Chine : le congrès du Parti communiste à l'heure de Weibo
C'est la première fois qu'un Congrès du Parti communiste chinois se déroule à l'ère des réseaux sociaux. Sans surprise, ces derniers sont restés inertes.
Tantôt machine à rumeurs, tantôt contre-pouvoir, Sina Weibo, la version chinoise de Twitter utilisée par 360 millions de personnes, s'est imposé en trois années seulement comme le point de rendez-vous virtuel de la jeunesse chinoise. Une jeunesse hyper-connectée, mieux informée que ses aînés, plus politisée aussi. Pas un jour ne passe ainsi en Chine sans qu'un officiel local soit épinglé sur le réseau social par ces wangmin, les citoyens du Net, l'un pour son goût immodéré des montres de luxe, l'autre pour sa collection de résidences privées.
À l'heure où la Chine opère une transition politique historique, qui doit porter au sommet du pouvoir chinois le dauphin désigné Xi Jinping, les 3 000 journalistes accrédités pour le 18e Congrès du Parti communiste chinois s'attendaient naturellement à une avalanche de messages ironiques ou cyniques sur la rigidité des rituels du PCC, la plus grande organisation du monde avec 82 millions de membres.
"Grande muraille cybernétique"
Il n'en fut rien. Weibo est resté inerte depuis l'ouverture du Congrès, jeudi 8 novembre, dans les salles grandioses du Palais du peuple, place Tian'anmen à Pékin. Et pour cause : le mot clé "shibada" - "18e Congrès" en mandarin - a été purement et simplement bloqué sur le site de partage. Seules quelques informations anecdotiques sur les stars chinoises ont réussi à passer le filtre de la "grande muraille cybernétique", selon l'expression utilisée pour caractériser le système de contrôle mis en place par le régime chinois, augmenté pour l'occasion.
Pourtant, c'est bien la première fois qu'un Congrès du Parti communiste se déroule à l'ère des réseaux sociaux. Créé en août 2009, Sina Weibo n'existait pas en 2002 lorsque le président Jiang Zemin confia les rênes du pays à Hu Jintao, l'actuel secrétaire général du Parti, lors du 16e Congrès du PCC. Cinq ans après, le 17e Congrès s'était déroulé lui aussi dans l'opacité que la Chine a héritée de sa longue histoire impériale.
La déferlante des réseaux sociaux n'aura rien changé. Et c'est une surprise, car, jusqu'ici, Weibo avait laissé les internautes chinois commenter des affaires sensibles, comme les rebondissements sans fin de l'affaire Bo Xilai et, plus récemment, les manifestations environnementales de Ningbo. C'est également sur Weibo que circulent, chaque année au mois de mars pour l'ouverture de l'Assemblée populaire chinoise, des photos qui montrent certains parlementaires ronflant sur les bancs de l'Assemblée. Des photos qui rencontrent un vif succès, mais qui, visiblement, n'inquiètent guère les autorités chinoises.
Mise en scène
"L'ouverture du Congrès du PCC est un événement très différent de l'ouverture de l'Assemblée populaire, où l'on discute de politique publique. Le Congrès, en revanche, a pour seul but de mettre en scène la transition politique", explique Michael Anti, un blogueur chinois passé par le bureau du New York Times à Pékin. "Or, les changements de leadership en Chine sont le sujet sensible par excellence", rappelle ce commentateur politique.
Malgré la censure, quelques commentaires ont réussi à émerger. Les internautes n'ont ainsi pas tardé à se moquer de Ju Xiaolin, un délégué de Pékin, qui a lu au cours d'une réunion un poème composé en l'honneur du "camarade Hu Jintao"... Une autre déléguée, Li Jian, a elle aussi été ridiculisée par les internautes. Elle avait affirmé qu'elle avait pleuré à quatre reprises au cours du discours pourtant soporifique prononcé jeudi 8 novembre par Hu Jintao. Aujourd'hui encore, deux déléguées du Sichuan, Jiang Min et Luo Wei, ont été la cible de commentaires ironiques sur Weibo après s'être rendues au Palais du peuple... en compagnie de leurs bébés, âgés respectivement de cinq et quatre mois.
Double tranchant
Les autorités ont bien compris l'intérêt à double tranchant des réseaux sociaux, qui représentent à la fois une aubaine et un défi. D'un côté, Weibo apparaît comme un nouveau moyen pour le régime de faire passer des messages, et même de récupérer des informations de première main. Mais, en ouvrant des comptes Weibo, les administrations chinoises s'exposent également à la vigilance accrue des internautes.
Un numéro d'équilibriste auquel s'est maladroitement risqué le Conseil d'État chinois en lançant le 10 novembre, deux jours seulement après l'ouverture du Congrès, son propre compte Weibo. En quelques heures, cette administration-clé a réuni 310 000 fans... qui se sont vu interdire tout commentaire des messages officiels postés. "Le principe même des réseaux sociaux, c'est qu'ils permettent théoriquement une communication à double sens. Mais le PCC ne veut pas de cela. Il vit encore à l'ère soviétique et n'utilise Weibo que pour faire sa pub", conclut Michael Anti.
Raphaël Balénieri, pour lepoint.fr
Commentaires (0) | Réagir ?