Le FFS et la question électorale : bilan d’une stratégie calamiteuse (II)
Nous poursuivons la publication du deuxième volet de l'étude qu'a consacrée le Dr Ramdane Redjala au Front des forces socialistes.
"Elections" présidentielles 16 novembre 1995 : le FFS boycotte
Porté par ses pairs au sommet de l’Etat le 30 janvier 1994, le général Liamine Zeroual a besoin de renouer avec les urnes pour donner un semblant de légitimité à son pouvoir. Cette élection" s’inscrit dans cette stratégie. Outre sa candidature, trois chefs de partis, Noureddine Boukrouh pour le Parti du renouveau algérien (PRA), Mahfoud Nahnah (Hamas) et Saïd Sadi Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) se lancent dans une compétition jouée d’avance.
Le patron du FFS, Hocine Aït Ahmed, dénonce par contre ce scrutin et qualifie ces trois derniers de figurants. Son boycott s’explique par le refus catégorique du pouvoir de prendre en considération le contrat de Rome dont il a été la cheville ouvrière d’une part et par l’échec de ses efforts à vouloir réintégrer le FIS, son allié objectif du moment, sur la scène politique algérienne. Intervenant sur les ondes de Médi 1, il déclare : "L’armée offre aujourd’hui une hypothétique élection présidentielle, en guise de reprise du processus électoral. Il s’agit, en réalité, de tout autre chose : on ne pourra que plébisciter un homme ou un autre, choisi dans le sérail. Tant que ce scrutin intervient dans un cadre totalitaire, le processus électoral ne peut être démocratique. Il serait seulement la préfabrication politique et technique d’une élection dont le résultat est établi d’avance". Le Matin 16 février 1995. Bénéficiant du soutien de l’armée et de l’administration, Liamine Zeroual est "élu" avec 61.01% des suffrages exprimés.
Référendum constitutionnel du 28 novembre 1996 : Le FFS et le RCD boycottent
Par cette consultation, le général Liamine Zeroual poursuit sa politique de normalisation et de légitimation du régime issu du coup d’Etat feutré de janvier 1992. Pour cela, il octroie une nouvelle constitution au pays. Celle-ci ne diffère guère de celles qui l’ont précédée. Le fameux article 2 de la Constitution stipule toujours que l’Islam est religion d’Etat. Les deux partis dits "kabyles" la dénoncent pour des raisons différentes et appellent à voter non. Pour le FFS, la nouvelle constitution tend à installer "une dictature constitutionnelle" alors que pour le RCD, elle consacre "l’alliance du pouvoir avec les islamistes et les conservateurs". Malgré l’appel de nombreux partis à voter non, y compris l’ex-FIS, les mœurs électorales algériennes ont permis l’adoption de la constitution Zeroual à 85.81% de oui avec un taux de participation de 79.80%.
"Elections" législatives 5 juin 1997 : le FFS et le RCD participent
C’est dans un climat de violence et de massacres collectifs que se préparent les premières législatives pluralistes depuis celles interrompues le 11 janvier 1992. Pour pallier à une Assemblée dissoute une semaine avant la «démission» de Chadli, Mohammed Boudiaf crée par décret, le 4 février, le conseil consultatif national, une sorte d’assemblée bidon. Celui-ci sera à son tour remplacé sur décision de Liamine Zeroual par le conseil national de transition (CNT) le 18 mai 1994. En prévision du scrutin du 5 juin, il est dissous dimanche le 18 mai.
Malgré les conditions antidémocratiques, les nombreuses fraudes, irrégularités et autres manipulations prévisibles, la plupart des partis de l’opposition avaient décidé d’y participer. Le chef du RCD, Saïd Sadi, l’avait annoncé dès le 13 février sur la radio communautaire parisienne Beur-FM : "Nous tranchons en faveur du principe de la participation, parce que le pays ne peut s’accommoder d’une désertion des forces démocratiques, tout en connaissant les risques que peuvent accompagner une opération électorale en Algérie actuellement" AFP. S’agissant du FFS, après avoir longuement hésité, il annonce sa participation le 14 avril qu’il justifie d’ailleurs en déclarant vouloir «faire campagne pour la paix» et non en vue d’obtenir des sièges au parlement.
