Gazprom et Sonatrach face aux bouleversements géostratégiques
Rejoignant mes analyses parues dans la presse nationale et internationale entre 2010-2012, l’hebdomadaire français Le courrier international dans son numéro 1153 du 6 au 12 décembre 2012 dresse un bilan et les perspectives de l’impact du gaz de schiste sur la future carte énergétique mondiale avec des bouleversements géostratégiques considérables tant sur le plan économique que miliaire.
"D’Alger à Pékin, de Moscou à Buenos Aires, la révolution du gaz de schiste bouleverse le paysage énergétique, menaçant les rentes établis, une malédiction pour le Maghreb dont l’Algérie", écrit l’éditorialiste citant des enquêtes de revues et quotidiens prestigieux spécialisées comme le Financial Times, le Washington Post, le Temps de Genève ou The Nation.
1. La donne américaine et les impacts sur la stratégie russe de Gazprom
Dès les années 2007-2008 après des décennies de recherche, d’où l’importance de la ressource humaine, richesse pérenne, le développement de l’extraction du gaz non conventionnel grâce au forage horizontal et à la fracturation hydraulique a permis aux Etats Unis d’Amérique d’impulser un renouveau industriel avec des projections de développement de tout l’aval dont les engrais et la pétrochimie, de satisfaire ses besoins et à l’horizon 2017-2020 devenant exportateur tant de pétrole que de gaz. Alors que les extrapolations des experts russes mais aussi algériens, en 2000, misaient d’approvisionner le marché américain. Ces exploitations devraient être étendues à la zone de libre-échange ALENA comprenant les USA, le Canada et le Mexique. Le président Vladimir Poutine en avril 2012 a déclaré selon le correspondant du Courrier international que le gaz de schiste est devenu un véritable danger pour la Russie après que les actionnaires étrangers norvégien Statoil et français Total aient quitté le projet de mise en exploitation du gisement de Chtokman en mer de Barents.Or les ventes de Gazprom ,principalement en Europe de l’Ouest représentent les deux tiers de ses revenus L’arrivée de volumes supplémentaires sur les places de l’Europe où les prix se négocient au niveau des terminaux locaux, les contrats au comptant (contrat spot) les tarifs ont enregistré une baisse sensible au-dessus des prix pratiqués par Gazprom. Dès lors bon nombre de compagnies ont exigé de Gazrpom une révision de ses contrats à long terme en particulier pour ce qui concerne les quantités obligatoires d’achat et d‘augmentation de la part relative des indicateurs boursiers dans le calcul des prix, jusque-là indexés sur le prix des produits pétroliers. Gazprom a été contrainte de satisfaire ces exigences pour ne pas perdre des parts de marché et cette tendance horizon 2017-2020 sera plus accentuée alors que ses couts sont largement inférieurs à ceux de l’Algérie. Cela pose la problématique de la rentabilité des projets gigantesques de Northstream et Southstream.
Pour le Nortstream d’un cout évalué à 8 milliards d’euros, c’est un projet stratégique dont le tracé, d'une longueur de 1 224 km, doit à terme permettre de transporter 55 milliards de mètres cubes de gaz par an. Quant au projet de South Stream, concurrent direct de l’Algérie, il est destiné à livrer du gaz russe à l'Union européenne via la mer Noire, dont les travaux commenceront dès fin 2012 et non plus en 2013 comme prévu initialement pour se terminer en 2015. Long au total de 3.600 km, il doit alimenter en gaz russe l'Europe occidentale, notamment la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Slovénie et l’Autriche, la Grèce et l'Italie, via la mer Noire et les Balkans. Il doit permettre à la Russie de contourner l'Ukraine, principal pays de transit. D'une capacité de 63 milliards de m3 de gaz, le tronçon sous-marin doit entrer en service en 2015, le coût estimatif du projet étant évalué à 15,5 milliards d'euros. Comme est posé la rentabilité du projet allant vers la Chine recelant la première réserve mondiale de gaz schiste (45.000 milliards de mètres cubes gazeux toujours selon l’AIE) et donc des négociations en cours entre Gazprom et China National Petroleum le projet de gazoduc Altaï entre l’Ouest de la Sibérie et le Sichuan à l’Ouest de la Chine d’une capacité de 30 milliards de mètres cubes gazeux qui devait faire passer la part du marché russe de 3% à 30%. Long de près de 7000 kilomètres, le coût est évalué, selon différentes estimations à environ 14 milliards de dollars. Or, la Chine selon un Livre blanc sur la politique énergétique chinoise parue le 24 octobre 2012 se fixe pour objectif une production à partir du gaz de schiste de 15 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2015 et de 100 milliards