France : le gouvernement tente de s'attaquer aux salaires des grands patrons du privé
Après avoir accouché dans la douleur d'un projet pour limiter les salaires des grands dirigeants du public, le gouvernement s'attaque au domaine privé. Un coup de barre à gauche qui ne va pas sans poser des difficultés d'ordre pratique.
Après le public, le privé ? Un projet de loi pour encadrer les salaires des grands patrons devrait voir le jour "avant l'été", a confirmé Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement ce jeudi sur LCI. Présentée comme la suite logique du coup de rabot appliqué au public à l'été 2012, cette promesse de campagne deFrançois Hollande est revenue sur le devant de la scène cette semaine. Jean-Marc Ayrault l'a ressuscitée, lui aussi, à la tribune de l'Assemblée nationale ce mercredi. Vraie annonce suivie d'effet, ou poudre aux yeux?
"Il a fallu un référendum suisse pour que le gouvernement se bouge", résume Martine Billard, co-présidente du Parti de Gauche, faisant référence à la votation organisée le 3 mars dernier en Suisse et destinée à limiter les "rémunérations abusives" des patrons. Initiative plébiscitée par les citoyens helvètes et saluée en France. Le Premier ministre s'était enthousiasmé pour un "excellente expérience démocratique" dont il faut "s'inspirer", tandis que le chef des socialistes français, Harlem Désir, s'enflammait en lançant: "Vive les Suisses!"
Le gouvernement veut sans doute retrouver un visage plus de gauche
Ces réactions ont eu de quoi étonner Martine Billard qui se souvient que "le PS nous a éconduits par le passé, quand nous portions la proposition d'un salaire maximum ne pouvant excéder 20 fois le salaire minimum." Mais ce projet de loi correspond à l'air du temps: les Français y sont favorables à 83%, d'après un sondage Tilder-LCI-Opinionway publié début mars. Sorti de la manche de l'exécutif à un moment fort opportun (dégringolade dans les sondages, grogne à sa gauche contre l'accord emploi...), il pourrait lui permettre de "retrouver un visage plus de gauche" selon la responsable du Parti de Gauche.
Du "patriotisme" des dirigeants
Le texte promis ne sort cependant pas de nulle part. A l'été 2012,la rémunération des patrons du secteur public a été plafonnée à 450 000 euros par décret, et l'équivalent dans le privé était présenté comme la suite logique. "Je crois au patriotisme des dirigeants, qui peuvent comprendre que la crise suppose l'exemplarité des élites politiques et économiques", estimait alors Jean-Marc Ayrault, sans restreindre son propos au secteur public. Depuis, deux députés (un PS et un UMP) ont remis un rapport à ce sujet le 20 février, espérant alimenter la réflexion en cours.
Car rien n'est fait... Le précédent dans le public l'a montré, il ne s'agit pas de prendre des ciseaux pour couper tout ce qui dépasse du "salaire maximum" fixé à 360 000 euros dans un spot de campagne de Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de Gauche à l'élection présidentielle.
Dans le domaine public déjà, raboter les plus hauts salaires avait tenu du casse-tête. Exemple: en pratique, la coupe décidée s'applique aux seuls mandataires sociaux, pas aux plus hauts dirigeants dont le salaire est pourtant parfois supérieur... mais lié à un contrat de travail. Michel Sapin, ministre du Travail, en convenait lui-même: il est "rare, comme ça, en cours de contrat, de baisser les salaires des uns et des autres." Rare et légalement ardu.
"Les détails sont en construction"
Alors comment procéder dans le privé? "Il y aura une loi mais on ne peut pas faire dans le privé ce qu'on fait dans le public, cela va de soi", a convenu Najat Vallaud-Belkacem ce jeudi, ajoutant que "les détails sont en construction". La porte-parole a notamment évoqué l'amélioration de la transparence, en impliquant le conseil d'administration dans la fixation du niveau de rémunération (say on pay). Son avis sera-t-il consultatif ou contraignant? Les avis divergent encore. Et parmi les "détails" sur la table: faut-il interdire les retraites chapeaux, encadrer davantage ou prohiber les stock-options, mettre fin aux parachutes dorés, etc.?
En bref, il ne s'agit pas vraiment là du salaire à proprement parler, mais de tous les éléments annexes qui peuvent représenter jusqu'aux trois quarts de la rémunération totale de certains grands patrons français. "Ces dispositifs inventifs, Bercy les connaît parfaitement", souligne Martine Billard, qui attend autant d'inventivité de la part des pouvoirs publics pour "empêcher le détournement de la loi". Et qui "craint qu'on amuse la galerie pour, finalement, un résultat minime".
Marie Simon/L’Express
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