Le gaz conventionnel et non conventionnel dans la stratégie énergétique mondiale
Le monde entre dans une phase de bouleversements majeurs. Or, envisager une stratégie énergétique sur le long terme impose d'identifier et d'analyser clairement les problèmes.
L'impact de la crise économique mondiale, l'incertitude sur le dollar, les risques géostratégiques, un marché du gaz en pleine mutation avec le développement des GNL et des gaz de schiste, le New Deal écologique, ont déstabilisé le commerce du gaz qui est désormais à la recherche d'un nouveau modèle économique.
I- Impact de la crise économique mondiale
Le rapport 2009 sur l'énergie de l'AIE, le World Energy Outlook 2009, a démontré que la demande mondiale de gaz a baissé de 9% au premier semestre 2009 et l'on sait aujourd'hui que la demande globale pour l'année 2009 a chuté de plus de 5%. D'après Cediga, la croissance devrait réapparaître en 2010 dans une fourchette située entre +1,8% et +2,4%.
Le prix du gaz a ainsi baissé de près de 20% sur l'année 2009 une évolution inverse au prix du baril de pétrole (+25%). Chakib Khelil, avait également indiqué que le prix actuel du gaz naturel à 4 dollars sur le marché spot, n'était "pas viable" pour les producteurs.
Cela est fondamental pour l'Algérie puisque le gaz brut (GN et GNL) représente environ un tiers (1/3) de la valeur en devises de ses exportations. Or, il faut noter que la crise économique ne fait que commencer et l'injection massive de liquidités qui a grandement atténué les effets économiques de la crise financières sont en train de ruiner les Etats (ratio dette/PIB de 100% pour les USA et la France en 2011 selon le FMI). Le risque systémique induit par les produits financiers sophistiqués (produits dérivés) qui représentent 444 000 milliards de dollars actuellement d'après la BRI n'est donc pas résolu et d'ailleurs, le marché immobilier US est en pleine déliquescence avec 11 600 saisies immobilières par jour et un effondrement de l'immobilier commercial. Les produits dérivés (logique assurantielle de ces produits comme les CDS) représentent un grand danger pour l'économie mondiale. Un krach majeur n'est donc pas à exclure. Quoi qu'il en soit, la croissance de la demande de gaz dans les prochaines années sera compromise.
II- Risques géostratégiques
41% des réserves mondiales se trouvent localisées au Moyen-Orient, une zone de conflits permanents. N'oublions pas que l'Iran détient 16% de ces mêmes réserves et l'incertitude pèse sur la réaction d'Israël en ce qui concerne la montée en puissance du programme nucliaire iranien L'Union européenne quand à elle, importé actuellement 60% de son gaz et a pour objectif essentiel d'éviter les risques liés aux incertitudes géostratégiques mondiales comme l'ont révélé les conflits russo-ukrainiens. La quasi-rupture d'approvisionnement en gaz russe de plusieurs pays d'Europe, survenue début janvier 2006 et surtout en janvier 2009 ont révélé la faible sécurité énergétique de l'Europe. L'Europe, ayant pour objectif principal d'accroître sa sécurité énergétique, a mis en place différents projets :
- le gazoduc de la Baltique, Nord Stream (Nord de l'Europe, gaz acheminé en Allemagne) qui devrait fournir, 55 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an dès 2013. Gérard Mestrallet le président de GDF Suez indiquait clairement que "Nord Stream est un élément clé de la sécurité d'approvisionnement (pour l'Europe), sans aucun pays de transit".
- le gazoduc South Stream dès 2015, qui devrait relier la Russie au Sud de l'Europe. Ce gazoduc devrait avoir une capacité de 63 milliards de mètres cubes de gaz par an passant sous la mer Noire vers l'Autriche, la Bulgarie et l'Italie.
- le gazoduc Nabucco alimenté par le gaz de la mer Caspienne, reprenant une partie du tracé du gazoduc Bakou - Tbilissi - Erzeroum et rejoignant l'Europe continentale par la Turquie. Sa mise en service devrait être effective en 2014.