horizon 2020, pour un coût dégressif de 3 dollars le million de BTU à 2,85 dollars. Qu’en sera-t-il pour les exportateurs, pour la zone Asie grosse importatrice actuellement d’hydrocarbures traditionnelles si on ajoute les réserves de gaz de schiste de l’Inde presque équivalente aux réserves chinoises, certaines estimations la donnant supérieure, la Chine et l’ Inde représentant 25% de la population mondiale, économies en forte croissance. Et ce avec les répercussions stratégiques sur l’ensemble de l’économie de l’Asie du Sud-est, car ces deux pays sont également importateurs de charbon notamment de l’Indonésie, grosse exportatrice 332 millions de tonnes prévues en 2012, environ182 tonnes pour la Chine et 118 pour l’Inde en 2011. Enfin, la donne polonaise membre de l’Europe des 27 risque de bouleverser les marchés traditionnels, certains parlant pour ce pays d’un nouveau Koweït, qui risque de s‘affranchir de la Russie important actuellement 7O% de sa consommation de gaz. La production du gaz schiste pourrait permettre à ce pays la création de 510.000 emplois et une recette de plus de 25 milliards de dollars annuellement.
2. Le cas algérien face à ces mutations
Selon la délégation algérienne, présente à Bruxelles pour participer jeudi à la 7ème session du conseil d'association algéro-européen, cité par l’APS en date du 6 décembre 2012, après plusieurs années de négociation, l’Algérie et l'Union européenne (UE) sont parvenues enfin à un accord stratégique sur l'énergie. La signature du document devra intervenir à l’occasion de la visite, en Algérie, du Commissaire européen à l'énergie, Gunther Oettinger, prévue, en principe en janvier 2013, paradoxe au moment où les contrats à moyen et long terme arriveront à expiration. Selon le Courrier international l’Algérie économie rentière avec une population importante sera touché de plein fouet par ces mutations énergétiques autant que l’Iran et le Venezuela. Pour les pays du Golfe, à petites populations dans leur majorité, ils auraient préparé leur avenir par des investissements massifs à travers le monde grâce à leurs fonds souverains alors que l’Algérie place ses réserves de change pour plus de 86% tenant compte de l’inflation mondiale à un taux d’intérêt presque nul pour ne dire en pure perte. C’est qu’après 50 années d’indépendance politique en 2012, l’Algérie est toujours une économie rentière malgré ses importantes potentialités : 98% d’exportation d’hydrocarbures à l’état brut et semi brut fin 2012 et important 70% des besoins des ménages et des entreprises qu’elles soient publiques ou privées, le tissu productif étant en déclin, moins de 5% de l’industrie dans le produit intérieur brut. Le bilan officiel de Sonatrach donne un total de 560 milliards de dollars de recettes en devises entre 2000 et fin juin 2012, allant vers 600 milliards de dollars fin 2012. Cela a permis la dépense publique d’environ 500 milliards de dollars entre 2004/2013 (dont une fraction en dinars algériens) donnant des taux de croissance très faible n’ayant pas dépassé 3% moyenne 2004-2012 alors qu’il aurait dû dépasser les 12% montrant un gaspillage des ressources financières. L’Algérie occupe, pour l’année 2011, la 105e place avec une note de 3,4 sur 10 sur les 176 pays concernés par les enquêtes de l'organe anti-corruption, Transparenty International. Elle a gagné en fait 7 places alors qu’elle était classée 112e dans l’IPC de 2010 avec une note de 2,9. Le fait d’avoir avancé de quelques bonds ne signifie nullement que notre pays en a fini avec cette gangrène de corruption qualifiée de sport national par le président officiel des droits de l’homme algérien. Quant au taux de chômage officiel composé en majorité d’emplois improductifs, il est virtuel pour calmer le front social transitoirement. Le retour de l’inflation du fait de l’inefficacité de la dépense publique qui avoisine 10% en 2012 une première depuis plus de 10 ans montrant que le cadre macroéconomique ne peut être stabilisé artificiellement sans de profondes réformes microéconomiques et institutionnelles tenant compte des mutations mondiales, risquent d’accentuer les tensions sociales. Les 193 milliards de dollars de réserve de change au 01 octobre 2012 sont également une richesse virtuelle provenant des hydrocarbures. Je rappelle brièvement les contraintes qui peuvent faire perdre à l’Algérie des parts de marché étant illusoire pour l’Algérie de miser sur un prix du baril à prix constants de plus de 130/150 dollars qui serait un prix plancher de seuil de rentabilité pour les énergies substituables. Le passage du charbon dont les réserves exploitables dépassent 100 ans aux hydrocarbures ont été le fait de la hausse des prix du charbon.
