"La maison scopion"

Ould Kablia, 80 ans.
Ould Kablia, 80 ans.

"Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maitre, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir", affirmait Rousseau dans son Contrat Social, il y a plus de 300 ans en plein siècle des Lumières.

Aujourd’hui, les mots droit et devoir ont vécu et le cauchemar du printemps arabe, l’atrophie de la société occidentale face à la crise actuelle en sont la meilleure preuve. Jamais le futur n’a autant fait peur, on rêve de plus en plus du passé et le présent est, au mieux, désillusion et au pire, dépression violence suicide. Partout, la connexion naturelle entre la masse et la classe dirigeante est coupée. Les hommes politiques ne sont programmés que pour se faire élire et réélire. Ils ont goûté au pouvoir de l’argent et l’argent du pouvoir. Certains ont trouvé le truc magique, l’électeur est un retardé mental, le votant est donc légalement et définitivement le voté. On né Algérien on ne le devient pas. Le ministre de l’intérieur, Ould Kablia, l’affirme lors de sa dernière conférence au sujet du retour de l’informel : "…est une caractéristique du peuple algérien, à chaque fois qu’on interdit quelque chose, son tempérament anarchique ou anarchiste le pousse à y revenir…Frapper est parfois nécessaire…" (1) Il y a donc ceux qui interdisent et usent de violence pour le bien de la foule qui se complait dans l’anarchie et la crasse. On comprend pourquoi nos dirigeants ont l’air abruti, las, si frileux de sortir de leur forteresse s’il n’y a pas caméra, tapis rouge, bendir, youyous, klaxons, fleurs et pots-de-vin pour leur remonter le moral.

Mais pourquoi ils se flagellent de la sorte ? pourquoi restent-ils aux commandes d’un peuple aussi génétiquement pourri ? Heureusement qu’ils gardent ce reflexe protecteur qui les donne tous partants vers des cieux où les masses se plient volontiers aux interdits avec le sourire en prime. A une seule exception, on ne voit pas un Ould Kablia ministre de l’intérieur d’un Hollande ou d’un Obama car ces deux-là n’ont pas le sésame ouvre-toi et ferme-toi de nos zaims. Ils ont besoin de la populace pour se faire élire et nommer leurs potes. Une personne occupant un poste usurpé, Ould Kablia incarne l’interdiction suprême dans tous les pays qui se disent démocratiques, c’est une contradiction avec les textes fondamentaux de la Constitution de la République Algérienne Démocratique et Populaire. Car de 1962 à nos jours, tous les présidents ont été imposés au soi disant peuple algérien puisque la notion de peuple renvoie automatiquement au choix d’un bulletin pas à la contrainte d’un char. On a dû subir accepter aimer applaudir nos sauveurs-dictateurs.

