Fédération de France du FLN : Dahou Djerbal raconte sa "Spéciale"

Dahou Djerbal, historien universitaire et directeur de la revue de critique sociale Naqd
Dahou Djerbal, historien universitaire et directeur de la revue de critique sociale Naqd

Avec son livre "L'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN – Histoire de la lutte armée de France du FLN", l’historien universitaire, Daho Djerbal, comble un vide dans l' histoire guerre de libération, notamment celle menée sur le territoire français par l'Organisation Spéciale ( ou la Spéciale) de la Fédération de France du FLN.

Si l’histoire de la Fédération est connue par ses différentes phases, ses chefs politiques, ses structures internes, ses archives tant celles de la préfecture de police de Paris que celles de ses responsables et, surtout, par la répression de la manifestation 17 octobre 1961 réprimée dans le sang par la police de Maurice Papon, en revanche, sa branche armée est restée jusque-là ignorée ou méconnue. L’existence de "groupes armées" en France durant la guerre est liée, pour le grand public, au mouvement du MNA (Mouvement national algérien) de Messali Hadj qui assassinait dans les cafés les militants du FLN et menait des attentats dirigés contre les travailleurs immigrés membres ou sympathisants du FLN. Bien que l’existence de "groupes de choc" soit connue au sein de la Fédération de France du FLN de 1955 à 1962 par des témoignages d’artistes ayant évolué dans les milieux chantant et dansant du quartier de St Michel à Paris, la Fédération de France est restée dans ses lectures politiques et n’a pas livré le secret de ses branches paramilitaires, voire militaires au sein de la "Spéciale".

Ecrire l'histoire de ses membres et défendre leur cause

Daho Djerbal livre dans cette étude, à la fois dense et attractive, la genèse de cette Organisation Spéciale de la FF. FLN, le contexte politique dans lequel elle est née, ses différentes structures, les actions politico-militaires, les attentats, les cibles visées et, surtout les femmes et les hommes qui l’ont faite au péril de leur vie, des jeunes pour la plupart, analphabètes dans la langue du pays d’accueil, ou sachant à peine lire et écrire ou, rarement, des étudiants issus de milieux de la paysannerie relativement aisée desquels ils étaient en rupture de ban. Dans "Avertissement", l’auteur souligne les difficultés pour l’historien d’aborder, d’écouter, d’enregistrer les acteurs-témoins, membres de la Spéciale, dans les années 1980 ; les plaies et les traumatismes sont encore vifs. Mais pas seulement. Pour leur quasi-totalité, ils se sont tus depuis 1962 et ils ont été profondément "déçus" par "la part qu’on leur a réservée dans l’histoire de ladite fédération" qui "n’était pas du goût du plus grand nombre". En effet, s’il était aisé aux djounouds de l’ALN, aux politiques du FLN de revendiquer un statut après l’indépendance, il n’en était pas de même pour les membres de la Spéciale, composée de Groupes armés, de Groupes de choc et de Groupes de choc de l’OPA. L’auteur soulève une question de taille : "Il y avait en fait un contentieux que le temps n’a pas aidé à résoudre ; l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN était-elle une organisation civile ou une organisation militaire ? La réponse à cette question était très importante car il en allait du statut de ses membres, durant la guerre de libération mais aussi après l’indépendance. C’était à la fois une question de principe où la dignité de chacun entrait en jeu, mais aussi une question d’un autre ordre puisqu’il y avait à déterminer le type de droits auxquels ouvrirait l’appartenance à cette organisation : O.C. FLN ou ALN ? Pour les membres de la Spéciale il n’y avait pas l’ombre d’un doute ; ils étaient des djounouds de l’ALN". D’où l’ampleur et le caractère délicat d’une telle enquête pour l’historien. Daho Djerbal en souligne la double tâche. Donner la parole aux membres de la "Spéciale" pas seulement pour l’histoire mais aussi, par cette histoire même, plaider leur cause pour un statut : "Devrais-je être +le porte-plume et le + porte-parole ?".