Implantés essentiellement en Kabylie, ces deux partis rivaux vont se mesurer sur le terrain. Maître du jeu, le pouvoir qui joue l’arbitre a su finalement les départager équitablement. Chacun a reçu le même quota de sièges : 19. Le grand gagnant de cette consultation n’est autre que le nouveau parti de Liamine Zeroual, le Rassemblement national démocratique (RND) surnommé ironiquement "le bébé moustachu" par les Algériens. Créé quelques mois plus tôt par son ami Mohammed Betchine ex-chef des services spéciaux et par Abdelhak Benhamouda secrétaire général de l’UGTA, il a eu 155 sièges. A l’annonce des résultats, le FFS comme le RCD se sont contentés de protester verbalement.
Elections présidentielles anticipées du 15 avril 1999 : le FFS participe, le RCD boycotte
Le mandat présidentiel du général Liamine Zeroual aurait dû aller jusqu’à terme en novembre 2000. Mais pour des raisons qui ne sont toujours pas clarifiées – il devait semble-t-il faire face à des pressions venues de la part de ses pairs de l’armée – il a donc décidé de l’écourter. Le 11 septembre 1998, il annonce à 20h dans une allocution télévisée sa démission et l’organisation des "élections" présidentielles anticipées au cours du premier semestre 1999. Apparemment, celles-ci semblent se présenter différentes des précédentes en raison des engagements de transparence pris d’une part par le chef de l’Etat et d’autre part par le chef d’état-major de l’armée, Mohammed Lamari. Il n’en sera évidemment rien puisque ce scrutin connaîtra les mêmes fraudes et autres irrégularités massives. Une commission parlementaire a enquêté sur ce phénomène et rédigé un rapport non publié dans lequel elle a recensé 37 pratiques de fraude. Il ne sera pas facile de se débarrasser des habitudes prises depuis si longtemps.
Hocine Aït Ahmed candidat
Alors qu’il avait boycotté la présidentielle du 16 novembre 1995, cette fois il s’y prépare activement. Interrogé sur ce point par La chaîne d’information (LCI), il répond : "Je n’exclus rien. Toutes les options sont ouvertes et je crois que mon histoire a prouvé que je prends des décisions assez rapidement".
Hormis son incursion de quelques jours lors du 2ème congrès de son pari en mars 1996, c’est la première fois qu’il quitte son exil volontaire helvétique depuis l’assassinat de Mohammed Boudiaf. Le leader du FFS arrive à Alger mardi le 2 février. Pour justifier sa participation aux présidentielles, il déclare : "Cette fois, c’est différent. En 1995, avec Liamine Zeroual comme candidat, on savait que les jeux étaient faits. Aujourd’hui pour la première fois, une alternative existe…" Le Monde 7 et 8 février 1999. Et afin de limiter les fraudes, le patron du FFS suggère "la venue le plus rapidement possible de milliers d’observateurs de pays démocrates et non un festival arabo-africain avec des personnes qui auraient décidé par avance que les élections sont transparentes…J’en appelle aux partenaires de l’Algérie, à la France, car c’est en partie à cause de leur laisser-faire qu’i y a eu trucage lors des scrutins précédents." Le Monde 7 et 8-02-1999 La réponse est venue du porte-parole du ministère des Affaires étrangères en déclarant qu’il "n’y aura pas d’observateurs internationaux pour superviser l’élection présidentielle d’avril prochain." Liberté 12-01-1999.