Et si maintenant par miracle le président Bouteflika (s’il est encore en vie) faisait un discours à travers ses médias uniques et demandait pardon pour lui et pour son ministre de l’intérieur, nous pardonnerons en baisant la poussière du sol avec le risque maintenant de humer les déchets nucléaires envoyés par le dragon chinois à la cigale algérienne. Certes il y aura la minorité râleuse, méfiante, rancunière des brebis galeuses mais le gros du troupeau suivra au rythme de : one, one, one Viva le Rais! Un opposant au roi Hassan II avait dit un jour à un journaliste que s’il y avait des élections transparentes, le monarque l’emporterait haut la main. Déjà dans les années 50 une enquête sociologique américaine menée dans le monde arabe sur le président idéal avait encensé le dictateur seul capable de protéger au prix de la liberté. Combien d’Egyptiens regrettent l’ère de Moubarak ? Combien en Tunisie, celui de Ben Ali ? Combien sommes-nous à regretter le joug plombé de Boumediene et maudire la révolte de 88 censée nous transformer en citoyens libres et heureux pour finalement nous retrouver traumatisés à vie par un terrorisme incestueux épouvantable et la dégringolade qui a suivi ? C’est cher payé le droit à la parole dans un pays où la surdité préserve de la folie. D’une visibilité qui assure au moins la protection physique pour tous, nous avons basculé dans une invisibilité sournoise qui n’assure que les arrières des chefs avec l’armée et la police en mercenaires. Ce qui explique la dislocation du monde arabe où les pays à défaut d’êtres des nations reposaient sur un seul pilier : "Tu m’assures l’amen (la protection), je serais ton zombie." Dans son livre La Maison du Scorpion, Nancy Farmer parle d’El Patron, l’homme le plus puissant au monde grâce à la drogue, son emblème le scorpion, il règne sur un pays surnommé le Pays Rêvé entre le Mexique et les USA. Sa garde rapprochée, des criminels étrangers en fuite ; sa main d’œuvre pour les champs illimités de pavots, des Américains fuyant la crise et des Mexicains fantasmant sur l’eldorado de l’oncle Sam. Les surveillants d’El Patron les kidnappent à la frontière direction l’hôpital pour leur greffer des implants crâniens qui les transforment en eejits. Les chirurgiens veillent aussi à fournir de jeunes clones dont le cerveau est détruit à la naissance pour constituer une réserve d’organes qui permet à El Patron d’atteindre allégrement les 140 ans. Un eejit c’est quelqu’un qui peut mourir de soif face à une source si on ne lui donne pas l’ordre de boire, il peut s’éclater comme la grenouille qui voulait devenir plus grosse qu’un bœuf si on ne lui dit pas : stop. Un eejit peut travailler jour et nuit dans des conditions épouvantables s’il ne reçoit pas l’ordre d’arrêter etc, etc. El Patron n’est pas seulement un monstre, il sait être généreux avec ses amis surtout quand ils sont des sénateurs américains qui ont besoin de financer leur élection…

Ce roman de Nancy Farmer n’est pas vraiment de la science fiction. On sait que là où coule l’argent à flot, la politique, le foot, les banques, le star-système, l’argent de la drogue perd son odeur. Etrange, avec des moyens de communication de plus en plus sophistiqués, des satellites autour de la Terre formant un anneau plus redoutable que celui de Saturne, l’industrie de la drogue explose. Et le premier exportateur n’est autre que l’Afghanistan qui n’est pas sur la planète Mars, il est bien tracé sur la carte de l’ONU et dans les plans des puissances dirigeantes du monde. S’il y avait volonté d’éradiquer ce mal, il suffirait bêtement d’aller détruire la production sur pied. En plus de sa rentabilité, la drogue semble aujourd’hui assurer le calme des banlieues des laissés-pour-compte, ça brûle proprement le cerveau des jeunes exaltés sans l’aide des blouses blanches. Et comme il y a une justice "divine" ça flambe aussi au sommet d’après le Gardian (2) la cocaïne est le coupable caché de la crise bancaire, les banquiers et les traders en raffolent. Le bureau de l’escroc Madoff regorgeait de «neige» au point d’être surnommé le pôle Nord"…Selon David Nutt, spécialiste en toxicomanie au Sunday Times ce sont les banquiers cocaïnomanes avec leur culture de l’excitation perpétuelle qui les conduit à en vouloir toujours plus…qui nous ont mis dans ce pétrin.» Un chercheur (3) ayant étudié les effets de la cocaïne sur des banquiers affirme : "certaines personnalités en vue dans les cercles politiques et financiers ont pris des décisions irrationnelles inspirées par la mégalomanie que provoque la cocaïne … Les gens prenaient des décisions insensées en pensant avoir raison à 110%, ce qui nous a conduit au chaos actuel." Fragilité du cerveau humain, d’un coté la mégalomanie des drogués de luxe genre El Patron de l’autre nous avons les eejits détraqués par la drogue ou par une sorte d’esclavage moderne qui ne dit pas son nom.

