Politique d’énergie en Algérie : contradiction et illogisme

Dans 10 ans, l'Algérie ne pourra plus exporter ses hydrocarbures
Dans 10 ans, l'Algérie ne pourra plus exporter ses hydrocarbures

Du dossier consacré le jeudi 25 octobre 2012 par le quotidien El Watan au programme national énergétique, on aura retenu que si dans moins d’une décennie l’Algérie ne maîtrise pas sa consommation interne en électricité et carburant, elle ne pourra plus exporter d’hydrocarbures. Dans un tel scénario, le rouage économique s’agrippera.

Cette échéance étant jugée trop courte pour diversifier son économie et trouver une alternative au pétrole, alors, elle a décidé d’exploiter toutes ses ressources énergétiques disponibles et possibles (non conventionnelles, éoliennes, solaires, charbons, nucléaires etc.). Que dans leur évaluation des dégâts que causeraient l’exploitation et le développement des ressources non conventionnelles à l’environnement, les "détracteurs du gaz de schiste" exagèrent et devront "laisser les spécialistes s’en occuper".

C’est certainement cette dernière phrase de trop dans l’analyse qui a exalté la société civile à travers les réseaux sociaux. Pourquoi ? Deux raisons peuvent l’expliquer. La première est que voilà plus d’un demi-siècle que les Algériens laissent faire les spécialistes mais les résultats auxquels ils sont arrivés ne sont pas du tout probants (entreprises publiques à terre, la corruption et la gabegie touchent pratiquement tous les secteurs de l’économie voire même la société entière, une économie extrêmement fragile et voilà maintenant un avenir énergétique sombre.). Il est tout à fait compréhensible qu’une telle situation alimente le fantasme du "tout pourri" à supposer que tout n’est pas réellement "pourri". La deuxième raison serait l’incohérence et les contradictions  dans les discours qui donnent l’impression à cette société civile que ce dossier manque de maitrise et semble ne pas avoir fait de réflexions profondes et surtout que son débat est resté confiné dans un club très restreint (des rencontres d’un à deux jours pour chanter au même rythme). Nous exposerons plus loin les éléments précis de cet illogisme.

Mais pour le moment, il faut revenir sur ce dossier pour signaler d’emblée que ce n’est pas à l’US department of energy de définir les critères d’appréciation des différentes sources d’énergie mais aux chercheurs et universitaires d’élaborer des indicateurs universellement reconnus et qui les mettent à la disposition de ce département pour les évaluer, tirer les conclusions nécessaires pour mettre en œuvre leur stratégie énergétique. Jusqu’à présent, pour comparer l’efficacité des différentes ressources d’énergie, on utilise le Taux de Retour Energétique (TRE) qui est le rapport entre l’énergie utilisable à celle dépensée. A l’instar du retour d’investissement, plus ce taux est élevé, plus l’objet qui figure au numérateur est rentable. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, les progrès techniques n’ont pas réussi à redresser cet indice qui n’a pas cessé de décliner depuis le début du siècle dernier. En effet, il est passé de 100/1 puis 80/1 pour descendre actuellement autour 9,33, c'est-à-dire en moyenne dans le monde, on obtient 9,33 unités d’énergie en dépensant seulement une. Ceci s’explique par le fait que la prospection se fait dans des zones de plus en plus difficile qui nécessitent beaucoup plus d’énergie pour leur exploitation. Ce taux classe les hydrocarbures conventionnels aussi bien le pétrole (tre=8/1)  que le gaz (tre=5) comme les plus rentables. Viennent ensuite, l’énergie solaire thermique (tre=4,2/1), photovoltaïque (tre=10/1), le schiste (tre= 13,3/1), le charbon (30/1) et enfin l’uranium (100/1). Cependant, la majorité des gisements d’hydrocarbures en Algérie sont en phase d’exploitation primaire c’est-à-dire éruptifs. On récupère un plus que le ¼ des réserves en place. Pour améliorer ce taux de récupération, on doit passer à l’étape secondaire puis tertiaire. Il se trouve que plus on évolue de la récupération 1 à 3, plus le conventionnel tendra vers le non-conventionnel à cause des difficultés d’exploitation rencontrées. Par exemple, la phase finale nécessite de l’injection  de beaucoup d’eau et de gaz immiscible (CO2, CH4, H2S etc.).

Est-ce le cas de l’Algérie ? Les rapports de Sonatrach et de ses associés rassurent que tout va bien mais y aurait-il des cachotteries à ce niveau ? L’argument selon lequel la fracturation hydraulique présente moins de risque parce qu’elle se déroule dans des zones isolées est totalement fallacieux. C’est exactement le raisonnement qu’à fait la France lors de ses essais nucléaires à Reggane. On se rend compte maintenant des dégâts qu’ils ont causés et qu’ils causent à ce jour. Les ondes radioactives ont été détectées à Hassi Messaoud par la société de prospection électrique Schlumberger (SPES) à travers les compteurs Geiger Muller qu’elle utilise pour les logs nucléaires. Donc, la fracturation hydraulique est assimilée à un petit séisme, une fissure au gisement Bourarhet peut continuer jusqu’à Illizi ou In Amenas qui sont des agglomérations et celle de Tidikert à In Salah. Par ailleurs, ce n’est pas une législation bien élaborée qui limiterait les dégâts écologiques mais des techniques très chères importées à coup de devises qui le feront. Désormais, elles viendront gonfler les coûts de production qui rendraient cette énergie économiquement inexploitables.

