UGTA/Pouvoir : pourquoi cette relation historique reste indéfectible ?
Pourquoi Bouteflika aura-t-il choisi cette double commémoration du 24 février pour exprimer son amertume et sa colère contre le scandale qui secoue actuellement Sonatrach ?
Il le fait par le biais d’un message qu’il adresse au secrétaire général de l'UGTA et à travers lui l’ensemble des travailleurs tous syndicats confondus. Parce que historiquement le multisyndicalisme qui devait selon les buts avoués permettre une nouvelle forme de participation au sein des entreprises maintes fois restructurées jusqu’à la fermeture pour certaines d’entre elles, n’a pas selon toute vraisemblance donné les résultats escomptés. Les nombreuses corporations créées au lendemain de la promulgation de la loi 90-14 du 02 juin 1990 n’ont pas réussi une émergence effective pour des raisons diverses. Elles continuent de travailler sous forme de groupe de pression face au désordre né du désengagement progressif et maintenant total de l’Etat. Elles n’ont jamais participé ni aux négociations ni aux différentes tentatives de consensus sociaux. Désormais l’équilibre du pouvoir n’a pu se réaliser. On est donc parti d’un syndicat unique pour aboutir en 2013 à la même situation. Pourquoi l’espace politique a été relativement plus réceptif que celui social ? La centrale syndicale assume-t-elle une part de responsabilité dans ce vaste gâchis ? A-t-elle pu surmonter les contradictions en son sein ? Cette situation permettra-t-elle de favoriser les ambitions du gouvernement Sellal ? Autant donc de questions qui appellent en cette commémoration du 24 février une analyse pragmatique. De nombreux analystes sont unanimes quant á la nécessité absolue d’un lien dialectique entre les différents évènements politiques, sociaux et économiques pour mieux négocier la complexité des problèmes humains de la société algérienne (1). Mais avant cela, nous serons contraints de revenir succinctement sur les causes qui ont entravé cette émergence. Pour mieux marquer le poids qui pèse sur la centrale syndicale de l’UGTA, nous partirons de son passé pour mieux comprendre sa situation d’aujourd’hui et pourquoi pas perspective. Nous aborderons la problématique du coût social/ réformes économiques et pourquoi pas aboutir á travers cette modeste contribution á mettre en exergue les éléments á ne pas occulter pour arriver á ce pacte social tant recherché.
Des causes du ralentissement de la réelle émergence plurisyndicale
Sans entrer dans une analyse détaillée, ces causes peuvent se résumer historiquement comme suit :
1- Certains syndicats n’étaient dans les faits que l’excroissance de partis politiques qui ont profité d’une crise aigue qui a affaibli l’immunité du corps social du monde de travail pour enfoncer les entreprises dans des problèmes inextricables. Les pouvoirs publics ont réagi violemment pour interdire carrément ce type d’organisation (2). Il faut souligner au passage que le travail de proximité qui a été entrepris a permis une mobilisation considérable du collectif des travailleurs. Les différentes analyses imputent cela à une capacité extraordinaire de "capter l’indignation et le désarroi" d’une masse désorientée car ils savaient habillement ramener des réponses simples á des questions complexes (3). Ils n’avaient pas besoin, selon ces recherches d’une assise quelconque. Les pratiques de la chari’a suffisaient pour les légitimer.
2- Les procédures de prévention des conflits et de négociation se sont avérées inefficaces. Les grèves durent dans le temps et usent les participants qui désertent les rangs syndicaux car ne croyant plus à son efficacité. Etant donné les enjeux, les acteurs en amont de la relation de travail n’avaient qu’un pouvoir limité et apparent qui ne leur permettait pas de prendre des décisions qui restent à ce jour centralisées. Le pouvoir réel étant ailleurs, les différentes discussions pour ne pas dire négociations tournaient en rond pour aboutir à des pourrissements, souvent au détriment de la base syndicale, à l’exception des secteurs dit névralgiques (4) qui ont toujours eu gain de cause.