Ce refus catégorique n’a pas empêché Hocine Aït Ahmed de se porter candidat contrairement à Saïd Sadi qui a fait de la présence des observateurs étrangers, à tort ou à raison, une des conditions de sa participation. Avant même l’ouverture officielle de la campagne électorale, le leader du FFS s’est déplacé dans plusieurs villes de l’intérieur. A chacune de ses visites, il explique que son but «n’est pas d’arriver au pouvoir mais de contribuer au rétablissement de la paix et de la sécurité et au retour de l’espoir.» Le Matin d’Algérie 1er mars 1999.
Pour diriger sa campagne, il fait appel à Djamel Zenati. Ce choix est loin d’être fortuit. Ancien dirigeant des «commissions nationales», une des tendances du Mouvement culturel berbère (MCB) proche de son parti, il était déjà tête de liste lors des législatives du 5 juin 1997 à Bejaïa. Professeur de mathématiques au lycée d’Akbou, ce quadragénaire défend l’idée selon laquelle qu’il «n’y a pas de démocratie sans tamazight». La Tribune 3-03-1999. Or, le FFS comme d’ailleurs son rival le RCD, se sont tous les deux totalement désengagés de la question berbère qu’ils n’hésitent pas à manipuler à l’occasion. Interrogé par la télévision libanaise (LBC), Hocine Aït Ahmed estime que «la constitutionnalisation de tamazight n’est pas une priorité». El Watan 2 et 3-04-1999. En confiant à Djamel Zenati la direction des opérations, il fait des yeux doux à la mouvance berbère.
Une fin de campagne prématurée
Dans la nuit du samedi 3 à dimanche 4 avril, le candidat du FFS est victime d’un grave malaise cardiaque provoqué par une insuffisance coronarienne. Pour lui, l’aventure présidentielle s’arrête là. Soigné au centre national de la médecine du sport (CNMS) de Clairval, ses médecins suggèrent son transfert «vers une clinique spécialisée à Genève pour un complément d’investigation». El Watan 7-04-1999. Ainsi, pendant près de deux semaines, c’est son directeur de campagne, Djamel Zenati, qui, au pied levé supplée à l’absence du chef. Sans le vouloir, il se trouve projeté sur les devants de la scène politique et médiatique. Aujourd’hui, il est l’un des adversaires les plus déterminés à dénoncer et à combattre les dérives de la nouvelle direction installée en novembre 2011. Après Tizi Ouzou et Boumerdès, c’est à Alger place des martyrs qu’il clôt la campagne électorale.
Les six candidats menacent de se retirer
Alors que les opérations de vote ont déjà commencé dans le sud, les adversaires Bouteflika, scandalisés par le soutien de l’armée et de l’administration dont bénéficie ce dernier menacent de ne pas prendre part au scrutin. En effet, devant l’ampleur des irrégularités qui s’annoncent, Djamel Zenati pour Aït Ahmed, Abdallah Djaballah, Mouloud Hamrouche, Ahmed Taleb Ibrahimi, Youcef Khatib et Mokdad Sifi signent un communiqué commun dans lequel ils font observer que : «la fraude a déjà commencé dans les bureaux itinérants et les bureaux spéciaux. C’est pourquoi nous demandons l’annulation des résultats dans ces bureaux. Compte tenu de la gravité de la situation, nous avons demandé une audience urgente à Mr le président de la République. A l’issue de cette audience nous adopterons une position finale». A la veille de quitter le pouvoir, L. Zeroual désire avant tout mieux gérer sa sortie que ne l’avait fait Chadli en 1992. Il refuse d’intervenir dans une élection contrôlée du début à la fin par la police politique, le DRS. Devant cette fin de non-recevoir, les six candidats annoncent leur retrait définitif lors d’une conférence de presse mercredi le 14 avril. «Nous enregistrons la persistance du pouvoir à dénier aux citoyennes et aux citoyens leur droit de décider de leur avenir et de choisir leur président, et nous le rendons responsable de ce qui en découle. […]. Nous décidons notre retrait collectif de l’élection présidentielle et la non-reconnaissance de la légitimité des résultats de ce scrutin, et nous appelons à cet effet au retrait de nos représentants dans les bureaux de vote et dans les commissions de surveillance à tous les niveaux.» Le Monde 16 avril 1999.