De l’OS de Moussa Kebaïli à celle de Noureddine Aït Mokhtar

Tout au long de l’ouvrage, Daho Djerbal montre clairement que l’Organisation Spéciale est une branche armée de la FF.FLN officiellement créée par l’instance dirigeante du CCE avec à sa tête en France, Rabah Bouaziz et son adjoint direct Nacereddine Aït Mokhtar, l’un des rares étudiants en médecine de l’époque, membre du comité fédéral et responsable désigné de la Spéciale qui a été le principal informateur témoin de Daho Djerbal puisque lui-même avait déjà entamé un travail écrit sur "sa" Spéciale en écrivant ses mémoires interrompues par une maladie handicapante. L’auteur a pu ainsi avoir des archives de première main qui ont servi de base documentaire à l’écriture de ce livre.

Des huit parties qui composent cet ouvrage sur l’histoire de l’OS de la FF.FLN, trois chapitres retiennent l’attention. La deuxième partie est consacrée à l’Organisation Spéciale, son historique, son travail de renseignement, sa logistique, la formation de ses commandos ; la quatrième partie, la plus inédite de toutes, donne pour la première fois, des portraits circonstanciés saisissants sur les hommes et les femmes de la Spéciale, l’offensive de l’été 1958 par ses groupes armés contre les cibles stratégiques de la puissance coloniale sur ses terres, ses actions spectaculaires qui ont fait les manchettes des journaux de l’Hexagone. Cette partie est d’autant plus intéressante qu’elle donne la parole aux acteurs et actrices de cette offensive militaire qui la racontent, chacune et chacun dans ses moments de vie, de sacrifices, sans les effets édulcorants décelés dans les témoignages recueillis à posteriori. La dimension humaine dont regorgent les prises de parole des acteurs - artificier, agent de repérage des lieux de sabotage, les chargés d’attentats ciblés comme ceux, d’envergure par leur impact médiatique menés contre des politiques comme Ali Chekal au stade du Parc des Princes, Jacques Soustelle à Paris, les groupes en action, entre filatures et renseignements, poseurs de bombes, toutes et tous, parmi ceux qui ont témoigné grâce à la liste des membres de l’OS de la FF. FLN dressée par Nacereddine Aït Mokhtar dit "Madjid" qui en comportait plus d’une quarantaine et restée incomplète, font montre de modestie dans le souvenir de leurs actions mais d’abnégation dans leur engagement au sein de l’Organisation Spéciale qu’ils considèrent non comme une appartenance seulement organique, spécifique à leur combat en France, mais faisant partie intégrante de l’Armée de libération nationale.

Sur la datation précise de l’Organisation Spéciale, l’auteur distingue deux périodes complémentaires mais très différentes l’une de l’autre sur les plans organisationnel et politique. L’idée d’ouvrir un "second front en France" germait, écrit l’auteur, dans l’esprit de Didouche Mourad et de Mohamed Boudiaf dès le déclenchement de la lutte armée, en 1954. Ce n’est que deux années plus tard, en 1956 qu’est née, sur décision du CCE, l’Organisation Spéciale de la FF. FLN, dont la mission "était d’exister en tant que FLN en France face au MNA". Elle est dirigée par un comité fédéral qui sera très tôt décimé par les services de la DST avant qu’elle n’ait à sa tête Rabah Bouaziz comme l’un des principaux membres du comité fédéral et son adjoint direct Naceredine Aït Mokhtar. Mais, précise, l’auteur, ce premier acte de l’OS de la FF. FLN se fera «avec des militants décidés mais inexpérimentés, peu au fait du maniement des armes et des méthodes de la guerre subversive en territoire ennemi». Mais le problème majeur n’était pas que logistique. Daho Djerbal souligne un handicap de taille pour l’OS de cette période (1956 – 1957) : la collusion, voire des chevauchements préjudiciables entre les commandos armés ou en voie de l’être et les éléments politiques. Sur cette «première tentative» de l’OS, Daho Djerbal rapporte plusieurs témoignages de ses membres, Moussa Kebaïli, Doum, Abdelkrim Souici et le vétéran Nacereddine Aït Mokhtar qui attestent la date de création de la première OS en 1956.

La 2ème OS, réorganisant la première qui date de la nomination en février/mars 1957 de Rabah Bouaziz dit "Saïd" mettra un terme au chevauchement entre les militaires de la Spéciale et les responsables politiques, assurant ainsi à l’OS plus d’autonomie qu’elle n’en avait dans l’organisation mère. "On peut donc dire qu’à partir du printemps 1957, la paire Bouaziz Aït Mokhtar prend le commandement de la Spéciale aux lieux et places de la paire Souici-Kebaïli" écrit l’auteur. Les chefs de "wilayas" (zones de l’OS en territoire français) travaillent dans l’anonymat le plus complet et sont même isolés de leurs compatriotes immigrés. De nouveaux éléments bénéficient d’une formation militaire dans les bases arrière du FLN/ALN au Maroc.