3- L’arbitrage dans son sens le plus large a montré une certaine partialité pour favoriser les institutions au nom de "l’intérêt suprême". Il limite les marges de manœuvre pour les moyens de luttes syndicales. Il faut ajouter à cela la lenteur et la non application des décisions de justice qui ont découragé une base qui a certainement d’autres priorités que de militer dans des organisations rendues ainsi stériles. Certains syndicats ont brillé par leur position soit négativiste, soit de principe et cela n’a pas plu à leur base orientée vers le côté strictement matériel.
La centrale face à cette situation
Cette crise dans les relations de travail plurisyndicale a favorisé l’UGTA qui a été et reste à ce jour le seul partenaire des pouvoirs publics. Il a été reçu au plus haut niveau des instances du pays au moment même où il connaissait une crise aigue de sa représentativité : mai 1990, octobre 1990, puis avril 1991 sans compter les différentes tripartites jusqu’à 2012. Des analyses au demeurant très superficielles voire même intentionnelles aussi bien à l’intérieur que de l’extérieur de la centrale tentent en vain d’imputer cela à une forme de pseudo-crédibilité montée par l’Etat pour instrumentaliser sa direction pour des objectifs inavoués. La légèreté de ces analyses réside dans le fait qu’elles ne prennent pas en compte que ce syndicat a toujours été confronté historiquement à un compromis entre des actions politiques et celui d’ordre social et souvent au détriment de ses principes syndicaux et de la mobilisation de sa base. En effet, sa fondation un 24 février 1956 par feu Aïssat Idir visait en plus des objectifs classiques syndicaux de :
- Contrecarrer la naissance d’un syndicat de la tendance messaliste dont les rivalités sanglantes sont très connues dans les milieux de l’immigration en France ;
- Susciter l’adhésion de l’internationale syndicale à la cause algérienne ;
- Toucher le monde du travail pour faire pression sur l’administration coloniale en créant un goulot d’étranglement dans les principales activités économiques : les dockers pour l’import/export, les cheminots pour le transport des marchandises etc.
- Les travailleurs étaient les principaux pourvoyeurs de fonds pour la révolution algérienne surtout en ses débuts.
- Sa position vis- à vis de l’action politique, l’UGTA, l’a affichée ouvertement lors de la grève lancée par le FLN le 28 janvier 1957 qu’il qualifia dans son organe L’ouvrier algérien de grande bataille (5). Cet élan pour la libération de la nation s’était fait au prix du sacrifice de centaines et de centaines de syndicalistes avec à leur tête le principal fondateur qu’ils trouvent tous un hommage solennel en cette commémoration
Ces objectifs ont réussi de rassembler toutes les tendances au sein de cette centrale jusqu’à la libération, nous insistons, politique du pays. Au lendemain de l’indépendance la ligne de conduite syndicale et le pouvoir se sont posés avec acuité. L’éclatement des différentes tendances paraissait logique à partir du moment où l’objectif politique est atteint. A la lecture des mémoires d’un membre fondateur (6), il y avait plusieurs groupes dont deux pouvons-nous déduire posaient un problème particulier :
1- D’abord celui constitué par les militants de l’ex-PPA/MTLD et qui étaient proches de la CGT. Ils militaient pour une autonomie syndicale et donc une indépendance totale à l’égard du pouvoir. "Il avait selon l’auteur cité plus haut, souvenance des contraintes endurées par la CGT du fait du PPA et ne voulaient pas voir renouveler cette expérience."
2- Ensuite les partisans de ce qu’ils appellent le "légalisme" et qui avaient entièrement confiance en le pouvoir en place et qui trouvaient que la lutte contre les Français suffisait pour déterminer l’objectif commun à tout le monde. Un pouvoir libérateur ne peut que bénéficier du soutien total et inconditionnel d’un "oui" acquis d’avance. Selon lui, ce sont malheureusement ceux- là même qui feront une longue carrière dans ce syndicat.
