France : un appel "Non à tout hommage" au général Bigeard est lancé
Un nouvel appel "Non à tout hommage" au général Bigeard a été lancé en France par des intellectuels, des journalistes et des historiens pour contrer le transfert annoncé des cendres de l’officier- symbole de la torture en Algérie au Mémorial de Fréjus, a-t-on appris mardi auprès des initiateurs de cette action de contestation.
Les auteurs de l’appel, qui a recueilli à la première semaine de son lancement près de 3000 signatures de France et d’Algérie notamment, regrettent qu’on "nous présente encore et toujours cet officier comme un héros des temps modernes, un modèle d’abnégation et de courage, au mépris de tous les témoignages, de toutes les études historiques sérieuses".
"En fait, Bigeard a été un acteur de premier plan des guerres coloniales, un "baroudeur" sans principes, utilisant des méthodes souvent ignobles. En Indochine et en Algérie, il a laissé aux peuples, aux patriotes qu’il a combattus, aux prisonniers qu’il a "interrogés", de douloureux souvenirs", affirment-ils, signalant qu’" aujourd’hui encore, dans bien des familles vietnamiennes et algériennes, qui pleurent toujours leurs morts, ou dont certains membres portent encore dans leur chair les plaies du passé, le nom de Bigeard sonne comme synonyme des pratiques les plus détestables de l’armée française".
Il y a deux ans, le ministre de la Défense du précédent gouvernement de droite, Gérard Longuet (UMP), venu des rangs de l’extrême droite, avait conçu l’idée de transférer les cendres du général Bigeard aux Invalides. Une pétition, signée par 10.000 citoyennes et citoyens, fut pour beaucoup dans l’échec de cette provocation. Ce même Longuet qui, il y a une semaine a lancé vulgairement, sur la chaîne Public Sénat, son bras d'honneur en réponse à une question sur la repentance de la France des crimes coloniaux commis en Algérie.
Le nouveau ministre socialiste de la défense, Jean-Yves Le Drian, vient de remettre sur pied un hommage de même nature, le 20 novembre prochain, avec une variante : le transfert des cendres du général Bigeard au Mémorial de Fréjus, dédié aux combattants d’Indochine.
Tout en disant "Non à tout hommage" à l’officier français, les auteurs de l’appel, mis en ligne fin octobre, estiment qu’un gouvernement élu par le "peuple de gauche" persiste dans ce projet laisse à penser que l’intervention citoyenne est "plus que jamais nécessaire". "Nous n’abandonnerons pas, en ce qui nous concerne, ce combat", soulignent-ils.
Pour l’historien Alain Ruscio, un des animateurs de l’appel, l’idée de transférer les cendres au Mémorial de Fréjus des morts en Indochine est une variante "basse". "Les études historiques ont abondamment prouvé que Bigeard avait également pratiqué des sévices divers lors de (la) première guerre coloniale. Il n’y a pas eu un Bigeard "propre" en Indochine et un Bigeard "contestable" en Algérie", a-t-il indiqué à l’APS. Tout en affirmant ne "pas oublier la responsabilité première des hommes politiques", l’historien rappelle que cet officier "s’est mis délibérément au service de la pire cause, le refus de la liberté des peuples, et il a pratiqué partout une "sale guerre"".
"Crevettes Bigeard"
Henri Pouillot, 74 ans, reste hanté par ses souvenirs d’appelé du contingent. Il s’est retrouvé de 1961 à 1962 à la Villa Susini, un des centres de tortures d’Alger. Ce qu’il a vu l’amène à se dresser contre l’idée d’un hommage officiel au général Bigeard. Le militant est l’un des promoteurs d’une pétition contre la manifestation du 20 novembre. Il a également écrit une lettre ouverte à Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense.
Il s’y dit "outré". Henri Pouillot rappelle ce qu’étaient les "crevettes Bigeard", "un terme qui ne signifie rien pour beaucoup, qui ne figure dans aucun livre d’histoire" : Marcel Bigeard aurait inventé cette technique où les personnes qui devaient disparaître voyaient leurs pieds scellés dans le béton, avant d’être jetées en pleine mer, depuis un hélicoptère.
"Des dizaines de milliers d’Algériens ont disparu de cette façon", redit encore aujourd’hui l’ancien appelé, auteur de livres contre la torture. "Toute une série de témoignages est très claire, y compris celui de Massu, sur les tortures accomplies par Bigeard, poursuit Henri Pouillot. Il a lui-même participé à la torture."
L'ancienne résistance Louisette Ighilahriz, torturée par le général Maurice Bigeard en 1957 durant la guerre d'indépendance, a fait plusieurs appels contre les tortionnaires d'hier. Elle appelle aujourd'hui avec d'autres personnalités le gouvernement socialiste français à ce qu'aucun hommage officiel ne soit rendu à ce tortionnaire des guerres d'Indochine et d'Algérie.
Yacine K./APS
Commentaires (10) | Réagir ?
C'est triste de le dire, mais partout il y a des marcel bigeard.
le général Bigeard obéissait aux ordres des politiciens qui seront toujours honorés automatiquement, l'armée française a fait le sale boulot quoi