Fédéralisme, régionalisation, autonomie : le concept de région en Algérie
Nous avons entendu récemment le Premier ministre algérien parler de la réhabilitation des "Territoires" tout comme nous avons constaté dans la pratique le regroupement des wilayas en entités culturellement homogènes lors de l’événement "Tlemcen Capitale de la culture islamique" !
Le mot tabou de "Région" qui renvoie au régionalisme, l’un des fondements historiques et pratiques du pouvoir central, n’est pas encore utilisé mais une prise de conscience de l’importance des régions se fait jour chez les hauts décideurs de ce pays verrouillé par le souci doctrinal de "l’équilibre régional" tel que pratiqué à l’époque de Houari Boumediene, au temps béni des souks el fellahs et des villages de la révolution agraire.
Fédéraliser l'Etat algérien, régionaliser le pays en plusieurs collectivités territoriales fiables, accorder l'autonomie à des entités géographiques délimitées, historiquement marquées, décentraliser les structures administratives de l'Etat, voilà des visions politiques modernes révolutionnaires qui, au-delà des formes, fondent la même virtualité, le même projet, celui du nécessaire aménagement administratif de régions économiquement, sociologiquement et culturellement homogènes dans le cadre de l’Etat algérien national, républicain et démocratique.
La crise de l’Etat algérien tient de sa culture jacobine. L’hypercentralisation, même corrigée par une timide déconcentration territoriale, a atteint son seuil de contre-productivité.
La bureaucratie et l’autoritarisme, corollaires de la centralisation, ont généré la paralysie des institutions qui fonctionnent contre la volonté et les besoins de la population, suscitant la passivité, la résistance et enfin la révolte de régions entières, comme ce fut le cas de la Kabylie et de ses soulèvements cycliques depuis Avril 1980, révoltes qui se généralisent à tout le pays durant la dernière décennie, revêtant les formes de l’émeute fulgurante qui se répand comme un trainée de poudre sur les circuits et les bassins de l’économie informelle.
L’ignorance, voire le mépris, des besoins populaires localement exprimés, l'atteinte aux droits les plus élémentaires des citoyens, le détournement de l'État à des fins mafieuses et la satisfaction égoïste d'intérêts familiaux et tribaux, le recours à la répression pour maintenir l’ordre inique, tous ces effets causés par la nature rentière et la concentration du pouvoir de décision et d’exécution entre les mêmes cercles et les mêmes clans, consacrent la faillite des institutions napoléoniennes héritées de la colonisation française.
La décentralisation administrative territoriale à laquelle les termes autonomie, régionalisation et fédéralisme sont préférés pour des raisons de portée politique, s’impose comme la solution la moins couteuse pour la sauvegarde et la continuité de l’Etat national, républicain et démocratique. Les projections politiques et les constructions intellectuelles échafaudées par les défenseurs de ces utopies salvatrices, promoteurs du fédéralisme, autonomistes ou adeptes de la régionalisation, expriment les divers avatars de la décentralisation administrative. Elles reposent toutes sur le concept de région.
Qu’est-ce que donc la région dans la vision syncrétique de tous ces décentralisateurs ? Aucun projet, à notre connaissance, n’a réellement circonscrit ce concept et défini, dans le contexte algérien, son contenu et sa portée dynamique, ses diverses dimensions humaines, économiques, sociologiques, culturelles et surtout politiques. Notre modeste contribution se propose comme ouverture à cet incontournable débat. Approfondir et rendre irréversible cette option, après que d’autres ont pris l’initiative de casser le tabou du pouvoir monopoliste.
La région est encore un concept au contenu implicite, un fantasme politiquement rentable. On y fourre tous les rêves de liberté, d’indépendance, de citoyenneté retrouvée. Un projet qui nous fait voyager en Catalogne, dans les opulents Länders allemands, dans la confédération helvétique, du côté du lac Leman, aux Etats-Unis d’Amérique, pour butiner le pollen de l’autonomie, puiser la substantifique moelle du fédéralisme et la greffer en Kabylie, dans l’Aurès, le Constantinois, le M’zab, l’Oranie, la Mitidja. Un faisceau d’interrogations s’impose alors à tout intellectuel indépendant, soucieux de contribuer au lancement du processus salvateur de régionalisation.
La dimension géographique des régions et les paramètres de leur délimitation, les données démographiques et humaines, l’économie régionale, la péréquation des ressources et des charges, l’équilibre socio-économique régional, les institutions régionales et leur fonctionnement, la nature du pouvoir central, les formes de sa reproduction dans ce nouveau contexte, ses rapports avec les régions, les relations interrégionales, la répartition des ressources de l'Etat national sur les régions et de nombreux autres axes relatifs à la culture, l'éducation, la santé, le développement durable, l'écologie, les intérêts stratégiques nationaux, les problèmes de sécurité et de défense nationale, la nature et le rôle de l'Armée nationale populaire . . .