Le chef de l’Etat réagit le soir même dans une allocution télévisée en affirmant que les élections se poursuivront «dans des conditions de transparence, d’équité et d’ouverture.» Une autre réaction pour le moins surprenante est venue du président de la commission nationale indépendante [sic] de surveillance des élections présidentielles (CNISEP), Mohammed Bedjaoui. L’homme n’a pas quitté les rouages du pouvoir depuis l’indépendance. Il a donc servi tous les régimes. Dans une interview au mensuel France-pays Arabes N°252, il désavoue l’action des six. «J’ai été catastrophé. Ils n’avaient pas le droit de se retirer à l’occasion du premier tour. Juridiquement parlant la constitution ne leur permet pas …» Minimisant la fraude pourtant exercée à une échelle industrielle notamment dans les bureaux itinérants et au sein des corps constitués (armée, gendarmerie, police, pompiers et gardes communaux), le même Bedjaoui ajoute : «Jamais en Algérie, il n’y a eu des élections aussi correctes, même si elles ne le sont pas à 100%, puisque j’ai déjà dit que partout dans le monde, il existe des cas de fraude.» Il conclut : «Pour moi les élections ont été faussées, mais par la faute du retrait des six candidats.»
Resté seul en lice, Bouteflika est «élu» comme d’habitude à la soviétique avec 73,79% des voix. Depuis, il a été reconduit à deux reprises et malgré une santé défaillante, ses proches manœuvrent déjà pour un quatrième mandat en 2014.
"Elections" législatives 30 mai 2002 : le FFS et le RCD boycottent
Ce deuxième rendez-vous électoral législatif depuis celui interrompu le 11 janvier 1992 intervient à un moment où la Kabylie est en conflit ouvert avec le pouvoir central d’Alger. En effet, le 18 avril 2001, à la suite d’un attroupement dû à un accident de voiture, un lycéen, Massinissa Guermah, est arrêté par les gendarmes puis froidement assassiné dans l’enceinte même de la brigade d’Ath Douala (wilaya de Tizi Ouzou). Le lendemain, c’est à Oued Amizour (wilaya de Bejaïa) que d’autres gendarmes interpellent brutalement des collégiens alors qu’ils se rendaient à une séance de sport en compagnie de leur professeur. Ces deux incidents déclenchent un véritable soulèvement dans l’ensemble de la Kabylie. Surpris par l’ampleur des émeutes et la violence de la répression, les deux partis dits kabyles, le FFS et le RCD, peinent à prendre le train de la contestation en marche. Dépassés par le mouvement spontané qui s’est donné démocratiquement des structures horizontales - les archs- et de nouveaux leaders, l’un et l’autre tentent désespérément de le récupérer. Leurs manœuvres ont échoué car leur but n’était pas d’accompagner le mouvement pour le consolider mais pour le manipuler à des fins partisanes. Dès lors, le fossé s’est creusé un peu plus entre ces deux partis et la population. Ils ne retrouveront une certaine influence que quelques années plus tard. Le bilan de ce soulèvement s’élève à 127 morts, des milliers de blessés, d’arrestations.
C’est dans ce climat de révolte contre un pouvoir inique et répressif que l’échéance législative survient. Fort du soutien et de la confiance de la population, le mouvement des archs décide de les boycotter et de s’opposer à tout scrutin en Kabylie tant que les autorités rejettent toute discussion sur la base de la plate-forme d’El Kseur. N’ayant aucune prise sur la réalité du moment, le FFS et le RCD n’avaient d’autre choix que d’aller dans le sens du boycott prôné par les archs. Contrairement au reste du pays, il n’y a pas eu de législatives en Kabylie. Ce sont essentiellement les membres des corps constitués gendarmes, policiers, militaires et leurs familles qui ont pu voter soit moins de 2%. Le 13 juin, Hocine Aït Ahmed adresse un document au «onseil national» de son parti. Conformément à son habitude, il tente de récupérer le succès du boycott mené essentiellement par les archs qu’il abhorre. Rappelons que seule la Kabylie dont il refuse de citer le nom a observé cette grève du vote. «Le non massif et catégorique à la «mascarade législative» constitue un véritable tournant dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Non seulement en raison de ses effets internationaux de dévoilement et de vérité, mais parce que les Algériens et les Algériennes se sont rendus libres et ont vérifié leur force par acte de dissidence citoyenne nationale et pacifique.» Fondation et Institut Hocine Aït Ahmed 13 juin 2002.