Femmes et hommes, commandos de la Spéciale

Cette nouvelle organisation constitue l’essentiel des 4e et 5e chapitres de l’ouvrage consacrés respectivement aux hommes et aux femmes de la Spéciale, les actions menées dans diverses "wilayas" françaises et leur impact sur l’opinion publique française. Les sources exploitées par l’historien sont les minutes des procès des commandos de groupes armés et groupes de choc arrêtés et les témoignages des acteurs mêmes. Pour la plupart contraints à l’exil pour leur survie alimentaire et celle de leurs familles, ils sont adolescents quand ils arrivent en métropole déjà marqués et traumatisés par les injustices coloniales vécues au quotidien dans leur région natale. Manœuvres, ouvriers, vendeurs à la sauvette, garçon de café, ils portaient déjà en eux l’engagement nationaliste de par leur condition de vie en métropole et l’état désastreux dans lequel ils ont laissé leur famille au pays. Sur ce sujet plus émotionnel que politique, la chanson de l’exil, par la voix de Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Dahmane El Harrachi, Allaoua Zerrouki, a été l’expression émotionnelle qui trouvait refuge dans l’affect des transplantés et que l’on retrouve, avec d’autres mots, dans les portraits saisissants des membres de l’OS toute période et origine géographique confondues : Yamina Idjeri, Aïcha Aliouet, Zina Harraïgue, Nadia Seghir Mokhtar, Mohamed Bensaddok, Mohamed Ouznani déclaré ennemi public n°1 recherché par toutes les polices de la métropole, Mouloud Ouraghi, le plus âgé, Omar Sadaoui, Abdelhafidh Cherrouk, Moussa Kebaïli, un des premiers à être sollicité pour la création de l’OS, l’illustrissime Naceredine Aït Mokhtar - parent par alliance à la famille d’Abderrahmane Farès, président de l’Exécutif provisoire à la libération du pays, qui jouera un rôle moteur, mais dans l’ombre, dans le réseau de renseignement "Aboulker" qui sera d’une extrême importance dans la collecte et le traitement des renseignements sur les mouvements des responsables de la DST ; il évitera à beaucoup de membre de l’OS d’échapper aux arrestations -, Hocine Bendali et tant d’autres, sortent ainsi de l’anonymat grâce à leurs pairs et malheureusement aux sources policières et pénitentiaires. Chaque portrait est une histoire, un parcours, une vie qui pourrait alimenter des scénarii de films ou même des documentaires archivistiques de la plus haute importance.

Les chapitres relatifs aux actions menées par la Spéciale, sabotages, attentats ciblés de personnalités politiques et aux impacts médiatiques mettent en exergue non pas des actions subversives isolées mais le caractère trempé des femmes et des hommes, la vingtaine à peine entamée, qui ont conscience que leur action sur le terrain participe du geste politique qui lui donne chair sur le terrain des combats. Surtout que, c’est un point révélateur de cette prise de conscience, les actions subversives de l’OS évitaient à tout prix des victimes parmi les populations civiles. Du reste, après le démantèlement de la Spéciale par l’arrestation de ses principaux membres, beaucoup parmi eux, réfugiés en Allemagne, ont demandé à rejoindre les maquis en Algérie.

Après l’indépendance, un pays qui ne les reconnaît pas

Dans cette histoire épique de la Spéciale, Daho Djerbal n’oublie pas de mentionner les réseaux de soutien français qui ont été d’un apport particulier aux commandos de l’OS ainsi que la participation de citoyens français anticolonialistes. L’historien y relate également les conflits internes notamment les divergences qui se sont révélées au grand jour entre la direction de la Fédération de France du FLN et la Spéciale en ce qui concerne notamment les objectifs visés par l’action armée qui relevaient du secret des responsables sans que les hommes armés n’en soient informés. Il met en lumière la démission de Mohamed Harbi, alors responsable de l’information au sein du comité fédéral de la FF. FLN.