Maintenant observons en détail les éléments de cette incohérence. Après le débat de son plan d’action par les députés de l’APN, le chef du gouvernement a confirmé, fin septembre que l’Algérie allait exploiter le gaz des roches mères mais accompagnée par un partenaire étranger. Cela suppose de toute évidence que cet accompagnateur partagera le risque avec Sonatrach et apportera  son expertise et son savoir faire dans l’exploitation et le développement de ce type de ressource, savoir que l’entreprise nationale compte capitaliser et consolider pour reprendre la main par la suite. Le 17 octobre 2012, devant les sénateurs, il leur apprend toute autre chose. Que pour sa sécurité énergique l’Algérie n’a pas d’autres issues que d’exploiter le gaz de schiste car tous les pays du monde exploitent ces énergies. En réalité, il n’y a aucun pays dans la position de l’Algérie, exportateur d’hydrocarbures et disposant de réserves de pétrole et gaz conventionnels hypothétiques aussi importantes avec un domaine minier exploité à peine au dessus de son 1/3,  ne s’est aventuré dans un tel labyrinthe. La Pologne, la Chine, l’Australie et les Etats Unis pour ne citer que ceux là, ont leurs propres contraintes et visions stratégiques qui n’a absolument rien à voir avec l’Algérie. Donc ce n’est pas tous les pays du monde mais certains pays qui se comptent aux bouts des doigts et dans des conditions totalement différentes de celles de l’Algérie. Il leur déclare et c’est pour la première fois qu’un responsable de niveau stratégique le fasse que "l’Algérie possède les moyens techniques pour exploiter le pétrole et le gaz de schiste" en rassurant toutefois que "les  travaux  commenceront peut être dans dix ans." Jusqu’à présent, les managers directement concernés de Sonatrach disent ne pas maîtriser les techniques de la fracturation hydrauliques et qu’ils comptent sur un partenaire étranger pour les accompagner. Alors, on est en droit de se demander d’où le premier ministre  obtient ses informations et est-ce qu’ils existent des instituts souterrains qui forment des spécialistes dans le forage offshore et les techniques d’exploitation de ressources non conventionnelles ? Mais le fait de différer l’exploitation effective du gaz de schiste de dix ans, cela voudra dire que l’opération est dans sa phase d’évaluation de la prospection sismique pour circonscrire la zone de production de gaz de schiste. Or, ce n’est pas ce que dit le PDG de Sonatrach. Le 7 Juin dernier, depuis Kuala Lumpur en Malaisie, il donne des chiffres fracassants sur des études qui selon lui sont déjà terminés alors que l’opinion publique croyait qu’on venait juste de débuter un forage de reconnaissance. Il annonce dans le même contexte qu’une superficie de 180 000 Km2 a révélé un «potentiel énorme» de gaz de schiste dépassant plus de 600 millions m3 par kilomètre carré, ce qui signifie que plus de 2.000 milliards de m3 peuvent être récupérés. Comment il est arrivé à 2000 milliards, on ne sait pas ? Mais ce qui est certain ; pour aboutir à de telles précisions, ces études ont bel et bien commencé depuis bien longtemps. Alors  les Algériens  sont ils entrain d’être mené en bateau ? Les dés sont-ils déjà pipés ? Si tel est le cas , pourquoi encore des cachotteries ? 

La boucle s’est trouvée bouclée avec la conférence de presse organisée dans le siège du ministère de l’Energie et des mines par les proches conseillers du ministre, certainement dans le but de rassurer une opinion publique en ébullition. En effet, en plus d’une très forte mobilisation dans les réseaux sociaux, on apprend qu’un groupe de citoyens s’est réuni le 20 octobre dernier au centre d’Alger pour organiser une riposte à l’amendement de la loi sur les hydrocarbures qui valide l’exploitation et le développement des ressources non conventionnelles. D’emblée un conseiller confirme les propos du premier ministre en déclarant que l’Algérie est encore en phase de "préparer la possibilité d’un éventuel engagement pour les hydrocarbures non conventionnels qui se fera par étapes successives". Si on se réfère à l’expérience mondiale, ces étapes peuvent être résumées comme suit : une évaluation par une prospection sismique 2D et 3D qui demande 2 à 3 ans, ensuite une définition du périmètre de gaz et de pétrole de schiste sur environ 2 ans, ensuite on entame les opérations de forage des puits multiples qui en fonction des difficultés d’instrumentation peuvent s’étaler sur plus de 5 ans. Les responsables des autorités des deux agences Alnaft et celle de régulation étaient présents à la rencontre lorsque le conférencier précise que "rien ne se fera sans la prise en compte de l’aspect environnemental dans le strict respect de la législation en vigueur qui protège l’environnement et donne la priorité à la protection et la conservation des nappes acquières". A en croire ces déclaration, c’est la preuve par 9 que le dossier est encore en phase de maturation. Est-ce un discours pour la consommation publique ? ou carrément un décalage entre le politique et l’exécutif ?