Que les Kabyles soient des Algériens, personne ne peut nier cette évidence. Ils ont même chèrement payé ce droit, mais de là à généraliser le soulèvement de la Kabylie à l’ensemble de l’Algérie constitue une escroquerie intellectuelle que l'homme de Lausanne franchit allègrement. Toujours dans le but de tirer la couverture vers soi, il incite ses camarades à exploiter «ce tournant politique. Le FFS doit le prendre très au sérieux, par des révisions essentielles dans ses structures, son fonctionnement et sa capacité d’ouverture sur les franges de la société laissées pour compte.» Fondation et Institut HAA 13 juin 02. Malgré les apparences, le vieux leader persiste dans ses habitudes et ses errements : quatre mois plus tard, il imposera à son parti des positions totalement contraires.
"Elections" aux APC et APW du 10 octobre 2002 : les archs et le RCD boycottent
En participant à ce scrutin dans une Kabylie réprimée, le FFS vole au secours de Bouteflika et règle ses comptes aussi bien avec les archs qu’avec le RCD. Alors qu’il avait boycotté les législatives du 30 mai, contre toute attente, Hocine Aït Ahmed ordonne à son parti de prendre part aux "élections" locales malgré le climat explosif qui règne dans la région depuis 18 mois. Mais le patron du FFS n’est pas à une contradiction près.
Dans un long message, paru sous forme d’un placard publicitaire dans la presse algérienne, souvent confus, intitulé "De l’importance de conquérir le pouvoir local ou pourquoi la guerre fait rage au sein du régime entre le clan supra-présidentiel et le clan présidentiel" Le Matin 19 septembre 2002, il entend justifier son virage électoraliste. Faisant allusion aux querelles qui agitent les décideurs selon lui, il écrit : "Le clan «supra-présidentiel» veut interrompre ces élections locales pour signifier au clan «présidentiel» que s’il daigne permettre au chef de ce dernier de terminer son mandat, par contre, il tient à lui rappeler, ici et maintenant en s’opposant à ce scrutin, qu’il ne tolérera pas un deuxième mandat." Ibid. Pures supputations qui permettent au zaïm de cultiver ses ambiguïtés puisque quelques lignes plus loin, il explique que les deux clans sont d’accord sur l’essentiel. En fait, ce qu’il ne pardonne pas aux archs, c’est d’avoir réussi à mobiliser pacifiquement et massivement la Kabylie ce qu’il n’est jamais parvenu à réaliser. Par haine à leur égard, il choisit délibérément de s’allier avec le régime.
En participant à ce scrutin de la honte, il a divisé la Kabylie et conforté les décideurs. En quatre mois, sans qu’aucun évènement significatif ne soit intervenu, il a renversé totalement sa tactique. Rien ne pouvait justifier à coup de poignard dans le dos de la Kabylie. Cultivant l’ambiguïté, il n’hésite pas à écrire que ce scrutin ne vise à long terme qu’à "détruire toutes les forces politiques et sociales de la région." Le Matin 19 septembre 2002.