Christian Stoffaës, président du conseil du Centre d'études prospectives et d'information internationale (Cepii) dans son rapport sur le sujet pour le compte du Conseil d'analyse stratégique préconise de plus la création d'une centrale d'achat européenne reprenant les souhaits exprimés par Nicolas Sarkozy dans son discours du 05 mai 2009 : "Je veux porter l'idée d'une centrale européenne d'achat du gaz pour que l'Europe ait une vraie force de négociation face à ses fournisseurs." Au cœur de cette politique de réduction des risques se trouve aussi le renforcement du partenariat euro-méditerranéen dont les structures Femip (facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat) et Meda (fonds d'aide européen) devraient relancer le processus de Barcelone. Le projet d'intégration progressive des marchés maghrébins de l'électricité dans le marché européen (IMME) s'inscrit dans le cadre de ce partenariat euro-méditerranéen initié par le processus de Barcelone (1995) et par le Forum Euro-méditerranéen (1997). Il été au centre des discussions de la réunion de Tunis du 26 mars 2010, un dispositif qui devrait permettre là-aussi de mettre l'accent sur la filière gaz dans le processus de production d'électricité.
La compagnie Sonatrach est le deuxième exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL), de gaz de pétrole liquéfié (GPL) et le troisième exportateur de gaz naturel (GN) en Europe grâce notamment à ses projets de gazoducs, le Medgaz, reliant l'Algérie à l'Espagne et le Galsi qui la relie à l'Italie, pour approvisionner l'Europe avec une capacité exportée de gaz passant de 62, en 2009, à 85 milliards de mètres cubes en 2012.
Le gazoduc Trans-Saharan Gas Pipeline (TSGP) serait en ce qui le concerne, destiné à acheminer 20 à 30 milliards de m3 de gaz naturel du Nigeria vers l'Europe via l'Algérie et le Niger à partir de 2015. On le constate ici, l'Union européenne représente un "débouché naturel du gaz algérien".
L'Algérie se retrouve donc au cœur du dispositif de sécurité énergétique européen et du partenariat euro-méditerranéen. De plus, le développement de la production du gaz de schiste en Europe devrait faire partie de ce plan d'ensemble (approfondissement ci-dessous). Il ne faudrait cependant pas oublier le problème posé par le dollar en tant que devise internationale, un dollar dont la fragilité et la fluctuation engendre de l'instabilité pour le marché de l'énergie. La bourse de Kish créée par l'Iran pour vendre des produits énergétiques dans toutes les devises sauf en dollars en est l'illustration. Face aux incertitudes concernant l'euro et le yuan, la solution pour ma part devrait être trouvée dans le cadre d'une multipolarité monétaire, un panier de monnaies donc à l'exemple des DTS (Droits de Tirages Spéciaux).
III- New deal écologique
Tout d'abord, il convient de constater le déficit de communication en ce qui concerne le gaz qui doit être considéré comme une énergie de transition indispensable avant la mise en place d'une énergie totalement "propre". En effet, le gaz, comme tous les combustibles fossiles, lors de sa combustion rejette du dioxyde de carbone mais dans une proportion moindre : 55 kg par gigajoule de chaleur produite, contre 100 pour le charbon et 75 pour le pétrole. Remplacer les centrales à charbon par de nouvelles fonctionnant au gaz permettrait donc de diviser par deux leurs émissions. Développer les transports en commun avec des véhicules fonctionnant au GNV (Gaz Naturel Véhicule cousin du GPL) serait aussi souhaitable. Au Brésil et en Argentine, plus de 2 millions de véhicules fonctionnent avec cette énergie. Développer des véhicules hybrides fonctionnant au gaz naturel permettrait d'améliorer le rejet de polluants dans l'atmosphère. Plus important encore, il faudrait tenir compte des émissions totales du gaz (de l'extraction au brûleur) qui seraient encore plus faible par rapport à ses concurrents.
De plus, il ne favorise pas les pluies acides (pas d'oxyde de soufre), dégage très peu d'oxyde d'azote (Nox), le tout sans poussières et avec un entretien moindre. Les centrales électriques et surtout les cimenteries devraient utiliser en priorité du gaz. La filière nucléaire, hormis l'indépendance énergétique a donc très peu d'arguments. En 2006, au niveau mondial, plus de 30% de l'électricité était produite à partir de gaz naturel. Et ce chiffre devrait exploser. Nous nous orientons donc vers un nouveau modèle de consommation énergétique. Selon les estimations de l'AIE, la réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) concernant l'énergie hors OCDE représenterait un surcoût évalué entre 85 milliards de dollars par an (période 2010-2030) et 230 milliards selon le taux de réduction choisi (limitation de CO2 à 550 parties par million ou bien 450 ppm). D'ailleurs, la Banque Mondiale a défini pour priorité de promouvoir la commercialisation du gaz naturel dans les pays partenaires pour les dix prochaines années. De nombreuses structures ont été mises en place comme le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), le Mécanisme de développement propre (MDP) et surtout, les Fonds d'investissement climatique (FIC) dont le principal, le Fonds pour les technologies propres (FTP) qui a pour objectif de réduire les émissions de GES à long terme. Les prêts du Groupe de la Banque mondiale au secteur énergétique ont ainsi explosé passant de 2,4 milliards de dollars (période 2000-2004) à 7,55 milliards (2009).