Premièrement l’Algérie se trouvera confrontée aux mêmes exigences que Gazprom, aussitôt 2013/2014 terminé les contrats à moyen et long terme algériens qui indexait le prix de cession du gaz sur celui du pétrole du fait de leur déconnexion certains partenaires poussant d’ores et déjà à la baisse des prix. Or les investissements dans le gaz sont très capitalistiques et à maturation lente ? Qu’en sera-t-il des investissements futurs et de leur rentabilité ? Avec la révolution du gaz schiste analysé précédemment, qu’en sera-t-il pour l’Algérie si le marché américain est fermé horizon 2017/2020, sachant que les marchés européens et américains restent les débouchés traditionnels des exportations, ces deux marchés absorbent en volume, respectivement, 63% et 29% des ventes globales des hydrocarbures et en valeur de 56% et 35% ?
Deuxièmement, qu’en sera-t-il du projet Algérie Italie de Galsi le projet est toujours gelé comme je le rappelais dans une émission à la télévision française France 3 le 26 décembre 2011, les élus de la Sardaigne s’étant opposés à son tracé initial. Quel est le devenir du projet de gazoduc algérien Transmed qui fournit du gaz naturel algérien à l'Italie depuis 1983 à raison de 30 milliards de m3 par an qui devait être porté à plus de 34 milliards de mètres cubes gazeux fin 2010 et 40 milliards fin 2012 avec la nouvelle stratégie offensive de Gazprom, les exportations actuelles ne dépassant pas 25 milliards de mètres cubes gazeux, ce gazoduc fonctionnant en cous capacité ? Que fera l’Algérie face aux mutations du marché asiatiques et de la concurrence notamment de l’Arabie saoudite et du Qatar proches de l’Asie avec des capacités du double au triple des capacités de GLN algérien réduisant substantiellement ses coûts, sans compter les couts de transport, l’Algérie devant contourner toute la corniche de l’Afrique avec des couts de transport importants.
Troisièmement, qu’en est-il de la réalisation du projet NIGAL et qui devait bénéficier d’un apport financier européen, toujours en gestation prévu pour le transport de 20 à 30 milliards de m3 par an en majorité vers le marché européen , le cout initialement prévu au départ par la société PENSPEN, entre 5 à 7 milliards de dollars, mais dépasserait selon certaines estimations en 2012 les 15 milliards de dollars à prix constants. Une étude de l’Institut français des Relations Internationales réalisée par Benjami Augé en mars 2010 estime même le coût à 25 milliards de dollars. Egalement le devenir de Medgaz de 8 milliards de mètres cubes gazeux d’un coût d’environ 3 milliards de dollars où selon l’agence Reuters en date du 25 novembre 2012, dans le projet du gazoduc Medgaz entre l’Espagne et l’Algérie, seraient sur le point de vendre leurs participations en raison de la crise qui sévit en Europe notamment en Espagne préférant acheter sur le marché spot le gaz du Qatar et du Nigeria.