Dans ces conditions, les citoyens kabyles ont pour le moins du mal à saisir cette décision de voler au secours d’un Bouteflika qui n’a manifestement d’autre but que de casser une dynamique qui échappe à sa mainmise. Clairement, Hocine Aït Ahmed fait des archs et du RCD ses principaux ennemis et du régime son allié objectif. Pour récupérer le soulèvement kabyle, il ne recule devant aucun mensonge politique. "La dissidence citoyenne nationale et pacifique, a démontré votre volonté de ne pas baisser les bras devant une minorité nécrophile [archs]…Protéger les populations civiles sera la priorité dans votre gestion, il faut maintenir avec elles un lien de confiance permanent." Le Matin 19 septembre 2002. Malheureusement pour l’Algérie, le soulèvement de la Kabylie n’a pas dépassé les frontières de la région et n’a pas trouvé hélas de relai dans le reste du pays.
Cet énorme décalage entre la réalité que vit la Kabylie et le leader de Lausanne exaspère la population qui réagit en saccageant certaines permanences du FFS. Au lieu de procéder à un examen critique de ses positions et corriger le tir, il accuse les déçus de son parti de "professionnels du Département recherche et sécurité (DRS) ex-sécurité militaire." Décidemment, Hocine Aït Ahmed n’a rien appris de l’histoire. Il ne fait que reproduire en pire les méthodes périmées de son premier mentor, Messali Hadj. Dès lors, il ne faut point s’étonner que son parti soit secoué par des crises répétitives.
"Elections" présidentielles du 8 avril 2004 : le FFS boycotte, le RCD participe
Six candidats sont en lice pour briguer la fonction suprême. En réalité seuls deux hommes issus du sérail se livrent un véritable duel : Ali Benflis ancien ministre de la justice puis premier ministre et Abdelaziz Boutéflika qui postule à sa propre succession. Les quatre autres, Abdallah Djaballah, Louisa Hanoune, Ali Fawzi Rebaïne et Saïd Sadi sont perçus comme des candidats de témoignage. S’agissant du FFS, après avoir dénoncé ce pluralisme de façade, il appelle "à un boycott massif et actif du scrutin… pour faire échec à la politique d’asservissement du peuple algérien." Le Matin 5 mars 2004. Deux raisons principales expliquent le refus de s’impliquer dans cette compétition. La première concerne l’âge avancé (78 ans) de son inamovible leader, Hocine Aït Ahmed, ainsi qu’à son état de santé. Déjà en avril 1999, victime d’un grave incident cardiaque, il dut interrompre brutalement la campagne électorale. N’ayant pas confiance dans la médecine algérienne, il est "rapatrié" de toute urgence en Suisse où il se fera soigner. Etoile montante du moment, Djamel Zenati, son directeur de campagne assura l’intérim jusqu’à la veille des élections. La seconde répond à des préoccupations de tactique interne voire même d’égo.
En effet, puisque le "grand timonier" n’est plus, du moins physiquement, en état de conduire une campagne électorale aux meetings harassants, la logique démocratique aurait voulu qu’un autre dirigeant reprenne le flambeau et descende dans l’arène pour défendre les couleurs du FFS. Que nenni ! Une telle démarche conduirait ipso facto à l’effacement du zaïm et donc à l’émergence d’un possible successeur. Ce qui est inconcevable dans un mouvement où le culte du chef est pratiqué à l’excès. Il explique dans une grande mesure l’absence du FFS aux présidentielles de 2004 et 2009.
"Elections" aux APC et APW en Kabylie 24 novembre 2005 : le FFS et le RCD s’engagent
En organisant ce scrutin local anticipé circonscrit à la Kabylie, le pouvoir joue gagnant sur tous les tableaux. Il satisfait à moindre frais une des exigences de ses partenaires dialoguistes des archs, creuse un peu plus le fossé qui sépare le FFS du RCD, entretient et attise les haines entre les principaux acteurs politiques issus de la Kabylie qui se haïssent les uns les autres. Ce qui explique la force de Bouteflika et de ses prédécesseurs. "Son ambition [celle de Boutéflika] de toujours est de normaliser cette région, particulière et symbolique en même temps, vivier du potentiel démocratique en Algérie, allergique à toute tentative d’alignement sur le discours dominant, n’hésitant pas à recourir à la confrontation et à payer le prix du sang lorsque c’est nécessaire", écrit Ali Bahmane dans El Watan du 27-11-2005.