IV- Un marché du gaz en pleine mutation
L'industrie du gaz connaît à l'heure actuelle un bouleversement sans précédent ce qui explique que le marché mondial du gaz a connu de grands changements en une courte période. Il faut tout d'abord savoir que la Russie, l'Iran et le Qatar détiennent tous trois près des 2/3 des réserves mondiales de gaz naturel avec respectivement 27%, 15% et 14% du total. La nouvelle stratégie énergétique de la Russie jusqu'en 2030 initiée par Vladimir Poutine vise à augmenter la production de gaz naturel de 885 à 940 milliards de mètres cubes. La Russie possède un potentiel colossal en matière d'efficacité énergétique et d'économie d'énergie et surtout de production de gaz. Les fuites de gaz en Sibérie sont estimées à 10% de la production, ce qui représente l'équivalent de la consommation annuelle de la France. De plus, le projet de développement du champ gazier géant de Chtokman (mer de Barents) qui possède des réserves correspondantes à "l'équivalent de soixante-dix ans de consommation française" devrait encore accroître la production russe. La mise en œuvre de ce plan devrait faire décoller les exportations nettes de gaz dans les prochaines années contrairement à ce qu'affirment certains analystes.
Cependant, en 2009, les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial de gaz naturel devant la Russie.Les nouvelles techniques d'extraction du gaz naturel emprisonné dans les roches de schiste ont connu un développement fulgurant depuis environ trois ans aux Etats-Unis, où elles représentent environ 20% de la production, et pourraient en représenter la moitié d'ici 20 ans, selon les experts. Ces gaz étaient inexploitables mais deux innovations techniques ont bouleversé la donne : le forage horizontal et la fracturation hydraulique des roches, et, dès les années 1998 la production a commencé. Les réserves mondiales de gaz de schiste représenteraient près de 900 téramètres cubes, selon l'Institut français du pétrole, plus de quatre fois les ressources de gaz conventionne. La production de gaz de schiste représente déjà environ la moitié des besoins américains. En 2020, cette part pourrait être portée à 60%, voire 100% comme l'affirme une note de Gazprom. Selon les estimations de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les Etats-Unis ont produit (en 2009) 624 milliards de mètres cubes de gaz (Mdm3) soit +3,7% sur un an et la Russie 582 Mdm3 (-12%) et ce essentiellement grâce au gaz de schiste. De plus, selon le dernier rapport de la US Energy Information Administration, les énergies renouvelables ont représenté 11% de la production américaine en 2009, supérieure à l'énergie nucléaire.
Le solaire devrait représenter 10% de l'électricité produite et, pour l'énergie éolienne, les USA sont désormais les plus grands producteurs au monde (Global Wind Energy Council) avec 20% de l'électricité devant être produite d'ici 2030 (rapport du DOE, ministère de l'Energie américain), contre 3% aujourd'hui. Les USA devraient donc devenir dans quelques années de gros exportateurs de gaz. L'Europe n'est pas en reste, et, le vice-président de GDF Suez, Jean-François Cirelli, a indiqué mercredi que le groupe français évaluait actuellement le potentiel pour une production de gaz naturel "non conventionnel" en Europe. "De nombreuses études sont réalisées, nous participons à l'évaluation du potentiel de gaz non conventionnel en Europe", a-t-il expliqué. "Nous essayons d'entrer dans cette nouvelle technologie en lançant des partenariat, en particulier avec des sociétés américaines, en Europe". Total est ainsi prêt à explorer les champs de gaz de schiste en Europe, en Allemagne, en Pologne et en France. Ce mercredi 31 mars 2010, Total a annoncé avoir obtenu un permis d'exploration dans la région de Montélimar. Tony Hayward, le PDG de BP lors du forum de Davos avait déclaré que les gaz non conventionnels comme le gaz de schiste "bouleversent complètement la donne". Depuis 1998 la production du gaz de schiste croît de presque 30% par an et l'Agence internationale de l'énergie écrit dans son "World energy outlook 2009" que ce "boom inattendu (...) devrait contribuer à un important excédent de gaz dans les prochaines années". Quant au "pic gazier", il est reporté aux calendes grecques. Il faut cependant noter l'impact environnemental destructeur des Gaz de schiste qui polluent les nappes phréatiques par injection d'eau contenant des produits chimiques et surtout de diesel. D'ailleurs le mémorandum du Congrès des Etats-Unis du 18 février 2010 dénonce l'exemption de la loi Safe Drinking Water Act (SDWA) de 2005 qui permet aux sociétés d'utiliser des additifs et des produits chimiques dans leur fracture hydraulique, le gazole étant interdit mais largement utilisé (par exemple par Halliburton) et sans contrôles.
