Label identitaire et régionalisme : les instruments de la discorde
L’approche régionaliste du développement national est désastreuse.
Enfermer toute une région dans un label identitaire ou culturel restreint est caricatural voire réducteur, frôlant le péjoratif à mon sens, réduire Oran par exemple à la fête du rai, Ghardaïa, ville où naquit l’auteur de l’hymne national, le grand Moufdi Zakaria à la fête de la "zarbiya", régalée bien souvent aux illustres invités étrangers, Tiaret à la fête du cheval où l’onéreux pur sang arabe et son superbe "serj" (selle et étrier) doré, finissent comme cadeaux aux grosses pointures d’Alger, et à leurs illustres invités souverains, souveraines ou chef et dames d’États étrangers, est une façon de "déshabiller Paul pour habiller Pierre", c’est du" chna", dira-t-on (acte de prestige), mais dont l’apport économique réel à ces wilayas reste à discuter.
Vos impulsions de prestiges nous coûtent cher messieurs, si l’on continue de la sorte, on nous inventera, qui sait, des fêtes du genre, Mascara capitale de la patate, Tizi-Ouzou, capitale de l’olive, Ouargla capitale du pétrole, puisqu’il y est produit mais où les jeunes souffrent encore de "la batala" (chômage) et se trouvent écartés des complexes de production qui fument sous leur nez, objet du récent mouvement revendicatif légitime. Ces titres sont pompeux à connotation festives, mais trompeurs, ils réduisent nos belles et pauvres régions à un cliché culturel ou identitaire limité et limitatif, une forme de diversion aux exigences de développement que ne cessent de réclamer ces dernières. On doit en finir avec l’image du Mozabite portant sa "zarbiya" roulée sur ses épaules, déambulant dans le "souk" (marché), ou le Tiareti avec son"kimbouche" (turban), sa "djellaba" et sa "aça" (canne), véhiculée par notre chère télévision algérienne depuis des années, de cette traversée du désert culturel qui ne semble point prendre fin, au point où, Tiaret, Mascara, El Bayadh, Saida et d’autres, évoquent dans l’inconscient collectif national et d’une façon presque automatique "inchighalat filahiya wa raawiya" (préoccupations agropastorales). D’autres iront à dire que ce genre de festivités antiproductives est un moyen de gaspiller l’argent public et transmettent une image inexacte de joie là où il n’y a que désespoir, désarroi et disparités sociales flagrantes qui pèsent sur notre quotidien.
Me concernant, je serai encore plus content de voir notre chère Ghardaïa réputée et connue pour être la capitale des énergies renouvelables plutôt que celle de la "zarbiya" exclusivement, idem pour Oran, Mascara, Saïda, Médéa, Tizi-Ouzou, Sétif ; je refuse que nos régions soient réduites à de vulgaires clichés culturels réducteurs, à l’exemple de Tiaret, première capitale de l’Algérie, où fut frappée la 1ere monnaie de l’Algérie moderne, où fut rédigée la première correspondance au roi de France, où Ibn Khaldoun écrivit son célèbre livre Les Prolégomènes, où naquit Jaques Berque qui légua sa bibliothèque à sa Frenda natale et notre si belle Mascara, ville de l’Emir Abdelkader, père incontesté de l’Algérie moderne, ville native d’Abi Ras Naciri, savant qui, a lui seul, totalisa 136 ouvrages, touchant pratiquement à tous les domaines allant de l’histoire, l’astronomie, la géographie et bien d’autres disciplines, qui prouvent que la vie scientifique et culturelle en Algérie était plus active et prolifique que maintenant. Saida qui fascinait et enchantait de célèbres écrivains et non des moindres, Jules Verne dans son roman, Clovis Dardentor, Guy De Maupassant dans son Au Soleil (1888), recueil de voyage où Saida fut mentionnée avec émerveillement, cette ville qui à vue naître à Ahmed Medeghri, à Marcel Lascar médecin, créateur de SOS Médecins, à Jean Michelle Alberola, le célèbre homme d’Art et de culture. Notre chère, brave et révolutionnaire Kabylie, celle de Mohammad Al Mokrani, Lalla Fatma N’Soumer et Cheikh Aheddad et j’en passe. En fait, chaque centimètre de mon pays recel de ressources économiques, académiques, respire l’histoire, la culture et la générosité, il serait injuste de l’amoindrir à quelque chose de si futile, si réducteur, combien même fût-elle d’ordre culturel.