Comme ceux qui l’ont précédé, ce scrutin est rejeté par la grande majorité de la population malgré la présence du FFS et du RCD. Le faible taux de participation 30.6% ne constitue nullement une surprise. Depuis les "élections" du 20 septembre 1962, la Kabylie n’a pas cessé de manifester son hostilité au pouvoir central qu’elle considère illégitime en refusant de cautionner ses mystifications électorales. Par le boycott spontané de ces élections municipales et départementales, les Kabyles expriment non seulement le rejet du système mais en même temps leur défiance à l’égard des leaders locaux puisque 7 électeurs sur 10 ont dédaignés les urnes.
Résultats pour les APC :
Wilaya de Bejaïa
Sur les cinquante-deux communes que compte cette wilaya, le FFS arrive en tête avec 30% des suffrages. Il est suivi par le FLN avec 18% et enfin le RCD qui récolte 16%. En termes d’élus, cela se traduit par 139 pour le premier, 80 pour le second et 72 pour le troisième.
Wilaya de Tizi-Ouzou
Ses 67 communes totalisent 606 sièges à pourvoir. Le FFS distance là aussi ses deux principaux concurrents. Il s’adjuge 188 " élus" soit 31%. Il est talonné cette fois par le RCD avec 139 élus soit 22.9% et enfin le FLN avec 125 élus soit 20.6%.
Résultats pour les APW
Dans la wilaya de Béjaïa, le FFS caracole en tête avec 42% soit 18 élus sur les 43 sièges à pourvoir. Le RCD en deuxième position avec 23% soit 10 élus suivi du FLN avec 16% soit 7 élus. S’agissant de la wilaya de Tizi Ouzou, sur les 47 sièges, le FFS a conquis 15 tandis que le RCD et le FLN disposent respectivement de 11 sièges chacun. L’avance que conserve momentanément le FFS sur ces deux principaux rivaux (FLN, RCD) s’explique par une longue implantation qui remonte à septembre 1963. Pendant très longtemps, le parti de Hocine Aït Ahmed a été le seul adversaire du pouvoir FLN en Kabylie. Depuis 1989, ce rôle quasi hégémonique est remis en cause non seulement par le RCD et le retour du FLN mais aussi par de nouveaux partis tels que le RND, le MPA ex-UDR mais surtout par le remuant Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) qui occupe un créneau délaissé par tous. Enfin, malgré son échec, le mouvement des archs a pendant deux ans marqué profondément l’histoire récente de la région. Son émergence spontanée et la forte influence qu’il a exercé pacifiquement sur la population constituent autant de menaces pour la survie d’abord du FFS et accessoirement du RCD. Cette trouille a poussé Hocine Aït Ahmed et ses apparatchiks à réagir d’une manière virulente voire même irraisonnée.
Ramdane Redjala
L'auteur est docteur ès Lettres, spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Il a écrit notamment L'opposition en Algérie depuis 1962 paru chez Rahma.
Lire aussi :
Le FFS et la question électorale : bilan d’une stratégie calamiteuse (I)
Le FFS et la question électorale : bilan d’une stratégie calamiteuse (III)
Le FFS et la question électorale : bilan d’une stratégie calamiteuse (IV)
Commentaires (5) | Réagir ?
Bonjour de Montreal,
Franchement, Docteur es lettres. " le resident de Lausane" ecrire une telle phrase est un signe de votre subjectivite. Je suis d'accord que les parties politiques en Algerie sont nuls, mais aidez les plutot a trouver des solutions a cette Algerie tiers mondiste. Je lis souvent le matin. dz a Montreal. S'il vous plait choisissez vos auteurs et vive la liberte d'expression sans subjectivite.
dommage ce parti aurait pu sauver l'Algerie, s'allier au RCD et en finir avec ce regime, il a prefere s'allier à rien qu'à ses interets