Parallèlement à cette montée en puissance de la production de gaz de schistes, l'offre de GNL (gaz naturel liquéfié) qui desserre les contraintes géopolitiques et donne de la souplesse au marché du gaz, explose littéralement.
Au Moyen-Orient, le Qatar dispose du plus grand gisement de gaz du monde, le North Dome. Il est le premier pays exportateur mondial de GNL et le premier ministre qatari Sheikh Hamad bin Jassim bin Jabor Al-Thani a déclaré : "Nous allons pouvoir exporter 77,4 milliards de tonnes de gaz naturel liquéfié par an à partir de 2011". Pour rappel, 19,43 milliards de tonnes avaient été produites en 2005.
L'Australie, dont la production totale de gaz devait croître de 8% en 2009-2010 pour atteindre 47,6 milliards de mètres cubes, et 52,2 milliards en 2010-2011 et le sixième exportateur au monde de GNL, devrait amplifier la production avec 28 millions de tonnes d'exportation prévues en 2014-2015 (contre 17,4 millions en 2009-2010). Il faudra y ajouter les 15 millions de tonnes du projet Gorgon, en Australie de l'Ouest qui pourrait débuter en 2015. De plus, le Yémen (6,7 millions de tonnes de GNL par an), l'Angola (5 Mt/an), la Norvège (4.2 Mt/an), le Pérou, le Venezuela, vont rejoindre prochainement les rangs des pays exportateurs de GNL. Face à une baisse de la demande mondiale, l'explosion de l'offre devrait conduire à un effondrement des prix (à moins d'un conflit majeur au Moyen-Orient). Actuellement, selon les spécialistes, il y a un excédent de capacité de 100 Gm3 de GNL qui ne trouve pas preneur, soit près d'un quart de la capacité mondiale.
J'évalue ainsi pour ma part l'excédent de capacité de GNL sur le marché mondial à 150 Gm3 en 2012, une catastrophe. Un "plan Marshall" de l'énergie devrait s'imposer en coopération avec la Banque Mondiale dont l'axe principal devrait porter sur la disparition des centrales électriques au charbon remplacées par le gaz, la seule énergie de transition valable à l'heure actuelle. L'option nucléaire étant pour ma part un non sens économique et écologique majeur. L'Union internationale du gaz (IGU) doit évoluer dans ses structures car les exportateurs de gaz doivent coordonner leurs projets et surtout ajuster la production de gaz (qui devient anarchique) à la demande mondiale afin de stabiliser les prix et mettre en place des partenariats assortis de Contrats à long terme.
Certains parlent de la création d'une OPEP gaz (OPEG ?). Apparemment, la Russie serait contre, une question d'indépendance sur le plan énergétique cruciale pour les russes. Mon ami le Docteur Abderrahmane Mebtoul avait par ailleurs soulevé les difficultés concernant la création d'une OPEP gaz : car le commerce mondial de gaz naturel est essentiellement transporté par le biais du réseau de gazoducs (72%) contre 28% pour le transport par tankers de GNL (gaz naturel liquéfié). En raison de la faible proportion de gaz naturel échangée par rapport à la quantité produite, il n'existe pas véritablement de marché global, mais des marchés régionaux, qui possèdent des organisations, une maturité et des filières différentes.
"Il faudrait ajouter la difficulté pour les nations de coordonner leurs politiques énergétiques au regard de l'aspect stratégique de celles-ci. Cependant, chacun ne peut avoir raison seul de son côté et une coordination est nécessaire afin de pouvoir permettre au gaz de jouer le rôle majeur qu'il doit avoir, c'est à dire une énergie de transition".
Le Forum des pays exportateurs de gaz (Fpeg), qui regroupe aujourd'hui les principaux pays gaziers (73% des réserves mondiales et 42% de la production), qui va se réunir le 19 avril prochain à Oran doit maintenant prendre des décisions à la mesure de l'enjeu actuel car c'est toute la filière GNL qui est en danger, ce qui aurait une énorme incidence pour l'économie de nombreux pays dont l'Algérie. Est-ce que cela sera le cas ? Kofi Annan déclarait ainsi : "La seule voie qui offre quelque espoir d'un avenir meilleur pour toute l'humanité est celle de la coopération et du partenariat."
Gilles Bonafi, expert financier Bordeaux (France)
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