En conclusion, se pose cette question stratégique que deviendra la population algérienne, assise sur la rente, face tant à ces contraintes qu’à l’épuisement de ses ressources énergétiques rationnelles ? A la différence des chinois, indiens, russes, (faisons confiance à la société Gazprom) et la majorité des pays émergents, comment l’Algérie à travers la déperdition de ses cadres, peut-elle à la fois maîtriser cette nouvelle technique et protéger son environnement puisque le savoir est dévalorisé au profit des emplois rentes, eimportant presque tout, le poste services au niveau de la balance des paiements étant passé de 2 milliards de dollars en 2002 à 12 milliards de dollars en 2011-2012, et comme le montre les nombreuses enquêtes de non suivi des projets avec la mauvaise qualité et les surcoûts exorbitants du programme de la dépense publique entre 2004-2012, certains projets ayant été réévalués de plus de 25%. Et cela est confirmé par une récente étude de 2012 sur la "Promotion de l'innovation en Méditerranée", réalisée par Anima, en collaboration avec le programme Mira de la Commission européenne où est mis nettement en relief que l’Algérie n’a pas encore développé de politique d’innovation proprement dite, la position de l’Algérie dans The Global Competitiveness Report dégringolant de la 114e place en 2009 sur 133 pays à la 132e place sur 142 pays.
C’est que l’Algérie se trouve confrontée à l’épuisement inéluctable de ses ressources traditionnelles en hydrocarbures le pétrole et le gaz et cette situation d’euphorie financière n’est pas tenable dans le temps ? Si pour le pétrole l’Algérie pourrait devenir importateur net horizon 2020/ moins de 1% des réserves mondiales, pour le gaz Il y a lieu de tenir compte des réserves prouvées de moins de 4500 milliards de mètres cubes gazeux, dont la rentabilité ne peut être assurée tenant compte des coûts croissants, pour le GN (canalisation avec10/11 dollars le million de BTU et 14/15 dollars pour le GNL des exportations mais surtout de la forte consommation intérieure. Depuis la décision du gouvernement en octobre 2012 de doubler la production d ‘électricité à partir des turbines de gaz en 2012 accélérée par le faible prix environ un dixième du prix international la consommation intérieure représentera horizon 2017/2020 plus de 70 milliards de mètres cubes gazeux soit plus de 80% des exportation. L’Algérie risque donc d’être importatrice de gaz conventionnel horizon 2030. Alors, quel sera le devenir de l’Algérie au niveau du marché gazier mondial ? Pourra-t-elle exporter ses 85 milliards de mètres cubes gazeux prévus à un prix de cession rentable alors qu’elle peine à atteindre 60 milliards de mètres cubes gazeux et qu’en sera-t-il avec le développement du gaz de schistes si le marché européen se rétrécit, l’hebdomadaire le Courrier international donnant d’importantes réserves pour la Libye et la Tunisie, où un large débat et actuellement en cours ? Que sera l’Algérie horizon 2025-2030 avec une population de 50 millions d’habitants face à ces bouleversements géostratégiques sans hydrocarbures traditionnels et ne maitrisant pas les nouvelles techniques? Quels sera son poids dans les relations internationales ? Tenant compte de la décision raisonnable du premier ministre algérien de geler jusqu’à l’horizon 2040, l’exploitation du gaz schiste dont les données sont les plus contradictoires, estimation des réserves par le ministère de l’Energie algérien entre 12 000 et 17.000, et 6.000 pour l’AIE-rapport de 2012, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables, et que toute grande décisions sur l’énergie doit relever du conseil national de l’Energie, et non seulement d‘un seul département ministériel, quel sera sa rentabilité financière et quelle stratégie pour le développement éventuel de ce gaz de schiste et des énergies renouvelables ? L’Algérie étant un pays semi-aride, la profondeur des gisements élevée, l’achat des brevets, l’appel à l’assistance étrangère, des investissements dans les canalisations alourdissant les couts, quel sera l’arbitrage entre la consommation d’eau douce et l’extraction du gaz de schistes nécessitant 1 million de mètres cubes pour 1 milliard de mètres cubes gazeux sans compter le risque de détérioration des nappes phréatiques du Sud partagée par plusieurs pays riverains ? Aura-t-elle réalisé horizon 2025/2030 une transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures reposant sur l’entreprise créatrice de richesses dans le cadre des valeurs internationales et son soubassement la valorisation des compétences ? Quel doit être dès maintenant son futur modèle de consommation énergétique, autant de questions stratégiques qui interpellent les plus hautes autorités du pays car relevant de la sécurité nationale.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur d'universités
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