Les ravages des infiltrations policières pendant la guerre d’Algérie

En plus de la répression des manifestations, les services français ont inflitré le FLN.
En plus de la répression des manifestations, les services français ont inflitré le FLN.

La guerre d’Algérie n’échappe pas, comme c’est le cas de toutes les guerres d’ailleurs, au phénomène de noyautage.

En effet, une fois l’effet de surprise passé, les autorités coloniales tentent vaille que vaille de reprendre le contrôle de la situation. Bien que le FLN ait mis en place une organisation cloisonnée afin de se prémunir contre les taupes, il n’en reste pas moins que les services secrets français ont réussi à plusieurs reprises, après avoir retourné un militant lors de sa détention, à démanteler plusieurs réseaux. 

En tout état de cause, si la tâche paraissait plus difficile dans les maquis [il a fallu attendre la bataille d’Alger pour voir apparaitre les bleus de chauffe], en métropole, les réseaux FLN tombaient les uns après les autres. D’ailleurs, pour parer à ces coups durs, le siège de la fédération de France du FLN a été tout bonnement transféré en Allemagne. Tout compte fait, que ce soit en Algérie ou en France, le procédé reste le même. Lors de chaque arrestation, les services psychologiques essayent autant que faire se peut de récupérer les éléments susceptibles de coopérer. Et la guerre trainant en longueur offre indubitablement cette possibilité. 

De toute évidence, si au début de la guerre le FLN avait compté sur des éléments sûrs, il ne pouvait pas gérer la suite de la guerre en comptant sur un groupe restreint. Bien que la base ne soit pas associée à la préparation de la guerre, dès le 1er novembre 1954, un appel au peuple algérien est lancé afin qu’ils rejoignent en masse le FLN et son bras armé, l’ALN. Toutefois, l’action étant déclenchée dans la précipitation, les organisateurs ont besoin d’exécutants et non de concepteurs. Pour Mohamed Harbi, "les critères de sélection étant ceux de la commission dénuée de critique, l’appareil fait parvenir au sommet des exécutants obéissants et autoritaires. Dans la mesure où le critère de la conviction politique n’intervient plus, l’accès aux positions du pouvoir et aux bénéfices qui lui sont joints est ouvert à tous les aventuriers et à toutes les manipulations." 

D’une façon générale, pour le dirigeant, il est difficile de désavouer la personne qu’il a, lui-même, cooptée. Néanmoins, bien que des échos fassent état de la collaboration de certains militants arrêtés avec la police française, la direction de la fédération de France du FLN ne réagit pas sereinement afin de mieux gérer l’affaire. Selon Mohamed Harbi, "En 1958 déjà, la police avait essayé de suborner un dirigeant de l’amicale générale des travailleurs algériens, Safi Boudissa. Celui-ci a alerté la direction fédérale qui l’a évacué aussitôt sur la Tunisie, mais en faisant peser à tort sur lui le soupçon d’avoir coopéré avec la police." En tout cas, la gestion hasardeuse de cette affaire impose, de façon sous jacente, la loi du silence. Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’affaire "Mourad", une des grandes trahisons d’un cadre du FLN en France, n’aurait pas lieu si le débat libre avait toute sa place au sein de la fédération de France du FLN. 

En fait, profitant de ce climat délétère, les services secrets français parviennent à retourner Abdellah Younsi, alias Mourad. Arrêté par la police pour atteinte à la sécurité extérieure de l’État, Mourad est libéré vers juillet 1958. Bien que sa remise en liberté puisse éveiller des doutes [ses camarades arrêtés pour le même motif n’ont pas été libérés], Mourad gravit vite les échelons. En plus, l’arrestation de son chef hiérarchique en septembre 1958 lui ouvre l’accès aux hautes responsabilités. "Mourad accède à un poste élevé. Il succède à Daski Mohamed Tahar, arrêté sur dénonciation en même temps que son agent de liaison, le Dr Annette Roger. Younsi [Mourad] devient alors le chef de la wilaya « Sud ». La police faisait le ménage en sa faveur. Il l’avoue lui-même dans sa dernière déposition", note l’éminent historien algérien. 

En tout cas, à cause de la collaboration de l’un des ses cadres, la région marseillaise échappe au contrôle du FLN. Durant plusieurs mois, les arrestations se multiplient à foison. Muté à Lyon vers juin 1961, Mourad livre ses camarades sans aucun scrupule à la police. Dans le même sillage, obéissant sans vergogne aux services secrets français, il se démène pour que ces derniers démantèlent le réseau parisien, le sommet de l’organisation. Cela dit, sans parvenir à ses fins, grâce aux informations fournies par Mourad, la police française parvient à déstabiliser considérablement la direction de la fédération de France du FLN. 

Toutefois, la facilité avec laquelle sont menées les opérations incite les dirigeants de la fédération de France à redoubler de vigilance. Et pour cause ! "A cours du premier trimestre 1962, la DST saisit dans l’organisation parisienne, dirigée par Mohand Akli Benyounès, la somme de 543 millions d’anciens francs. Les circonstances dans lesquelles se produisent les saisies et l’arrestation des agents de liaison français de M. A. Benyounès, Melles DP et MP, attirent l’attention de la hiérarchie. Le responsable de l’organisation Amar Ladlani et ses adjoints à Paris constatent que les perquisitions interviennent dans les locaux connus de Younsi [Mourad], et que, de surcroit, les fonds acheminés de Lyon sont toujours saisis à Paris, mais jamais à Lyon ou en cours de transfert pour Paris", note à juste titre Mohamed Harbi. Du coup, le rapprochement est vite fait. Les soupçons sont orientés naturellement en direction du responsable lyonnais du FLN. En outre, après la libération des détenus le 19 mars 1962, la fédération de France dispose désormais de plusieurs éléments d’enquête permettant de démasquer sans ambages l’indic. 

Par ailleurs, bien que le cessez-le-feu signé le 19 mars mette fin aux hostilités franco-algériennes, Mourad ne rend pas pour autant le tablier. Au contraire, il passe à un palier supérieur de collaboration. D’après Harbi, "prétextant des trouvailles avec son épouse, il se rend en Tunisie pour essayer, dit-il lors de son procès, de puiser plus d’informations possibles sur l’orientation du FLN et d’enquêter sur l’existence éventuelle de prisonniers français détenus par l’ALN."

Pour conclure, il va de soi que l’histoire de Mourad se termine comme celle de tous les traitres : l’élimination après s’être démasqué. En fait, sans montrer le moindre soupçon, la fédération de France programme un faux stage pour le 15 mai. De retour en France le 2 mai, Mourad est naturellement convié à y prendre part. Ne se doutant de rien, il se rend au rendez-vous. Arrêté juste après, Mourad est désormais entre les mains du FLN. Le 18 mai, le responsable de la fédération de France, Amar Ladlani, lui signifie les motifs de son arrestation. Bien que Mourad cherche à gagner du temps, la commission du FLN, prévue pour le juger, ne lui donne aucune chance. Le 28 juin, la peine de mort est décidée à l’encontre de celui qui a démantelé tant de réseaux, livré des camarades à la police et détourné des sommes colossales d’argent. C’est ainsi que se termine l’une des affaires qui a causé énormément de préjudice au FLN en métropole.

Aït Benali Boubekeur

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Commentaires (6) | Réagir ?

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algerie

merci

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