"Ethnologie de la porte", les histoires et symboliques des seuils
C’est à un essai particulièrement fouillé sur la porte que s’est livré Pascal Dibie à travers Ethnologie de la porte Des passages et des seuils, publié chez Métailié.
Fermez la porte ! Ecouter aux portes, claquer la porte ! La Sublime porte, les Portes du ciel. La porte et sa symbolique chez les peuples d’Amazonie, en Europe, en Afrique et en Asie, Pascal Dibie a fait le globe-trotter pour dénicher le rôle que donne les peuples à cette fameuse porte qu’on franchit chaque jour sans y prêter la moindre attention. C'est à une revue savante et parfois pleine d'humour que l'ethnologue nous invite. Pourtant ce qu’y trouve le professeur d’ethnologie est fort intéressant. "Par leur essence même, les portes expriment les cultures : en Afrique les djnouns font concurrence à Eshou et les serrures des Dogons reflètent encore l’âme de leur maître. La Chine oriente toujours ses portes en s’occupant di ciel alors que le Japon les construit en papier", écrit l’auteur.
"La porte la mieux fermée est celle qu’on peut laisser ouverte" dit un proverbe chinois. Mais pour d’autres peuples, le rituel autour de la porte n’est pas le même selon que l’on soit chez les Yakonos, indiens d’Amazonie ou chez les Desana, indiens de Colombie. "En Afrique du Nord, le seuil correspond à un lieu de rencontre et de contact redouté et redoutable qui contrôle sans concession l’espace domestique", écrit l’auteur. Quant à la porte, elle a un sens féminin dans cette région. "Les femmes de bonne famille, comme le note Mohamed Boughali, ne sortent que deux fois : une fois pour entrer au domicile conjugal, une autre fois à leur mort, pour en sortir". Au Maroc dans les montagnes berbères du Haut Atlas, quand une femme doit s’écarter quelques instants de son enfant, elle prend soin de répandre autour du berceau du nourrisson et devant la porte quelques goûtes de son propre lait pour le protéger des Jnouns, amateurs de chair fraîche.
Même esprit de protection chez les habitants d’Agouni Fourou (Kabylie). Le premier jour de l’été, les habitants de ce village prenaient soin de tracer autour de leur porte un rectangle de goudron et de bouse fraîche pour prévenir les risques d’entérite pour les enfants.
Autre lieu, autre époque. "C'est Napoléon Ier qui a proposé un numéro de rue sur une plaque bleue émaillé avec un filet blanc, de dimension très précise, propre à Paris. Un décret du 4 février 1805 ordonne ainsi la numérotation des maisons. Aujourd'hui, il est impossible d'entrer dans un immeuble si on n'en connaît pas le code : 95,8 % des logements de la capitale sont équipés d'un Digicode, une installation qui date des années 1980."
La porte du non-retour
Terrible souvenir qu’est cette porte qui s’ouvrait sur l’océan pour les esclaves du Bénin qui étaient envoyés au Nouveau monde. "Les prisonniers étaient amenés du nord et rassemblés sur une place de Ouidah pour y être vendus comme esclaves puis enchaînés. Ils parcouraient ensuite sous le fouet de leurs gardiens les quelques kilomètres qui les séparaient de la plage où des navires de la traite les attendaient ancrés au large. On les poussait dans un ponton puis on les embarquait dans des chaloupes et on les faisait monter à bord de bateau négriers qui partaient vers l’Amérique apporter leur lot d’esclaves africains."
Sans enfoncer les portes ouvertes, mais avec un savoir consommé, Pascal Debie nous livre ici un livre passionnant nourri d’observations sur le terrain mais aussi de lectures.
Kassia G.-A.
Ethnologie de la porte des passages et des seuils de Pascal Dibie, chez Métailié. L’auteur a écrit entre autres Ethnologie de la chambre à coucher et le Village métamophosé.
Commentaires (3) | Réagir ?
C'est vrai que la porte a toujours exprimé autre chose qu'un simple obstacle à entrer dans une demeure, un jardin, un château.
Bab El-Oued, Bab Edzira, Bab Ejdide. Quels échos !
La perception d'un poète est différente des autres, lui s'efforce par exemple d'imaginer ce que cache cette porte, qu'y a t-il derrière dans la Casbah ? Il laisse libre cours à son imagination, l'architecte s'intéresse plutôt à l'art de l'époque, l'historien aux personnages qui ont vécu là ! Il est vrai que certaines maisons sur les hauteurs d'Alger, possèdent une architecture mauresque sublime qui nous séduit leurs portes en bois massif révèlent un goût raffiné de l'ébéniste. Disons que l'art nous fait découvrir souvent aussi bien l'essentiel que le secondaire.
Il y a "Thiwwura u seggas", les portes de l'années, qui correspondent aux solstices et aux équinoxes, aux débuts des saisons en faite. Ce thème a donné lieu à un excellent travail sur cosmologie et à la cosmologie berbère : Jean Servier. — Les portes de l'année. Rites et Symboles. L'Algérie dans la tradition méditerranéenne.