Depuis les années 60, la fameuse expérience de Stanford a confirmé la «stupéfiante soumission» qu’on peut obtenir de n’importe quel individu équilibré (4) "La personne que j’étais s’éloignait de moi était lointaine jusqu’à ce que finalement, je ne sois plus elle, je sois un numéro matricule. J’étais réellement mon numéro." La personne qui parle n’est pas un opposant politique dans les geôles d’Alger de Damas ou autre goulag du genre, c’est un brillant étudiant dans une prestigieuse université américaine qui a accepté de participer à une expérience de 15 jours faite par des psychologues pour étudier les limites de la servitude humaine. Elle fut stoppée après une semaine tellement l’état mental et physique des cobayes s’était dégradé. Que dire de l’équilibre mental de la populace dite arabe qui n’a connu que servitude durant toute son histoire. Et si l’espoir à un moment donné est né malgré l’expérience algérienne des années 90, l’expérience syrienne actuelle l’a définitivement pulvérisé. En Algérie ou en Syrie, le nombre des victimes dépassent celui de toutes les guerres israélo-palestiniennes depuis 1948 …Une seule consolation, si la démocratie n’est même à l’état de fœtus chez nous, ailleurs, elle a vieilli, on parle déjà de post-démocratie. Pour surmonter la crise, on fait payer les retraités les petits fonctionnaires les cas sociaux, les moins-que-rien, les responsables de rien. En Grèce pour économiser 4 à 5 milliards d’euros afin d’obtenir de l’Europe plusieurs dizaines de milliards pour recapitaliser les banques on fait saigner depuis 6 années ceux qui sont déjà des SDF épargnant les plus fortunés les armateurs et l’Eglise. L’expérience de Stanford est dépassée, aujourd’hui la médecine s’intéresse de plus en plus à notre cerveau, question de savoir pourquoi on est de plus en plus violent de plus en plus paresseux de plus en plus geignard de plus en plus dépressif suicidaire. D’un autre coté, elle est déjà dans le clonage dit thérapeutique et autres miracles de la jeunesse éternelle inaccessibles au commun des mortels. Il est loin le serment d’Hippocrate, maintenant la médecine est devenue business, à défaut d’un génie inventif c’est le génie des affaires qui la guide. Pour nous, elle a inventé les traitements à vie, l’ordonnance kif-kif jusqu’au dernier souffle quelque soit la maladie dont on souffre, tension cholestérol diabète cancer sida cœur etc. Sur cette industrie pharmaceutique on a écrit: "Un passé magnifique. Un présent stérile, fait de luxure, de mensonges et de corruption. Un futur basé sur l’espoir…"

Sur les 4000 médicaments commercialisés en France 50% sont inutiles, 20% mal tolérés et 5% potentiellement dangereux (5). Gageons que les 25% qui sortent de cette mélasse sont réservés aux plus offrants. Ce n’est pas pour rien que si les banques font les présidents américains, les laboratoires pharmaceutiques font les présidents français d’où les scandales spécifiques aux uns et aux autres. Et pour ne rien laisser au hasard, les messages subliminaux, la manipulation via les medias contrôlés par les mêmes sources, les porte-parole de l’Olympe secondés par des experts attitrés approuvés et payés pour anesthésier définitivement le peu qui nous reste de cervelle. Dans cette soupe de sorcière en reprenant l’expression de Genet, nous sommes déjà les aliments cuits à point pour être mâchés et digérés ou mâchés et recrachés selon qu’on soit à Paris ou à Alger. En sommes que des eejits…

Mimi Massiva

Raina Raikoum, la Civilisation et l’Anarchie selon Ould Kablia (Quotidien d’Oran) 

(1) Guardian /Geraint Anderson (22/4/2013 )

(2) Chris Luke, spécialiste des urgences à l’hôpital universitaire de Cork en Irlande

(3) Philip Zimbardo, université de Californie

(4) Le guide des professeurs Philipe Even et Bernard Debré

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Commentaires (14) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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adil ahmed

merci

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