La fête berbère de Yennayer (Janvier)
Être Amazigh, c’est, quand on le peut, restituer à l’amazighité la part d’histoire qui lui revient. C’est aussi la protéger des fables et des légendes, surtout quand celles-ci, sans receler des preuves, se prétendent l’écho de faits ayant réellement eu lieu. Ce papier, il faut le savoir, fait justice du mythe de Chechonq 1°, un roi numide qui aurait fondé, 950 ans avant Jésus Christ, une dynastie pharaonique en Egypte.
Mythe tenace, mais mythe malheureusement, tout séduisant qu’il puisse être. Dans la réalité, Yennayer (mois de Janvier) a été inventé pour la première fois dans l’histoire humaine, comme mois de l’année, par Numa Pompilius, deuxième roi de Rome, intronisé comme tel en 715/714 et mort en 673/672 avant Jésus-Christ. Avant ce monarque, le mois de Janvier (Ianuariu en latin) n’existait pas. Si Chechonq devait correspondre par un biais quelconque à un épisode de notre histoire positive, cet épisode devra être impérativement recherché en dehors de ces deux dates.
Si on retient encore que Yennayer (qui n’est ni plus ni moins que le mot latin Ianariu pour "Janvier ") est une fête romaine et méditerranéenne avant d’être Amazighe, la recherche donnera à l’Amazighité des motifs d’orgueil supplémentaires : elle lui fait découvrir en effet de quelle ancienneté, de quel universalité et de quelles richesses culturelles son identité participe.
La mythologie
Saturne est un dieu ancien de la mythologie romaine. Il est la divinité des semailles, de la vigne, de la fertilité et de l’abondance. Il préside aux travaux agricoles. Janus est une divinité aussi ancienne que Saturne. Il est le dieu de tous les commencements, dont celui du jour, du mois et de l’année. Il est le gardien des Portes (Janus en latin signifie le "gardien des portes", de januae "portes"). Il est le roi légendaire du Latium (l’Italie primitive). Saturne est chassé du ciel par son fils Jupiter. Janus l’accueille dans son royaume et lui donne un asile digne de son rang divin. En remerciements, Saturne le dote des pouvoirs nécessaires à une bonne gouvernance, dont celui de garder la mémoire du passé et de prévoir l’avenir. Ils s’associent dans la direction du royaume. A eux deux, ils apportent aux hommes la paix et l’abondance : l’âge d’or. Leurs deux noms resteront associés à cette époque mythique.
Durant l’antiquité romaine, Janus est couramment figuré sur les pièces de monnaie sous l’aspect d’un homme barbu dont la tête porte deux visages opposés regardant l’un vers l’avant, l’autre vers l’arrière (l’avenir et le passé). Ses attributs sont la clé et le bâton du portier.
L’histoire
Romulus, fondateur de Rome avec son frère Remus (750 avant Jésus Christ), ne trouve pas de gens pour peupler son royaume. Il accueille des esclaves évadés et des hors-la-loi auxquels les tribus voisines (parmi elles, la puissante tribu des Sabins) refusent de donner leurs filles en mariage. Romulus utilise un stratagème : il invite Sabins et Sabines à des jeux au grand cirque, enlève les jeunes filles pendant le spectacle, et les donne en femmes à ses compagnons. Une guerre s’ensuit qui ne prend fin que le jour où les Sabines s’interposent entre les combattants en offrant aux lances et aux flèches les enfants qu’elles avaient eus avec leurs ravisseurs. Les deux peuples se réconcilient et fusionnent.
Numa : inventeur du mois de janvier (Yennayer) et de Février
Romulus, qui avait assassiné son frère Remus, assure la royauté sur les deux peuples fédérés. En 714/715 avant Jésus Christ, les sénateurs romains l’assassinent, laissent croire au peuple que des vents célestes l’avaient appelé auprès des dieux et offrent sa couronne à Numa Pompilius, d’origine sabine.
Numa modifie l’année romaine qui comptait 304 jours et commençait en Mars. Il lui ajoute deux mois, celui de Januarius « janvier » ou mois de Janus et celui de Februarius (février) ou mois des februum "les purifications". Il institue des fêtes spéciales en l’honneur de Janvier. Il déplace au 15 Février les fêtes religieuses de Lupercales qui se tenaient habituellement le 15 Mars. En se référant au mythe sacré de Janus et de Luperca (nom de la louve qui avait allaité Remus et Romulus), Numa le sabin entendait assurer aux romains qu’il se liait à eux par les mêmes devoirs moraux que ceux qui avaient lié Janus et Saturne et qu’il faisait siennes les traditions mythiques relatives à l’origine de Rome.
L’iconographie représente le mois de Janvier sous l’image d’un sénateur romain jetant de l’encens dans le feu d’un autel ; à son côté se dresse un coq pour certifier que le sacrifice a été fait au début du premier matin de l’année nouvelle. Il est aussi représenté par un Janus à deux têtes ; ailleurs il porte des ailes, symbole du temps chez les romains.
Les terminaisons latines tombent dans le langage parlé dès le 1° Siècle après J.C. Juanuar(ius devient donc très tôt Ianaïr dans la langue populaire. Numa étant l’inventeur du mois de Janvier et de ses réjouissances, on relierait à tort l’institution de Ianaïr à une époque autre que celle allant de son intronisation (714-15 avant Jésus Christ) à sa mort (671-72 avant Jésus Christ).
