Tunisie : un moment d’histoire ou un moment historique ?
Le sursaut qu’a provoqué l’assassinat de Chokri Belaïd en Tunisie n’est pas sans nous rappeler la formidable et unanime mobilisation populaire du 22 mars 1993.
Une condamnation ferme et sans appel des assassinats dont venaient d’être victimes Hafid Sanhadri et Djilali Liabès. Nous savons, aujourd’hui, comment la recherche du compromis avec l’islamisme a été préférée à la rupture pour laquelle les Algériens avaient montré leur disponibilité. Trois raisons ont joué dans le sens de cette substitution qui nous a coûté et nous coûte encore :
• La nature étroite et antipopulaire du pouvoir en place, qui le poussait à l’établissement de rapports de contrôle et caporalisation avec la société.
• La faiblesse et la division des forces démocratiques, et des composantes de la société civile, qui sont autant d’ordre conceptuel, que politiques.
• L’appréciation erronée qu’a eue la communauté internationale de la crise algérienne, sous l’impulsion et l’instigation de l’internationale socialiste et de ses relais.
Vingt ans plus tard, la question resurgit en Tunisie. La société tunisienne montre la même fermeté dans sa condamnation de la violence politique. Mais qu’en sera-t-il des prolongements de ce 8 février 2013 ?
L’opposition démocratique et la société civile ont raison de pointer du doigt la responsabilité de l’islam politique dans la dégradation de la situation que traverse le pays. Elles ont raison d’en faire porter la responsabilité au mouvement ultraconservateur (crypto-islamiste) Ennahda (mouvement majoritaire dans la troïka politique au pouvoir) dont le Majliss Echoura a été jusqu’à se solidariser, le 02 février passé, avec des activistes soupçonnés d’avoir causé la mort d’un autre militant politique en octobre 2012 à Tétouane. Elles ont raison de dire que le seul et ultime "tekffir" qu’il peut y avoir est celui de la violence.
Une avancée majeure dans la conception et la conduite d’un processus transitionnel au sein d’une société nord-Africaine est, aujourd’hui, possible en Tunisie. Une grande partie de la classe politique tunisienne est déterminée à mettre hors la loi la violence et l’intolérance et travaille à la convocation d’un congrès national contre la violence et l’intolérance. Un front objectif pour une sortie démocratique et pacifique de l’impasse actuelle dessine les contours saisissables d’une alternative nationale démocratique, républicaine, à la faillite de la troïka au pouvoir. L’assassinat du dirigent du Front populaire semble, il faut l’espérer, précipiter la catalyse d’une alternative patriotique au chaos et à la déflagration.
La transition tunisienne est donc à un tournant crucial. Devant la faillite de l’assemble constituante, devant l’échec de la du pouvoir en place, la Tunisie est en droit de chercher des voies de sortie de crise. Ennahda, il faut le voir et ne pas s’en étonner, s’accroche au pouvoir et tente de figer le rapport de force politique dans l’expression qu’il a eu au moment de l’élection de l’ANC. Elle ne veut pas aller aux élections, et ne peut avancer qu’en reculant. De ce fait, la responsabilité est dans les conditions actuelles celle de toutes les autres forces politiques. Surtout que le regard de la communauté internationale n’est plus celui que nous avons eu à subir dans les années 1990. Les positionnements des forces nationales tunisiennes deviennent la clef de la situation. D’un côté les deux autres formations parties à la troïka, sont dos au mur, et doivent prendre leurs responsabilités : continuer à jouer le rôle de sherpas de Ghanouchi et de son parti ? Ou bien se ressaisir pour intégrer le nouveau consensus patriotique qui se dessine en Tunisie ? Les partis de l’opposition démocrates de leurs côtés sont redevables de la qualité et de la pérennité de leur rassemblement et de leur union.
Le peuple tunisien est devant son destin. Aura-t-il les moyens d’écrire, là maintenant, une nouvelle page de son épopée ? Lui, on le voit, est disponible. Qu’est-ce qu’il en est de ses instruments d’expressions, des partis, des syndicats, des composantes de la société civile… vont-ils jouer leur rôle ?
Mohand Bakir
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