Tunisie : Ali Larayedh, un Premier ministre qui ne fait pas l'unanimité

Larayed.
Larayed.

Le ministre de l'Intérieur sortant a été nommé chef du gouvernement. Son bilan au ministère reste pourtant contrasté et controversé. Portrait.

Il est le nouveau Premier ministre tunisien. Dans la nuit de jeudi à vendredi, le Majlis ach-Choura, le parlement interne à Ennahda, a tranché : Ali Larayedh, ministre de l'Intérieur sortant, succédera à Hamadi Jebali. Accepté dans la foulée par le président de la République Moncef Marzouki, il candidatait face à trois autres ministres : Mohamed Ben Salem (agriculture), Abdellatif Mekki (santé) et Noureddine Bhiri (justice), donné favori.

En début de semaine, Hamadi Jebali avait démissionné de son poste après avoir échoué à convaincre son parti dans la composition d'un gouvernement de compétences nationales apolitiques. Jeudi soir, il a fait ses adieux aux Tunisiens dans une allocution télévisée. Celui qui a refusé d'être reconduit à son poste a mis en garde son successeur et l'ensemble de la classe politique, estimant que seul un "gouvernement neutre" était à même de sortir le pays de la crise. Mais Ennahda s'y oppose, prônant la "légitimité" des urnes. La sienne, donc.

Une épaisse moustache noire, le visage encadré d'une fine monture de lunettes, Ali Larayedh a promis, dans une déclaration ce vendredi, de former un cabinet dans lequel se retrouveront "tous les Tunisiens et Tunisiennes", insistant sur l'égalité des sexes alors que le pays traverse sa plus grave crise politique depuis le départ de Ben Ali, le 14 janvier 2011. Ali Larayedh a deux semaines pour former un gouvernement composé d'hommes politiques et de technocrates, avant de le soumettre à l'approbation de l'Assemblée nationale constituante.

Torturé et humilié sous Ben Ali

Originaire de Médenine, dans l'extrême sud du pays, Ali Larayedh est considéré comme un modéré au sein du mouvement Ennahda, dont il est une figure historique. Mais surtout comme "un homme d'écoute" et de "consensus" dans un parti hétérogène aux sensibilités diverses. Dans les années 1980, il avait notamment présidé le conseil de la Choura (parlement interne du parti), avant de prendre les rênes du bureau politique, géré maintenant par son frère, Ameur Larayedh.

Emprisonné sous Bourguiba, cet ingénieur de la marine marchande a subi la répression de Ben Ali dès 1990. Deux ans plus tard, il a écopé de 15 ans de prison, dont plus de 10 en isolement, où il a été torturé et humilié dans une vidéo pornographique qui circule encore sur les réseaux sociaux pour le discréditer. Sa femme a également subi le même sort. Libéré en 2004, Ali Larayedh a représenté le mouvement au sein du "collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés", une plateforme réunissant l'opposition sous Ben Ali.

Bilan contrasté et contesté

Après les élections d'octobre 2011, ce père de trois enfants âgé de 57 ans est nommé ministre de l'Intérieur, service où officient ses anciens bourreaux. "Moi, à ce poste, cela confirme qu'il y a vraiment eu une révolution", confiait-il au Point en septembre dernier, admettant qu'il s'agissait du ministère "le plus difficile à gérer et à réforme ". En janvier 2011, lorsqu'il a essayé d'évincer un ancien cadre des brigades d'ordre public (BOP) poursuivi par la justice pour la répression de l'hiver 2010-2011 avant la chute de Ben Ali, Ali Larayedh s'est heurté aux mécontentements des BOP qui ont protesté devant cette forteresse située avenue Habib-Bourguiba.

"Il a réussi à diriger un ministère qui n'était pas facile du tout", estime Hajer Azaiez, députée Ennahda. Pourtant, son bilan est controversé. Pour certains, la répression des manifestations du 9 avril, l'attaque de l'ambassade américaine, l'usage de chevrotine pour contenir la fronde de Siliana, fin novembre, et l'assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février dernier, entachent le tableau. Si des commissions d'enquête ont été ouvertes, Human Rights Watch pointe le manque de coopération du ministère. Pour d'autres, Ali Larayedh, malgré des accusations de laxisme face aux salafistes, a relevé le défi sécuritaire en multipliant les arrestations, s'attirant même les foudres du chef djihadiste Abou Iyadh. Un avis conforté par les récentes découvertes de cache d'armes et les rafles en pleine nuit dans certains fiefs djihadistes.

L'opposition divisée

Face à cette nomination, l'opposition, qui soutenait l'initiative d'Hamadi Jebali, est divisée. Moncef Cheikhrouhou, député et un des fondateurs de l'Alliance démocratique, estime qu'il est "le candidat le mieux indiqué", relevant que, "maintenant, en Tunisie, ce sont les gouvernements qui tombent et non plus le peuple". Pour Noomane el-Fehri, député du Parti républicain, "cette nomination est un retour en arrière, indépendamment de la personne d'Ali Larayedh". "L'indépendance des ministères de la Justice et de l'Intérieur n'est pas du tout garantie. Et je vois mal comment on va convaincre le peuple et expliquer la neutralité de l'État."

Ali Larayedh aura la lourde tâche de rétablir la confiance des Tunisiens, d'apaiser le climat social et de mener le pays vers de nouvelles élections et l'achèvement de l'écriture de la Constitution.

Avec AFP

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