Dans une dimension plus technique, l’orateur a clairement raté ses messages d’assurances en déclarant que le forage horizontal se pratique en Algérie depuis plus d’une quinzaine d’années mais ne dit pas par qui et qui le supervise ? et que jusqu’à présent aucune évaluation n’a été faite par Sonatrach sur son efficacité à drainer plus de production d’hydrocarbures. Les sommes énormes sont déboursées pour le compte des compagnies opératrices mais la contrepartie en rentabilité reste un mystère ou une simple spéculation de responsables. Quant aux 9000 puits forés depuis 1950, ils traversent les nappes du turonien et de l’albien qui ne servent pas la consommation des citoyens. Ces puits ne contiennent pas des tonnes de produits chimiques, jugés par la communauté internationales comme très dangereux. L’existence des méthodes de diagraphie, pratiquées par Haliburton et Dowell Schlumberger pour contrôler l’adhérence du ciment injecté dans l’espace annulaire d’un puits entre autre le CBL, ne peuvent pas résoudre le problème des fuites dans un trou de gaz de schiste. Dans un puits classique, si des fissures sont jugées importantes, on peut aller jusqu’à squeezer du ciment pour  les colmater, opération qu’on ne pourra pas réaliser dans un shale well à cause de la forte pression du frac. Il faut  donc abandonner carrément le puits ce qui représente une perte énorme d’argent. La fracturation classique utilisée pour des réservoirs composée de roches compactes comme le laisse entendre ce conseiller, n’a absolument aucune similitude avec la fracturation hydraulique des réservoirs de gaz et de pétrole de schiste. La première se fait à des pressions ne dépassant pas quelques bars de celles de fond des réservoirs (405 bars pour le gisement de Hassi Messaoud) alors que pour la seconde, rien que la tête d’un shale well appelé frac tree est conçue pour une pression de 15 000 à 20 000 psi soit plus de 1000 bars à raison d’environ 14,51 psi par bar. Il faut si l’on se réfère à l’expérience de la compagnie Total, 30 fractures en moyenne pour un drain de 1000 m et environ 300 m3 d’eau, 300 tonnes de sable et 1,5 tonne de produits chimiques par fracture. Une dimension classique d’une fracture pourrait atteindre  latéralement 150 m de part et d’autre du puits et verticalement de quelques dizaines de mètres en fonction de l’épaisseur de la formation. En total il faut environ 15 000  à 20 000 m3 d’eau par puits alors qu’on fait des réseaux appelé well pad de 5 à 10 puits.

Si on prend un exemple de l’Etat de New York un seul well pad de 6 puits a nécessité  6600 rotations de camions dont 90% pour la seule fracturation hydraulique. Pour une superficie de la taille annoncée, il faut compter un maillage d’une centaine de well pad, alors on peut imaginer la logistique nécessaire. Quant aux nouvelles techniques qui remplacent  l’eau dans l’opération de fracturation, un rapport établi sous l’égide de l’Agence Nationale de Coordination de Recherche et pour l’Energie (ANCRE), une institution française et qui a permis à François Hollande de fonder son rejet de la demande des compagnies qui souhaitaient prospecter le gaz de schiste dans le sol français, a conclu sur la base d’une recherche par d’éminents spécialistes qui a duré plusieurs mois que "la fracturation hydraulique est aujourd’hui (c'est-à-dire à la date d’établissement du rapport soit juillet 2012) la seule technique utilisée pour produire les hydrocarbures des roches mères par la stimulation de la production qui en résulte." Les techniques alternatives dont le principe est d’augmenter la vitesse de circulation et le débit du fluide dans une roche  peu perméable sont encore à l’étude. Les méthodes basées aussi bien sur l’effet thermique qu’électrique voir même chimique comme l’hélium sont en phase d’expérimentation. Combien même, elles seraient développées dans le court terme, elles demeurent économiquement non rentables car il faudrait un prix de baril  avoisinant les 150 dollars  pour pouvoir chauffer en profondeur et éviter de gaspiller de l’eau. Il est certain qu’avec moins de blabla un peu plus de cohérence, de franchise et de pédagogie, les citoyens comprendront. Comme dit l’adage populaire "se montrer à Dieu nu, il vous habillera".

Rabah Reghis, consultant, Economiste pétrolier

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Commentaires (4) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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Khalida targui

merci pour cet article si précis et si savant monsieur mais que pouvons nous faire, ils sont notre unique source et notre unique mektoub

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