Ce pouvoir en place qui avait opté pour une voie socialiste non pas par idéologie mais par nécessité de développement (7), a pris en compte cette classification pour asseoir sa stratégie. Il s’agit d’un nettoyage du premier groupe qui présentait de nombreuses contradictions avec les objectifs pour la politique de développement national. Il favorisait le second, jugé plus synergique. Une phraséologie bien orientée suffisait amplement pour maîtriser le reste, plutôt électrique et formé par des militants fortement imprégnés d’idées marxistes et prônait la transformation du syndicat en parti politique révolutionnaire et perpétuellement contestataire. La mise en œuvre de cette stratégie, qui a commencé début 1962 a atteint ses objectifs le 20 décembre de la même année avec un lourd tribut payé par des syndicalistes soucieux du libre exercice du droit syndical et pour lesquels, en dépit des circonstances, ils méritent un grand respect pour la revendication de ce principe canonique. Il n’est un secret pour personne que l’UGTA était acquise au FLN avec lui ou malgré lui depuis le début de l’indépendance par un accord dont la teneur a été reprise par l’organe du parti unique El Chaab (8). En effet, on pouvait lire : "Il suffit de rappeler que rien sépare le syndicaliste du militant du FLN pour comprendre et admettre que rien peut opposer l’UGTA au FLN ou le FLN à l’UGTA. Avant d’être syndicaliste, le militant qui active au sein de l’UGTA est d’abord un patriote militant du FLN dont le rôle essentiel est la défense des intérêts de l’ensemble du peuple algérien, donc des travailleurs et des paysans. Si à un moment ou un autre des dissensions ont pu se manifester entre l’UGTA et le parti, elles ne pouvaient en aucun cas revêtir un quelconque caractère de gravité. Crée par le parti (son fondateur le regretté Aissat Idir était membre du CNRA), l’UGTA est un élément constitutif du parti au même titre que les autres organisations nationales." cette déclaration selon notre analyse n’est que le reflet de la tendance qui l’a emporté. En effet, certaines contradictions persistaient au sein même de la centrale mais elles n’étaient pas assez fortes pour se manifester d’une façon ostentatoire. Encore une fois l’action politique a prévalu sur celle sociale mais cette fois-ci la "grande bataille" des travailleurs n’est pas l’indépendance politique mais celle économique. Cette « alliance » aurait pu être rompue suite à la réorientation du développement économique entamé début des années 80 (9) mais la rente pétrolière a réussi d’entretenir un climat social favorable jusqu’à l’explosion d’octobre 88.
La rénovation de l’UGTA et "le génie Benhamouda"
Contrairement aux différentes analyses qui tentent de ramener la "brouille" Benhamouda/FLN pour l’indépendance de ce syndicat à des divergences idéologiques et des manœuvres politiciennes, le bon sens dictera qu’il est pratiquement impossible de faire son apprentissage syndical dans une école sans épouser ses idées maîtresse. Par contre, il est parmi les rares qui ont compris que la situation économique et sociale imposée par une crise multidimensionnelle, ne pouvait plus assurer une alliance : désormais, le parti et l’UGTA ne font plus un comme annoncé précédemment. A cette époque, la rente n’est plus là pour l’assurer. N’ayant plus de croyances communes et plus d’objectifs consensuels, ce syndicat prenait des distances vis-à vis de sa base, il était devenu le royaume des mensonges et de la propagande s’il n’est pas un tremplin pour les promotions rapides et pour les affairistes de pénétrer l’entreprise publique. La situation était telle que qu’il y avait d’une part une maffia politico-financière devenue très influente dans la sphère économique et sociale et un Etat affaibli par une crise brusque mais aigue, un parti FLN complètement discrédité et vidé de toutes ses tendances, un nombre important d’organisation politiques qui "chantent" au passé enfin une masse désorientée par la rapidité des événements. Trouver donc le moyen de canaliser les contestations sociales était un acte non seulement patriotique mais vital pour le pays. L’histoire retiendra que sans ce léger «lifting» de l’UGTA`tiré de l’emprise du parti unique et si on avait laissé la`panique gagner le monde de travail, le pays aurait sans aucun doute sombré dans le chaos total. C’est aussi une action politique qui devrait être faite pour libérer la nation d’un imbroglio idéologique. Il faut reconnaître que la position affichée et sans équivoque de l’UGTA sur la question d’écarter la religion de la politique lui a valu la perte de plus de 400 syndicalistes dont son secrétaire général.