Le livre, riche de ces parcours révolutionnaires et humains des hommes et femmes de la Spéciale, offre également aux lecteurs des documents sur le découpage du territoire français en "wilayas", l’organigramme des responsables de l’OS. Il reste cependant, à éclaircir, la nature des groupes qui composent la Spéciale : il est fait mention de trois différents groupes : "groupes armés", "groupes de choc" et "groupes de choc" OPA ?

Pour revenir à la question posée dans le préambule de ce livre, le lecteur averti peut déceler aisément que l’historien universitaire, Daho Djerbal, se fait plus "le porte-parole" que le "porte plume" des valeureux membres de la Spéciale.

Les dernières pages de l’étude sont particulièrement poignantes. Elles donnent un goût amer au riche passé de la Spéciale. Après l’indépendance, les retours au bercail sont difficiles. Oubliés par leur famille, écartés des instances dirigeantes, les ex désormais baroudeurs de la Spéciale ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, du moins ceux qui ont refusé les allégeances et les compromis.

Rachid Mokhtari
(Est Républicain)

Dahou Djerbal, "L’Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN – Histoire de la lutte armée de France du FLN" (Ed. Chihab, 2012)

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Commentaires (6) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci

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rabah Benali

Bonjour.

@ Monsieur kamel Benzine.

Je suis profondément désolé pour la confusion au sujet du terme "H'kaya".

En kabyle: "Tamachahoutze". En arabe: "Hikayatoune". En francais: "Histoire"

En anglais "Story" - En allemand "Geschichte".

Je vais essayer d'apporter un plus de clareté.

La "H'kaya" dont il est question dans mon post, est une des parties de l'histoire tagédie qu'a vécu notre pays depuis son autodétermination à ce jour.

Le rejet en 56 des fondements du congrés de la soumam par Benberla et ses copains et l'intronisation, par la ruse et la menace, de Bourourou à la tête de L'EMG en 59, sont les causes principales et fondamentales qui ont mené à cette fameuse "H'kaya Algérienne" à qui j'ai fait alusion dans mon post.

Ces deux évenements majeurs ont mené aux targédies à répétitions que le pays a vécu en 62 - 65 - 78 - 88 - 92 - 99 etc…

Le dénominateur commun de tous ces tournants décisifs est que le kabyle a toujours joué un rôle de dindon de la farce.

Les rares descendants des "Banou Hillal" vivants encore dans le pays et qui ont généralement perdu les traces de leurs ancêtres, ont toujours réussi à utiliser le kabyle durant les moments tragiques et décisifs de l'Histoire du pays. Parfois il l'on divisé et monté une partie contre une autre.

La tragédie de la wilaya 3 historique en est un exemple. Elle a payé le plus lourd tribut durant la guerre de libération pour se voir à nouveau violée par celà même à qui elle a appris la dignité et l'amour de la patrie.

Le nombre de heros leaders de la lutte, assassinés dans des conditions lâches et atroces en est une autres. (Abane - Amirouche - Krim - etc..). La tragédie des tueries de la fédération de France FLN/MNA en est encore une autre.

Et pour finir, le traitement "Spéciale oppression tout azimut permanente" réservé depuis 99 à cette Kabylie et à ces Kabyles par les hilaliens rididuels nés de père inconnu dans hamma d'Oujda, en est encore aussi une preuve. Malheureusement, la danse des loups n'est toujours pas terminée. Aujourd'hui cette région est, selon ces Banou Hilla, le "Foyer du terrorisme islamisant" risiduel qui ne finit pas de "risiduer".

Monsieurs Benzine, je suis tout à fait de votre avis lorsque vous dites que la fédération de france appartient à tous les algériens, Oui, elle a appartenu à tous les algériens, notamment à nos mêres et grandes méres qui disaient "Anassoufegh Franca oua anatch lahchich" (On mettra la France dehors quitte à bouffer après de l'herbe"

Et bien la H'kaya ne c'est malheureusment pas passé tout à fait comme prévu. La France a été chassé et les "Benou Hillal" n'ont même pas laissé un peu de "H'chiche" à bouffer.

Donc, il est grand temps à nous Kabyles, de retenir les lecons du passé et de comprendre enfin que le Hillalo - Malghacho / Tlemcenien n'est guerre un frère. Il ne nous souhaite que ruine et malheur.

J'épère avoir apporté les éléments nécessaire à une meilleure comprehension de mon post.

Je m'excuse. La prochaine fois j'essayerai d'être plus explicite.

Rabah Benali

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