Ce n’est pas bien pour le moral collectif des Algériens, déjà mis à plat par cette gestion chaotique et stupide de la chose publique que, de réduire toute une région à si peu de chose, un "cheval", une "zarbiya" et pour quoi pas à une "patate", une "datte" ou une "olive" (si l’on approuve cette logique et la démarche qui en découle!) au point d’en devenir son label identitaire caricatural, éclipsant sa splendeur culturelle, scientifique ou historique et surtout ses problèmes de développement et venir par la suite leur bouffer les sous, dans des festivités et des célébrations qui feront sûrement des heureux, mais ce qui est sûr, pas ceux de la région.
Depuis l’indépendance, on nous a sonné les oreilles en nous disant que les Algériens sont égaux, qu’il n’y avait aucune différence entre ceux de l’est, du centre, de l’ouest et ceux du sud, on a grandi à l’idée d’égalité entre régions, entre ethnies, que l’islam nous a rendus tous frères depuis des siècles déjà, que notre glorieuse guerre de libération nous a baptisé dans le sang et la douleur, que la république algérienne démocratique et populaire nous a fait des concitoyens, mais au moment d’attribuer les postes, les dividendes, chacun revient à son bercail, à sa tribu, à sa région, ou son clan, on est plus Algériens au même pied d’égalité à ce moment là, du moins au sens apprit dans notre jeunesse. Et comme disait ma grand mère : "La caravane appartient à tous mais, chacun garde l’œil sur ses chameaux". N’est-ce pas ? Merci de nous avoir menés en bateau.
A un moment donné, lorsqu’un wali s’installait, il prenait soin d’emmener avec lui toute sa "hachiya ,son équipe de la wilaya antérieur, le ministre faisait pareil, la présidence n’échappait pas à cette règle, l’idée d’être entourer par les siens, de gens de confiance, réchauffe le cœur, on se sent bien tranquille de travailler avec des gens qu’on connaît ou qu’on croit connaître, ironie du sort, on n'est pourtant jamais trahi que par les siens. "Seigneur protège moi de mes amis, quant à mes ennemis je m’en charge", disait Voltaire.
L’approche régionaliste du développement national est désastreuse. Ainsi, pour développer Mascara, il faudra peut-être élire un président mascarien, Tiaret, un Tiareti, Sétif, Tizi, Adrar, un Staiifi, un Chawi, un Kabyle ou un Adrari, et si chacun consomme 3 mandats consécutifs pour favoriser le développement que de sa région, multiplier par le nombre 48 de nos wilayas, tout calcul fait, on aura besoin de : 5 (années) x3 (mandats) x48 (wialyas)= 720 ans pour arriver à développer tout le pays, malheureusement le pétrole, le gaz ne vous attendra pas si longtemps.
Ce régionalisme répugnant qui hache l’identité algérienne en sub-entités culturelles, qui nous divise en une Algérie gouvernante, une Algérie productrice et financière, une Algérie cultivée et raffinée, une autre danseuse et chanteuse, ou l’autre paysanne, c'est-à-dire, en une Algérie utile et une autre inutile et qui joue dangereusement sur les cordes culturelles, cultuels et régionalistes, additionné aux marasme de la mal-vie des Algériens, ça vous donne un effroyable cocktail explosif qui menace la cohésion sociale et ethnique du pays, alors de grâce cessez de jouer à cet instrument de la discorde.
Mourad Chaalal
Commentaires (1) | Réagir ?
Une "théorie de l'absurde", mais "théorie" quand même. L'Omnipotence de Dieu nous confine dans notre conviction, dans notre foi que l'absolu est soumis à Dieu. Si l'on cherche comment ça marche, sur une planète où il y a des nordistes, des sudistes, des noirs, des blances, des rouges, des jaunes, des croyants des athées, des riches, des pauvres c'est peut être à cause d'un principe élémentaire, fondamental, que nous ne maitrisons malheureusement pas : c'est l'Equité.