Les idées reçues étant extrêmement difficiles à contredire, il faut se rappeler qu’avant le règne de Numa, Janvier Ianaïr n’existait pas comme mois du calendrier. Une légende (parfaitement inconnue dans le Chélifien) rattache ce mois à la fondation en 950 avant Jésus Christ, en Egypte, d’une dynastie pharaonique par un roi numide nommé Shashnaq ou Chechonq. La légende est flatteuse, mais purement fictive. La richesse de la culture berbère n’est pas pour autant diminuée. Au contraire : l’extra-territorialité d’une célébration-anniversaire devenue indissociablement nôtre, conscientisée au plus profond substrat de notre identité est la preuve de notre faculté d’assimilation et d’ouverture à l’universel…
Yennayer en tête de l’année
Il est probable que du temps de Numa déjà, le mois de Ianaïr était considéré comme le début d’une époque, sinon de l’année. Mois dédié à Janus, le dieu des commencements, le maître des Transitions, des Portes, il était normal de le placer au début de tout cycle. Les hésitations des historiens cessent toutefois dès l’année 46 avant Jésus Christ. C’est à cette date en effet que Jules César, sur conseils de l’astronome grec Sosigène, modifie le calendrier romain et qu’il installe officiellement Janvier en tête du comput. Il fixe à 365 le nombre des jours de l’année et institue une année bissextile tous les 4 ans. Le jour supplémentaire était le 24 février (qui était donc doublé tous les 4 ans). Le calendrier connaîtra une nouvelle réforme en 1582 à l’initiative du pape Grégoire XIII (pape de 1572 à sa mort en 1585) qui garde lui aussi, Janvier comme mois inaugural de l’année.
Le décalage de 11 jours du yennayer berbère
Yennayer est fêté uniformément le 12 janvier à travers le pays. Initialement, nous le fêtions en même temps que l’ensemble des peuples méditerranéens de civilisation romaine. Le décalage de 11 jours s’est produit à la date du 2 septembre 1752. Cette année 1752 en effet, l’Angle - terre ayant décidé d’adopter le calendrier grégorien, les astronomes refirent leurs calculs*. Ces derniers révélèrent que le temps sidéral avait pris 11 jours d’avance sur le comput usuel. On fit les ajustements voulus en décrétant que la journée qui suivait le 2 septembre 1752 (soit le 3 septembre) serait supprimée et remplacée par le 14 septembre. La réforme ne nous a pas concernés. Les Turcs nous tenaient à cette époque, hors de l’histoire du monde. Notre Yennayer est resté fixé à sa date primitive. Il a donc pris et gardé un retard de 11 jours, c'est-à-dire qu’il a été reporté au 12° jour de janvier selon le nouveau comptage. C’est la date du mois à laquelle nous le célébrons depuis 1753.
Yennayer dans le Chélifien
C’est la nuit où chaque membre de la famille a droit à un poulet entier souvent farci. La farce à l’origine était faite exclusivement de plantes aromatiques cueillies et séchées au long de l’année (menthe, basilic, marrube, romarin, etc.). Les plumes sont précieusement gardées par les enfants afin qu’elles leur assurent la longévité. Le lendemain, on assigne à chaque enfant de la famille, le poulet dont il se régalera l’année suivante. Il a pour charge jusque là, de le nourrir et le soigner.
En accompagnement aussi impératif que le poulet, la tradition prévoit le berkoukes (gros couscous cuit dans sa sauce et non à la vapeur comme le couscous ordinaire ou ksouksi). Les grains trop volumineux résultant du roulage du berkoukès et de son criblage sont pétris en pâte avec laquelle on confectionne des petits godets. A chaque godet, la maîtresse de maison attribue le nom d’un mois de l’année. Les douze godets sont sortis dehors au début de la nuit, et le lendemain matin, en fonction de l’humidité condensée sur chacun d’eux, on prédit la quantité de pluie qui tombera ou ne tombera pas pendant le mois correspondant.
La nuit de Yennayer est également celle où l’on procède au remplacement des trois pierres du foyer par de nouvelles. C’est celle aussi où l’on mange le drez ou les tredeq, un ensemble de 13 fruits, ainsi nommé dans le chélifien. Drez et tredeq sont les deux formes phonétiques du latin tredec(im (treize) qui se prononce tredec dès le 1° siècle dans la langue savante (avec la chute des finales grammaticales). Le mot évolue parallèlement dans la langue populaire pour donner le doublet treize. Des mignardises de langue venues d’ailleurs sont en passe de substituer à tredeq, (un marqueur fiable de séquences temporelles, historiques et culturelles) le mot deqadeq qui ne signifie rien, mais qui peut gravement fausser la recherche lexicale, historique et… identitaire.
La nuit de Yennayer, on place le dernier né de la famille dans un panier et on fait couler en pluie sur sa tête, les 13 fruits. La tradition du drez ou tredec est probablement une copie des réveillons chrétiens où l’on mange treize fruits ou treize desserts. Les chrétiens comprennent ce nombre comme les 12 apôtres plus Jésus. Ce nombre peut renvoyer à d’autres faits de culture ou d’histoire. La question reste posée. La douche du dernier né avec les fruits ressemble toutefois à un rite baptismal…
Il y a 50 ans de ça, la nuit de Yennayer, les hommes s’accoutraient de façon burlesque, se grimaient avec la plus extrême hideur et formaient des cortèges grimaçants qui parcouraient les rues, entraient dans les maisons en exécutant une gestuelle obscène et suggestive à l’adresse des femmes. On ne sait à quel rituel antique se rattachent ses manifestations scabreuses qui ont, de nos jours, disparu presque totalement. Elles rappellent toutefois les fêtes carnavalesques et licencieuses des Lupercales, dédiées, comme nous l’avons mentionné plus haut, à la louve qui avait nourri Remus et Romulus et, plus tard, confondues avec la célébration de Pan, dieu des campagnes, des troupeaux et des bergers.
Kouadri-Mostéfaoui Bouali, ex-enseignant, Chlef
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merci
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