L’évolution de la situation économique depuis l’avènement plurisyndical
Pratiquement, tous les syndicats y compris l’UGTA sont en marge du débat économique dont l’évolution se fait en dents de scie. Bien qu’on parle de réformes depuis 1988, on peut situer le commencement des actions concrètes avec la lettre de confirmation envoyée au FMI en avril 1991 et le début du PAS. Les technicistes des différents gouvernements qui se sont succéds se sont disputés autout de plusieurs approches pour entamer un programme efficace mais en vain car le coût social était présent au centre de toute réflexion. Aujourd’hui le poids des hydrocarbures dans l’économie nationale est devenu un vrai casse-tête, une préoccupation primordiale et un problème sérieux pour les décideurs. La rente pétrolière représente plus 46% du PIB 2012, près de 98% des exportations. La contribution au PIB du secteur industriel ne cesse de diminuer, il est passé de 8,5 en 2003 à 5,3 en 2012. (10) Seules 400 entreprises publiques représentent le parc industriel de l’Etat. L’investissement public pèse 10% du PIB, la production locale hors hydrocarbures ne représente que 39% du PIB et est répartie comme suit : agriculture 8%, BT 7%, industrie 5%, services privés 19% PIB. (11) Les importations ont un poids de près du 1/3 du PIB. On peut donc déduire que la réorientation économique des années 1980 suivie juste après par les événements liés au terrorisme, ont complément déconnecté, voire dévié, les recettes pétrolières de leurs objectifs doctrinaux. Résultat : à part un effort visible entrepris dans l’infrastructure routière, et à quel prix ? Car l’affaire de l’autoroute Est-ouest n’a pas encore livré tous ses secrets, près de 200 milliards de dollars sont déposés dans des banques étrangères sans une idée précise de leur utilisation éventuelle pour le développement national. (12)
Rabah Reghis, consultant et économiste pétrolier
Renvois :
(1) Dr A. Mebtoul «Rente -monopole et logique du pouvoir» El Watan du 20/12/92
(2) Interdiction du SIT excroissance du FIS
(3) S. Cheikhi "Questions ouvrières" Naqd N° 6 de mars 1994
(4) Les travailleurs du groupe Sonatrach ont toujours eu gain de cause contrairement au secteur de l’éducation et l’université qui ont duré parfois jusqu’à une année.
(5) Saddek Hadjres "Grandeur et misère du mouvement syndical Algérien" El Watan 24/02/1997
(6) Boualem Bourouiba "Le mouvement syndical algérien face aux luttes pour le pouvoir" Naqd N° 4 mars 1993
(7) Déclaration du ministre de l’économie de l’époque voir Rasjep n 2 mars 1963 page 90
(8) El Chaab dans sa livraison du 21 décembre 1962
(9) Lire les détails dans notre contribution dans le quotidien El Watan du 15 septembre 2012
(10) Chiffre communiqués par l’ancien premier ministre aux députés de l’APN
(11) idem
(12) Montant estimé par la Banque mondiale.
Commentaires (3) | Réagir ?
Sidi Said ou SS plus vous restez à la tête de l'UGTA plus vous alourdissez votre peine. Vous ne le savez peut être pas que vous êtes d'une connivence parfaite pour taire toute protestas populaire et ce dans le seul but de laisser la pouvoir assoir sa férocité contre le peuple. Vous êtes l'acolyte synonyme du pouvoir et de ses manigances. Votre avenir est triste. Vous ferez mieux de clapser avant d'être jugé.
l' U G T A actuelle, ne partira pas, ne changera pas, tant que le clone du pouvoir F L N, dominera la société, bon gré malgré. Dans un systéme ou la corruption est " institutionnalisée " plus d' inspéction du travail, plus de justice impartiale, puisque tous obéissent aux ordres. Méme s' il subsiste des syndicalistes intégres, les opporunistes alliés du régime, ont toujours le dernier mot pour étouffer toute réactions du monde du travail. Fini le temps ou Mouloud Ouméziane ancien S G de la Centrale Syndicale, l n ' a pas approuvé, le coup d' Etat du 19 juin, ou de Ben Hamouda qui a voulu remettre les pendules a l' heure, assassiné, de crainte de Voir une U G T A forte agir pour les intéréts des travailleurs et non ceux des opportunistes. l' U G T A comme le F L N actuel, sont devenus des caméleons, pouvant se transformer d' un bout a l' autre, de l' extreme gauche a l' extréme droite. Alors ne posez pas de questions et suivez le guide.