De nombreux autres chantiers seront ouverts à la réflexion dans l’élaboration du projet d’un Etat fédéral où cohabiteront de nombreuses entités territoriales en construction. Si dans le lexique politique, le vocable région est à la mode, il est inexistant dans le langage administratif officiel seule l’armée populaire use concrètement de ce concept dans son déploiement territorial en se structurant en régions militaires depuis 1964.
Les rares structures de type régional héritées de la colonisation ont disparu au lendemain de l'indépendance. Les conseils régionaux, organes consultatifs qui appuyaient l'action du préfet régional, institués après le référendum de janvier 1961 ont été dissous, tout comme les institutions générales régionales (IGR) nées en 1959 en pleine guerre. Les postes et télécommunications, les transports ou encore certains services comme la planification ont conservé des caractères régionaux sous forme de directions ou de commissions permanentes.
L'Etat algérien a usé du concept de région comme mode opératoire du développement sous le règne de Boumediene dans le cadre des programmes spéciaux de développement économique politique dite d'équilibre régional. Cette politique, à dimension populiste, a démontré qu'en matière de développement, la centralisation de la gestion est un mode improductif.
La région, circonscription supradépartementale, est une catégorie de gouvernance moderne qui appelle une gestion à visage humain. La démocratisation du pouvoir et de l’Etat, les impératifs de la mondialisation ont sonné le glas de la conception jacobine de l’Etat. Un faisceau de déterminants objectifs plaide pour un Etat fédéral.
L’immensité du territoire, les dispositions économiques, les données démographiques et sociales, les causes historiques, les particularismes culturels, imposent une refondation de l'Etat sur des entités territoriales maîtrisables appelées régions.
"Chwit ig timlihen", "El baraka fleqlil", dit l’adage populaire ! "Smal is beautifull !" est le credo de la gouvernance moderne. Après Salah Boubnider (Sawt el Arab) qui a cassé le tabou de la régionalisation au début des années 1990, lançant le débat sur la restructuration de l'Etat sur la base des wilayas historiques délimitées par les résolutions du congrès de la Soummam d'août 1956, les partis politiques kabyles, RCD et FFS, ont remis sur la scène politique le concept de régionalisation avec des épithètes spécifiques qui les distinguent du projet autonomiste du MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie)
Le pouvoir, qui a privatisé l'Etat se donne le temps de la réflexion. La commission Missoum Sbih, au service de la présidence de la république, avait finalisé et remis son rapport sur les nouvelles formes de l'Etat. Face à l’impopularité du régime fondé sur des institutions coloniales jacobines, menant une gouvernance socialement et politiquement contreproductive, la régionalisation, fondée sur des institutions modernes à visage humain, est une option citoyenne moderne à même d'assurer la pérennité de l'Etat-nation et le ciment de l'unité nationale.
Rachid Oulebsir
Commentaires (9) | Réagir ?
C'est toute la notion de pays qui est bafouee, n'importe quelle analyse se retrouverait a la mesure elementaire, l'individu-citoyen, comme l'atome ou la cellule. C'est ainsi que toute autre organisation ou configuration n'est qu'une methode comme toute autre de configurer l'ensemble de ceux-celles - ci qui vivent sur un un territoire/domaine donne'. C'est en prennant en consideration les attributs et aspects de la vie du citoyen qu'on aboutit a celles qui comptent le plus, logiquement, pour constituer un groupe homogene. Ceux-ci (aspects/attributs) sont tout de meme elementaire - lien sangin, l'immediat geographique, et les liens socio-culturels qui sont la langue, les croyances, traditions, et organisation sociale. Il n'y a vraiment pas a reinventer la roue - il suffit d'un peu de bonne volonte', mais surtout de respect. Cette organisation existe et persiste depuis le debut des temps malgre' les toutes les invasions que nous avons subit. c. a. d. que la societe' s'organise d'elle-meme, il n'y a meme pas de lui inventer une topologie quelconque - les villages et villes se sontconstruits naturellement a travers le temps... ainsi que les alliances entre-eux. C'est sur son envoronnement immediat que le citoyen a les moyens d'agir et d'influencer - Il n'y a qu'a lacher prise (de force) sur le citoyen et sa capacite' d'exercer sa souverenete' sur sa commune que naturellement, toute les autres structures emergeront, en effet, jusqu'a celle de region/province. Tout etat qui en emergerait aura emerge' d'une assemble'e plus que legitime, mais VOULUE - et l'etat consequent ne peut etre que fort... avec ou sans ressources naturelles... Mais c'est plus delicieux quand c'est vole', biensur... c'est tout de meme maladif.
Pour pouvoir arriver à fédérer notre vaste pays, composée de mosaïques de peuplades différentes les unes des autres, et chacune avec ses spécificités linguistiques, culturelles ;social et tutti quanta;il faut attendre à ce que la secte prédatrice d'Oujda et ennemie de l’Algérie trépasse!