutiles qui nuisent aux intérêts supérieurs du pays, personne n’ayant le monopole de la vérité d’où l’importance d’un débat public serein, loin de toute passion. Oui, et je peux démontrer, étant prêt à un débat télévisé, au vu de la situation actuelle, à moins d’importantes découvertes rentables économiquement, que les réserves vont à l’épuisement se calculant selon le vecteur coût prix international, pouvant découvrir des milliers de puits mais non rentables. D’où l’urgence d’un nouveau modèle de consommation se fondant sur un Mix énergétique. Les données calculées sur les craintes de pertes de marché, l’épuisement possible des réserves en hydrocarbures face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales, comme j’ai eu à le démontrer récemment face à un forum mondial consacré à l’énergie à Paris, analyse largement partagée par ailleurs, ne tombent pas du ciel mais se fondent sur des statistiques officielles prenant en compte donc les réserves, (c’est le PDG de Sonatrach qui le 24 février 2013 a affirmé que les réserves de gaz sont de 2.000 milliards de mètres cubes gazeux, données reprises par tous les organismes internationaux ) les extrapolations d’exportation et la forte consommation intérieure. Du fait du doublement des capacités d’électricité à partir des turbines de gaz.Que les officiels évitent donc de se contredire souvent du fait de l’effritement du système d’information, et que l’on dialogue et qu’on confronte nos idées loin de l’intolérance, fondement de la mentalité rentière bureaucratique qui veut vendre des illusions au peuple algérien conscient. Un langage de la vérité, rien que de la vérité si l’on veut éviter ce divorce Etat –citoyens que le premier ministre a mis en évidence dans plusieurs de ses déclarations. Quant aux réserves de gaz de schistes, les 20 000 milliards de mètres cubes gazeux (contre 6.000 pour l'AIE) ces données résultent d’un vieux rapport commandé par Sonatrach en 2002, et le ministre de l'Energie avait déjà repris ces données estimant entre 17.000 et 18.000, lors d'une conférence à Houston ; ce n'est donc pas une nouveauté. N’étant ni pour, ni contre, il faudra maîtriser la technologie de la fracturation hydraulique (achat donc du brevet) comme le montre les débats au niveau mondial, tenir compte de la spécificité de l’Algérie pays semi –aride où un milliard de mètres cubes gazeux nécessite un million de mètres cubes d’eau douce.
L’eau du Sahara est saumâtre, nécessitant des unités de dessalement alourdissant les coûts Par ailleurs, doivent être réalisés les investissements importants dans les canalisations où l’on doit perforer plusieurs centaines de puits sur plusieurs kilomètres carrés dont la durée ne dépasserait pas 5 ans contrairement aux grand champs de gaz conventionnel de Hassi R’Mel, et injecter plusieurs centaines de produits chimiques. Il s’agira d’éviter la détérioration tant de l’environnement que des nappes phréatiques non renouvelables que se partagent plusieurs pays riverains, notamment la Libye et la Tunisie. A quel coût donc l’Algérie peut-elle produire ce gaz de schiste face à la concurrence internationale ? Aussi, tout en étant conscient que les hydrocarbures, du moins pour 15-20 ans constitueront encore la ressource de financement principale, devant l’utiliser au mieux, et là on revient à la mauvaise gestion et à la corruption, il devient impératif en 2013 de se projeter horizon 2030 au moment où la population approchera 50 millions (gouverner c’est prévoir et non dépenser sans compter pour une paix sociale fictive de court terme) afin de dépasser le statut quo actuel fondé sur l’illusion rentière, réhabiliter l’entreprise créatrice de richesses et son fondement le savoir, si l’on veut mettre en place une économie productive pour les générations futures et ce dans le cade des avantages comparatifs mondiaux. Car, après 50 ans d’indépendance politique, l’Algérie n’a pas toujours d’économie. En résumé, la bureaucratie et la corruption sont les obstacles principaux à l'investissement utile créateur de valeur ajoutée durable devant asseoir un Etat de droit et revoir l’actuelle gouvernance. On combat la corruption par la démocratie réelle et non formelle supposant une mutation systémique maîtrisée.
Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités et expert international
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merci
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